Siku Omahan - Terminé - Shine Shine Shine baby.

Poupée de glace, poupée de sang, Siku apparait à la manière d’un rêve. Être d’albâtre, il scintille comme une étoile malgré son corps d’humain. Pour tout ce que l’on murmure au sujet des expériences menées sur les créatures comme lui, le groenlandais ne ressent aucun besoin de se cacher, bien au contraire. Il s’affiche au grand public, aime se montrer et ne dissimule nullement sa réelle nature. Porté d’une enfantine fierté vis-à-vis de sa propre existence, il revêt la franchise nue des inconscients. Il se sent intouchable, ironiquement incassable à contrario de son pouvoir. L’impression d’évoluer dans sa vie comme s’il fut séparé d’autrui par une fine barrière de verre. Il voit le monde de cette simple manière : il y a les autres, puis il y a lui. Quand bien même Siku aura grandi entouré d’humains, apprit à évoluer au sein d’eux, il n’est jamais parvenu à se sentir comme membre d’un groupe, d’un genre, d’une race. Être une étoile n’est même pas une assurance à ses yeux. Lorsqu’il rencontre ses confrères, il ne ressent aucun attachement pour eux, pareillement aux humains. Siku évolue dans un monde décalé qu’il est le seul à voir. Peut-être s’agit-il d’une tare ? Il l’ignore et ne s’en soucie pas particulièrement. Certes, la difficulté survient toujours lorsqu’il doit échanger avec autrui néanmoins, il s’arrange à sa manière et s’adapte du mieux qu’il le peut, parfois en commettant quelques malheureuses erreurs. Après, il se console en se disant que personne ne peut être parfait, ainsi, ce n’est pas si grave s’il se méprend sur les attentions d’autrui. Siku ne sait pas lire les visages, les expressions qui se dessinent sur leurs traits. La colère lui parait semblable à la joie, tout comme la peur pourrait être de la tristesse, à moins qu’il ne s’agisse de tendresse. Bien évidemment, il a appris, avec le temps, à reconnaitre certaines expressions précises mais, si celles-ci se font trop subtiles, il se trompe facilement. Il en va de même pour les mots, qui n’ont qu’un sens radical et premier pour lui. Les sous-entendus le laissent tantôt de marbre, tantôt perplexe et il peine lui-même à camoufler des termes en en utilisant d’autres. Maladroit, il vexe, ou bien, parait quelquefois trop froid, malgré les sourires qu’il revêt. En effet, par aisance, Siku porte un agréable sourire, probablement faux aux yeux de certains, mais qui rendent les échanges avec les autres moins étranges. Sans cela, l’étoile se verrait dans une situation bien désagréable, se sentant déphasé par rapport à son interlocuteur, impression qu’il tente de minimiser au plus possible. Le groenlandais a des allures de pantin de théâtre. Créature artificielle aux grands gestes pour oser espérer se faire comprendre. Siku s’exprime en démontrant d’amples mouvements, proches du pantomime, en parallèle à la minauderie. Il est délicat, maniéré, et son intérêt pour la manière dont il apparait tient de l’obsession. Toujours propre, absolument méticuleux, Siku aime l’ordre et possède ses habitudes qu’il ne supporte pas modifier. Capable de retenue, néanmoins, il lui arrive de faire des efforts pour ne pas paraitre trop bizarre en public. Du moins, autant qu’il lui est possible. Ainsi, le groenlandais évolue dans un univers propre où il n’y a que peu de place à l’autre, tant que celui-ci ne l’amuse pas. Siku possède effectivement cette manière, mi-curieuse mi-taquine, d’entrevoir les autres. Gourmand d’expériences, gourmand tout court, il aime apprendre et découvrir. C’est pourquoi, malgré son peu d’égard envers les gens, il appréciera se présenter comme une oreille attentive si une personne en semble nécessiteux. De la même façon, Siku a les gestes doux, une présence ironiquement chaleureuse. Il se tient là, immuable, prodiguant de tendres caresses comme le ferait une mère sensible ou bien un amant prévenant. S’il remplace une tierce personne manquant affectivement à son vis-à-vis, cela ne dérange pas l’étoile qui accepte volontiers d’être un substitut. Il y trouve son intérêt ; celui d’esquisser un semblant de contact avec un second être, exercice difficile. Par cela, fidèlement égocentrique dans sa manière de voir le monde, Siku offre, quelque part, une aide. Cependant, jamais il n’imaginera être important aux yeux de quelqu’un, ni même se sentir privilégié pour une autre personne. Siku est un frêle diamant résolument libre, hors de portée de tous. Volatile, il disparait des vies aussi vite qu’il en est apparu. Parfois, il se prend à rêver d’un lien, qui pourrait le rapprocher d’un ou d’une humaine. Quelquefois, il essaye d’imaginer ce que serait d’avoir un réel sentiment pour quelqu’un, quelque chose qui serait réciproque. Gracieux tableau bien que trop flou, dilué par son manque d’attachement. Pour l’heure, la silhouette translucide de l’étoile demeure un rêve lointain, noyé dans son propre éclat.

HISTOIRE

Au commencement, il n’y avait rien. Il n’était qu’un vide blanc, profond, tandis que le vent et ses particules retombaient lentement sur la plaine de glace. Il se dressait là, fébrile, seul, à la manière de l’unique tronc subsistant au sein de la forêt dévastée. Les lignes de son profil effilé disparaissaient dans le décor de la même teinte que son épiderme. Ce-dernier ne réalisait pas encore à quel point il était sollicité par la température ambiante. Un regard au loin, pendant que les fins flocons s’accrochaient à ses cils nacrés, et ses prunelles s’arrêtèrent vers un point précis de l’horizon. C’était dans cette direction qu’il devait converger. Ainsi, les muscles de son corps entrèrent en action pour la première fois. Ses pensées demeuraient troubles, mêlant des images à des mots qu’il ne maitrisait pas encore mais, il sentait plus que de raison ce million d’aiguilles s’enfonçant dans sa peau. L’enfant baissa les yeux et pas la moindre petite épine n’apparut à sa vision. Quand il inspira, c’est la sensation d’inhaler de l’acide, rongeant alors sa gorge et ses chairs à l’intérieur de son torse jusqu’à ses poumons, qui l’assaillit. Un volatile nuage de fumée se forma entre ses fines lèvres et son nez. Il découvrait le froid. Celui-ci s’avéra si douloureux que son instinct poussa l’enfant à reprendre sa route.

D’un geste rendu lent par la difficulté à se mouvoir en de telles conditions, il tendit la main loin, devant lui. Les yeux à moitié-clos, la vue gênée par le souffle froid de la nature, il percevait les multiples couleurs de ce rideau éthéré tendu depuis les cieux. S’il ne perdait pas espoir, peut-être pourrait-il atteindre l’aurore boréale. Peut-être pourrait-il emprunter ce chemin par lequel il est arrivé, pour repartir. En voilà un malheureux accident. Je suis tombé. Se soufflait-il, au fin fond de son esprit. Et il aura glissé sur ce majestueux toboggan céleste pour atterrir sur Terre. L’enfant n’aimait pas les sensations qui accablaient son corps neuf. Il avait mal. Il avait peur. Il voulait retourner briller dans l’étendue nocturne, parmi les siens. De minces perles cristallines se formaient aux coins de ses paupières, gelant presque dans les secondes qui suivaient. Progressivement, ses mouvements se faisaient de plus en plus durs. Il usait toujours plus de ses maigres forces pendant qu’une fine couche blanchâtre se posait sur sa peau nue. Crissement régulier, l’étoile se disait que c’était injuste. Qu’il n’avait pas à s’éteindre à peine tombé. Et, pendant qu’il avançait douloureusement, il se dit que ce monde, ce monde qui n’en avait rien à faire de lui, était pourtant si beau, d’une certaine manière. Genoux à terre, son regard se perdit dans les couleurs chatoyantes qui dansaient au-dessus de sa tête. Sans même le réaliser, chaque parcelle de sa peau cristallisa sur place, le laissant dans une humble immobilité.

L’enfant reprit mouvement bien plus tard, à l’intérieur d’un chalet. Il ne savait combien de temps s’était écoulé depuis qu’il avait chuté mais, ce n’était pas une donnée importante à ses yeux. Secouru par un groupe inuit, il fit ses premiers pas en tant qu’humain parmi eux. Il leur expliqua la manière dont il était tombé et comment il avait voulu rejoindre les cieux en glissant sur l’aurore boréale. On l’écouta d’une attention rituelle. Puis, comprenant qu’il ne pourrait pas repartir, il baissa les épaules, dépité. On le nomma Siku, en inuktikut, puisqu’il était fait de glace, et on lui apprit le langage de ces contrées, ainsi que les traditions qui régnaient encore. Le nouvellement dénommé saisi assez rapidement que certaines d’entre-elles ne tenaient plus réellement, mais furent appliqués à cause de son statut d’étoile. Ainsi, comme il fut le cas autrefois pour les enfants de ces tribus, on ne lui demanda pas s’il était un garçon ou une fille. On ne lui donna pas non plus un genre. Il était libre de porter robes ou pantalons, et de se présenter sous n’importe quel genre tandis que les autres personnes le nommaient tantôt au féminin, tantôt au masculin, au choix. C’est une liberté que l’étoile décida de préserver bien plus tard dans son existence terrestre. Puis, Siku étudia le monde et les règles qui le régissaient. Cependant, le temps avait beau défiler, l’enfant ne parvenait pas plus à communiquer avec autrui. Au moins, évoluait-il heureux, entouré de visages qu’il avait appris à connaitre. Il allait en classe avec les autres enfants de son âge, se mêlant parmi eux, bien que les parents répétaient de considérer Siku avec précaution. Il y avait en effet tout un folklore, une mythologie liée aux astres, ainsi, l’étoile se surprit à être parfois déifié. Tout ce ménagement qu’on lui offrait le laissa grandir avec la sensation d’être important, et son égo demeura marqué d’une telle éducation.

Parlant le groenlandais, l’inuktikut, le danois, ainsi que l’anglais, Siku présenta le désir de voyager. De par la manière dont il avait été instruit, ainsi qu’à cause de son pouvoir encombrant de présence, l’étoile n’avait eu l’occasion d’oublier sa nature. Cependant, ses souvenirs liés à son existence d’avant, dans les cieux, se firent de plus en plus flous. De cette façon, il était envieux de voir d’autres paysages et surtout, de chercher l’humain avec qui il pourrait avoir un lien. Avec la bénédiction de sa famille d’adoption, une fois majeur, il s’en alla poursuivre ses études au Canada. Avant cette période, il n’avait jamais autant vu de personnes dans un même endroit. Cela le dérouta quelque peu, en plus de le dépayser, mais il fit abstraction de ces sentiments dérangeant pour se concentrer sur son travail et ses projets. Au début, il voulait devenir chirurgien, attiré par la curiosité de ce qui composait le corps humain. Mais, ses passions divergèrent grandement quand il découvrit le monde du spectacle, en particulier grâce à la télévision et internet. Alors, il eut l’envie de danser, et pris des cours, ainsi que de gymnastique. Puis, il s’intéressa aux métiers du journalisme, bien qu’il pratiquât toujours ces premières activités. Il voyagea de beaucoup, s’en allant par la suite en Europe, visitant de nombreux pays, s’inspirant des différentes cultures et de tout ce qui faisait des humains un tout diversifié. C’est lors d’un séjour un Biélorussie qu’une porte dorée s’ouvrit devant lui. On le remarqua pour sa fine stature et son allure particulière. On lui complimenta son élégance et sa démarche. On lui offrit l’éducation du mannequinat, secteur dans lequel il travaillera finalement.

Cette place lui permit bien des choses auxquelles il n’aurait pu aspirer autrement. La paye était bonne, il était amené à voyager, alors certes, les déplacements réguliers ainsi que la charge de travail rendaient ce métier étonnamment  physique néanmoins, Siku s’en accommodait bien aisément. De plus, il aimait cette sensation d’être admiré, observé, étudié sous tous les angles pour apparaitre de la manière la plus plaisante sous l’objectif ou bien sur le podium. On pouvait bien faire ce que l’on voulait de son corps, l’étoile ne désirait qu’être contemplé, quelle qu’en soit la manière. Il fit de nombreuses rencontres, sans pourtant en retenir certaines comme étant importantes si elles n’étaient liées à son travail. Des visages passagers, de brefs camarades de bar, ou volatile compagnie de nuit, aucun ne trouvait réellement grâce à ses yeux. Enfin, avec le temps, l’intérêt de Siku grandit au sujet du soleil levant. Quelque chose qu’il n’aurait pu expliquer l’attirait inexorablement vers ces contrées. Tout en travaillant, il étudia le japonais, ayant quelques difficultés avec cette langue au début, et plus particulièrement au niveau de l’accent, qu’il avait mauvais. Puis, il chercha un travail fixe dans le pays et eut la chance de rencontrer un recruteur d’une agence de mannequinat qui était intéressé par son physique et son statut sans genre. Depuis ces longues années, Siku était reconnaissant envers cette famille qui l’avait recueilli, alors qu’il n’était qu’un enfant, seul, perdu sur les plaines glacées du nord du Groenland. Cependant, il ne leur avait jamais envoyé trop de nouvelles. Peu, au début de ses études, pour finalement couper les ponts avec eux. Ce n’était pas par ingratitude, ni même une dispute qui avait provoqué cela. Le désintérêt avait simplement noyé le cœur de l’étoile, le même sentiment qui lui faisait oublier de rappeler ses conquêtes ou même de garder contact avec de potentiels ‘‘amis’’. C’est de cette façon, comme prêt à débuter une nouvelle vie, que Siku embarqua tout droit pour la ville d’Hoshikami.