We • Elli/an [Terminé]

couleur des yeux — rouge rubis ; couleur des cheveux — blond à l'instar du champagne pétillant. Il lui arrive que ses pointes soient parfois colorées d'une couleur inhabituelle : bleu, vert, rouge... Ce n'est que le produit d'une teinture ; taille — 169 cm ; poids — 55 kg ; cicatrices — Il y a une tache de naissance gravée sur son flanc gauche, à peine visible dû à sa couleur chaire. Elle fait la taille d'une pièce de deux euros et a la forme d'un cercle parfait ; style vestimentaire — Des habits légers et amples aux couleurs pastelles ou délavées, accompagnés d'accessoires délicats comme un collier ornant son cou fin et un bracelet de cheville doré. Rien de très excentrique en somme.

Nom du pouvoir — Plaisants rêves insufflés
Description du pouvoir — Qu'y a-t-il de plus agréable que le rêve ? Qu'importe l'heure, vous ne pouvez vous empêcher de laisser vagabonder votre esprit au gré de vos envies. Vos paupières lourdes se closent sans effort et vous êtes emporté dans un paradis créé de vos propres fantasmes. Vous vous sentez si bien, là, à l'abri de vos soucis. Vous voudriez même y rester pour la vie. Demeurer dans ce monde chimérique pour vivre une histoire heureuse vous tente plus que réémerger dans la réalité triste. Malheureusement, les rêves vous sont indomptables, insaisissables même, et peuvent très vite se troubler.

Maintenant, imaginez Hypnos, Dieu du sommeil et maître du rêve. Il est incarné, ici, par une douce voix qui vous berce le subconscient de son timbre voluptueux. Il vous conte, avec une éloquence sans pareille, ce joli songe qui vous plaît tant. Vous buvez jusqu'à plus soif de ses mots ensorceleurs et êtes plongé dans cette dimension relaxante, au point de croire que cela puisse être vrai. Si votre raison vous dicte avec entêtement que ce n'est qu'un fantasme, il n'empêche pas que vous puissiez inconsciemment confesser d'intimes pensées. Vos lèvres parleront pour vous et vous n'en saurez rien. Vous ignorerez sciemment les signaux de votre cerveaux pour continuer à flâner dans cet univers presque parfait.

Pourquoi ne peut-il l'être complètement, après tout ? En vérité, Ellian n'est pas le maître du rêve, loin de là. Ille ne sait que vous insuffler une esquisse de l'Olympe, limité par la barrière de votre propre imagination et de ses paroles. L'hésitation et les bredouillements ne sont admis que s'ils sont nécessaires au récit. Un rien peut briser l'équilibre de ce fragile monde onirique. Un esprit imperméable à la tendresse de son ton pourrait, par exemple, l'empêcher de vous emmener à votre tant désiré Eden.

« Les mots peuvent assassiner tout autant que les armes. » (1)

Inspirant lentement l'air de la forêt, je constate — fascinée — que le paysage bucolique face à moi ne comporte aucune trace de la civilisation humaine. Je foule donc ces terres vierges avec un amusement enfantin, profitant de cette tranquillité pour m'installer au creux d'un tronc inhabité. Bercée par la nature, je ferme doucement mes paupières et rêve secrètement du monde étoilé. Malgré sa noirceur naturelle, il brille dans ma mémoire et s'orne d'une longue rivière blanche sur son sein. Sa beauté m'émerveille et mes songes en sont inspirés. Pourtant, cela ne me manque pas. Du moins, pas encore. La Terre — que j'aime parfois à appeler Gaïa — n'a rien à envier à sa voisine du dessus et a grand nombre de merveilles que l'autre ne possède pas.

Imaginez-vous l'éclat du soleil à travers le feuillage vert, ses rayons chauds vous caressant tendrement la peau et vous souriant à vous réchauffer le cœur. Là, un mélodieux chant animal jaillit d'une branche au-dessus de votre tête et vous offre un rare spectacle d'oisillons tout juste nés. À côté de cela, je ne peux également m'empêcher de deviner la vie mystérieuse de ces autres animaux, cachés derrière ces buissons broussailleux et ces roches lourdes. L'inspiration me vient brusquement. Je sors donc un nécessaire à dessin que j'apporte constamment avec moi et qui me permet de m'exprimer sans mot. Les arts divins que l'Homme sur Terre a créé donne des possibilités nouvelles et rend compte de dimensions dont on n'aurait pas soupçonné l'existence. Je me concentre et tends l'oreille pour écouter le doux son du crayon grattant le papier. C'est le moment que je préfère dans la journée.

« On ne peut voir la lumière sans l'ombre, on ne peut percevoir le silence sans le bruit, on ne peut atteindre la sagesse sans la folie. » (2)

Quel spectacle grotesque. J'interromps les mouvements hasardeux de ma main pour observer les tracés insensés qu'elle a esquissé. Ils ne me suscitent aucun sentiment. Je reconnais bien là, la cime des arbres accompagnée de silhouettes chimériques et d'autres incohérences. Je suis formel : cela ne me fait pas sens. De ce fait, je me redresse en me dépoussiérant minutieusement et découvre les pieds nus et sales que sont les miens. Pourtant, je hais la solitude qu'apporte ces lieux isolés et éprouve des difficultés à supporter cette quiétude presque trompeuse. Je souhaite me retirer de ces bois. Néanmoins, je me retiens de le faire. Elle n'en a pas envie. Si même je l'avais fait, j'aurais été de retour ici à mon réveil. Un compromis se conclut alors avec moi-même et je m'approche de la ville sans pour autant quitter la végétation luxuriante.

« Je me demande qui je suis, dit Dieu. Peut-être suis-je un compromis conclu par l'être et le non-être aux dépens de moi-même... » (3)

Ennuyé, je m’accroupis près du sol et me penche au-dessus de son carnet à croquis que j'ai gardé. Je ne suis que peu satisfait de ma décision. Ceci n'est que l'équilibre de nos discordances. Si j'ai le contrôle complet, rares sont les moments où j'agis sans réfléchir. Après tout, les conséquences de mes actes se répercutent sur nous deux et nous blessent sans distinction. Je soupire et me perds dans la contemplation de son ébauche inachevée ; alors que des pensées parasites ont commencé à s'insinuer dans mon esprit bien avant que je le remarque. J'y vois le fugace concept de la vie et de la mort puis, s'y enchaîne rapidement la raison pour laquelle nous sommes nés. Sans même le vouloir, la machine de la pensée — comme venant d'être graissée — s'est engrenée d'elle-même et a poursuivi son propre développement.

Il est difficile de deviner comment tout se déroulera lorsque nous rencontrerons l'humain en question. Je suis au courant — nous le sommes presque tous — de cette histoire d'étoile gardienne et de cette supposée destinée. Pour être tout à fait franc toutefois, je n'adhère pas un seul instant à ce mythe sans queue ni tête. Qui donc a décidé d'une pareille injustice à l'égard d'âmes égarées comme nous, tout comme eux ? Pourquoi doit-on souffrir de l'imprudence d'un Homme au lieu de se contenter de les observer de là-haut ?

Mes interrogations s'arrêtent abruptement au milieu d'un fouillis de questions et je me laisse aller sans grâce sur le sol. Ma réflexion ressemble à un fil décousu que l'on a soudainement coupé. Un avis contraire et des protestations se manifestent silencieusement et me rappellent à l'ordre. Malgré cet instant de désaccord, nous convenons mutuellement à une chose : l'essence de notre être nous suffit amplement à tous les deux.

« C'est à travers leurs transformations que le principe des êtres devient visible. » (4)

« Au commencement de l'humanité, les hommes étaient des êtres complets. Ils n'étaient que le résultat de deux êtres qui se fondaient parfaitement entre eux. Leur silhouette ressemblait à une sphère parfaite et chacune des têtes contrebalançait la personnalité de l'autre. C'était l'histoire des âmes-sœurs. »

Quand tout cela débuta, les étoiles ne surent pas ce qui leur arrivait immédiatement. C'était étrange, si étrange qu'elles ne firent pas tout de suite le lien entre les récents événements et cet appel. D'habitude, elles se contentaient de veiller maternellement sur Gaïa sans communiquer. À présent, un puissant scintillement émanait de leurs corps et une chaleur intense les embrasait tandis qu'elles fusionnaient malencontreusement ensemble. Lentement mais sûrement, leurs corps se métamorphosèrent sous leurs yeux et bientôt des bras, des jambes et des doigts naquirent d'elles.

Bien assez tôt — peut-être trop, une force inhabituelle vint les frapper, les forçant à quitter leur cocons ténébreux pour la Terre. « Que se passe-t-il ? Où allons-nous ? » s'enquirent-elles innocemment. Leur arrivée dans l'atmosphère fut marquée d'un point lumineux dans le ciel et très vite, elles firent connaissance avec une surface douloureusement dure. L'air était étouffant. Il ne l'avait jamais été avant. Elles se sentaient compressées et mal en point. Si elles avaient hérité de membres humains, ceux-ci ne semblaient pas de la bonne taille, ni très fonctionnels. Minuscules, pâles et chétifs, comment pouvaient-ils supporter leur propre poids ?

Les étoiles se rendirent tout d'un coup compte de la fragilité des hommes. De là-haut, les blessures et les maladies dont ils étaient victimes leur avaient toujours été un mystère. En se contemplant, elles ne comprit pas tout de suite l'utilité de ces appendices donnés. Ils étaient bien trop longs et peu flexible pour les rétracter. De même, cette silhouette sinueuse semblait être le résultat de l'agencement de ces organes en trop. L'une des étoiles conclut que ces maux n'étaient dû qu'à la forme excentrique de leur corps.

Une seconde, moins convaincue par cette hypothèse, ne tint pas compte de ses suppositions et préféra reporter son attention sur l'homme qui venait à leur rencontre. D'un rapide coup d’œil, il était évident que cet humain était différent d'elles. Sa carrure musclée malgré son dos arqué et ses traits tirés sur son visage serein révélaient déjà du personnage un grand nombre d'informations. Dans ses yeux sombres, l'enfant put lire ce qui paraissait être de l'inquiétude sincère et il se sentit touché par son altruisme.

— Eh, petit ! Est-ce que ça va ? Comment t'appelles-tu ? l'interrogea-t-il d'une voix rocailleuse en venant la récupérer aussi délicatement que possible.

L'amas nu d'étoiles — représentant un bambin d'à peine quatre ans — se laissa docilement emmener dans une demeure rustique un peu plus loin. Ce fut ce jour-là qu'elles firent la rencontre de ce qu'elles appelèrent, plus tard, leurs « parents ». Le couple qui les prit en charge était des agriculteurs australiens qui vivaient modestement leur vie, sans fioriture et autres affaires superficielles. Leur quotidien était l'idéal de tout homme. Dans ce petit village dans lequel ils vivaient, rien ne paraissait ternir le tableau idyllique que l'addition de tout ces éléments avait créé. Rien, sauf peut-être un léger détail.

« Un bébé est une façon pour Dieu de dire que le monde doit continuer. » (5) lui avait dit son père.

Ces deux humains étaient tous les deux stériles, incapables de procréer et de donner au monde un être rassemblant leurs meilleurs gènes en une seule et même personne. Ils avaient tout essayé : des recettes de grand-mère aux rituels entendus de pays exotiques. Ils ne négligèrent aucune piste. Néanmoins, leur désespoir fut tel qu'ils commencèrent à songer à adopter depuis peu. Puis, avant même d'en avoir approfondi le désir, le ciel — comme ayant enfin écouté leurs prières — leur fit don d'un présent qui avait la forme d'un enfant pur et innocent. Ils le nommèrent Ellian, l'étoile tombée de la voûte céleste.

Enfin, la peinture était complète. Les Harpers étaient maintenant rassurés de voir leur nom perdurer et leur amour infini se diriger vers un petit bout d'homme qu'ils pouvaient appeler leur fils... ou leur fille. Malgré cette étrange particularité, ille fut considéré comme un être à part entière, ni homme, ni femme et fut de même choyé avec une affection inaltérable et ineffable. Cependant, cette chance inouïe ne dura pas. Quelques années après l'arrivée d'Ellian, les deux vieux humains s'éteignirent pour ne laisser que les cendres de leur vie derrière eux.

Placée sous la tutelle d'une parente éloignée, sa vie changea radicalement du jour au lendemain. Ses « troubles de la personnalité » s'aggravèrent grandement et on l'emmena inéluctablement chez un spécialiste des maladies imaginaires. On déclara que l'enfant était « schizophrène » mais, cela n'était qu'en partie vrai. Les humains ne connaissaient rien aux étoiles. Du moins, il n'en savait qu'une couche superficielle qui n'était pas assez pour prononcer un pronostic sur la santé mentale de l'une d'elles. Ainsi, il ne savaient pas que cette enfant n'était pas un cas banal et plus précisément, qu'Elli était différent d'Ellian. Si de prime abord, leur condition ne paraissait pas les gêner ; au fur et à mesure de leur croissance, leur individualité s'était développée de sorte que l'une empiète sur l'autre.

On remarquait alors que la première était moins à l'écoute de la deuxième et qu'une moitié était plus masculine que la seconde. Le contrôle du corps se décidait aléatoirement, les gestes brusques de leurs membres alertaient leur entourage. De surcroît, l'apprentissage de la bienséance fut terriblement difficile pour l'enfant étoile. À l'école, la différence avait creusé un fossé entre Ellian et les autres enfants de son âge. Non seulement à cause de son sexe particulier mais également, dû à sa personnalité étrange et à son attitude marginale. Les instituteurs, les surveillants et le directeur étaient plus strictes que ses défunts parents, moins enclins à être sollicités lorsque les choses allaient mal. Les discussions étaient impossibles, les paroles échangées avec ses camarades visaient presque toutes un but vil. Il était probable que l'environnement lui-même était malsain.

Où que l'étoile allait, des ricanements inquiétants et des insultes virulentes la hantaient. Malheureusement pour elle, l'injustice et la malveillance humaine furent ses compagnons les plus fidèles au bataillon et résultèrent d'une scolarité mentalement éprouvante. Sa douceur s'écorna lentement sous l'assaut de cette vilenie incessante et bientôt, elle ne devint plus qu'une bulle imperméable ne contenant assez d'espace que pour elle-même.

« La vie n'est pas un conte de fées qui finit bien. Le monde est un endroit cruel, triste, où tant de choses à tout instant se trouvent gâchées par la méchanceté des hommes. » (6)

La lecture était son seul moyen de s'échapper de cet Enfer sur Terre. C'était pour elle, l'unique preuve témoignant encore de la délicatesse et de la tendresse des hommes. Irrévocablement, le souvenir de ses parents s'estompa pour ne devenir qu'un rêve abstrait, rappelé par le bracelet en or accroché à sa cheville et, la tristesse de leur mort ne devint qu'un poids supportable sur ses épaules. La vie s'était transformée pour elle en une agonie sans fin à laquelle elle ne pouvait y mettre un terme. Cette hargne de vivre, qui lui venait de l'autre côté, l'empêchait d'en terminer une bonne fois pour toute.

De même, il y avait encore cette clémence persistante qui naissait de cette envie de croire en la race humaine. En effet, l'enfant étoile était capable de voir, dans la richesse du langage, une logique alambiquée et des peurs qui lui devenaient accessibles. Pour ainsi dire, plus elle lisait de livres, mieux elle comprenait cette cruauté provenant de leurs propres faiblesses. « Peut-être ne sont-ils pas tous des monstres ? » se surprit à penser Ellian dans un minuscule coin de son cerveau.

« Toute méchanceté vient de faiblesse ; l'enfant est méchant que parce qu'il est faible ; rendez-le fort, il sera bon. » (7)

Ses seules demandes auprès de sa tante étaient, pour cette raison, uniquement constituées de listes d'ouvrages et d'œuvres divers. Pendant ce temps, la haine quotidienne dont elle était victime à l'école continuait de déferler avec intensité. Si les livres lui permettaient de voyager dans un monde utopique, créé par des hommes aussi amoureux qu'elle de la bonté, sa haine envers ces créatures délétères ne parvenait pas à s'adoucir d'une once. Veiller sur eux ? La question était difficilement débattue. Si Ellian était prête à donner une chance à leurs pairs, cela n'était pas le cas d'Elli.

Comment possiblement choyer et aimer le genre humain si celui-ci se montrait exécrable à leur encontre ? Avaient-ils prononcé ne serait-ce que l'envie d'apparaître sur cette planète peuplée de créatures infectes ? Cette différence, il ne l'avait point choisi. Tout comme l'un pouvait naître avec un membre en plus, Elli était né avec un sexe atrophié. La façon dont avait crû ses appendices n'avait jamais été décidé par l'adolescent et, cette cohabitation mentale à présent indésirée, non plus. C'en était plus qu'assez de ces railleries stupides. Il fallait que ces idiots d'humains comprennent que les étoiles n'étaient pas simplement des êtres pacifiques. Il fallait se venger et retourner cette animosité injustifiée contre eux-mêmes.

— Tes moqueries ne m'atteignent pas. Ta violence verbale n'est que le reflet de ta déplorable vie. Tu tentes de te montrer plus fort que tu ne l'es, tu essaies de te convaincre que tu vaux mieux que moi mais... (Un rire de dédain lui échappa.) ...plus tu laisses cette haine paraître, plus tu me fais voir combien ton amour-propre est d'un niveau décevant. Tu crains tes faiblesses. Ton pathétique air supérieur me répugne encore moins que ton existence même. Disparais de ma vue, misérable.

Ses paroles étaient claires. Elles étaient teintées de la même véhémence dont faisait preuve ses harceleurs. Ces derniers, de surcroît, paraissaient éberlués de constater qu'Ellian était capable de répliquer d'une langue vipérine à son tour. Il semblait pourtant qu'il manquait d'une chose ; de plus d'éloquence ou de méchanceté à ses répliques, peut-être ? Il ne le sut pas sur le moment et à vrai dire, n'y prêta pas réellement attention. Étrangement, son image et sa situation se rééquilibrèrent suite à cette altercation. Il put voir des humains plus conciliants et moins vils venir à sa rencontre pour admirer le courage dont il avait fait preuve. Visiblement, il n'avait pas été la seule victime de ces enfants sans cœur. Néanmoins, ce fut grâce à la conséquence de leur brimade continuelle que l'adolescent put prétendre, l'espace de quelques instants, vivre une vie normale.

« Bonheur : un mot fragile, évanescent, léger, surtout. » (

L'ordinarité. Une bien étrange notion qu'Ellian n'avait jamais connu jusqu'ici. Se soulever contre la hiérarchie avait eu du bon et du mauvais, en fin de compte. D'un côté, elle avait empiré l'animosité qu'elle inspirait à son harceleur ; et de l'autre, elle avait gagné des amis qu'elle pensait précieux. Un sourire put enfin éclore sur ses lèvres pêches et illuminer son visage neige pendant qu'elle cultivait son éloquence naturelle. Aidée de la littérature, ses paroles sonnaient presque divines et lui échappaient seules de sa bouche comme mue d'une volonté propre. Au fur et à mesure que les mots remplissaient la partition, on pouvait entendre se former une douce mélodie aux oreilles de son auditoire.

On disait souvent de l'adolescente qu'elle était en verve, qu'elle charmait les humains de sa voix délicate et de ses mots enchanteurs. Peu résistait au son suave de son timbre et tentait d'échapper à ce charme indéniable. Toutefois, qui disait génie inné, signifiait également jalousie et envie. Ainsi, cette sorte de don « formidable » lui attira à la fois l'admiration de certains et le malheur d'autres. Qu'y avait-il de plus douloureux que ce sentiment âcre vous rongeant les entrailles ? Que faire de cette déception portée par et pour vous-même ? Et qu'en était-il de cette rage bouillonnante qui ne pouvait être apaisée dans l'immédiat ? Le saviez-vous ? Si l'on était capable de qualifier une nourriture de sucrée, c'était qu'il y avait déjà une comparaison avec un aliment salé ou amer dans notre esprit. De ce fait, le « talent » dont faisait preuve Ellian paraissait fort étrange, lorsqu'Elli prenait la relève.

Contrairement à elle, le jeune garçon n'était pas pourvu de cette brillante compétence, malgré le fait qu'ils partageaient le même corps. Lorsqu'il parlait, il n'y avait pas ce paysage fantasmagorique qui se fabriquait de ses mots. Ses tirades ne devenaient pas des symphonies ensorcelantes et n'inspiraient pas de quiétude aux gens. Ses paroles n'étaient qu'une succession de sons durs que son timbre haineux, maculé par la rancune qu'il portait aux humains, faisait résonner comme les martèlement du forgeron. Le mécanisme était différent.

« Je suis le calme, le repos et la paix
Tu es le bruit, la colère et le conflit » (9)

Grâce de ce don, Ellian avait plus de facilité à se faire aimer de ses camarades. Son cercle d'ami s'agrandit perceptiblement et sa réputation de bouc-émissaire commença à être de l'histoire ancienne. La candeur de son expression attirait les humains esthètes et la facilité avec laquelle on l'approchait était également une qualité qui contribuait à sa popularité. Elle semblait être un ange échoué sur Terre, peut-être pour transmettre la bonne parole. Seulement, on entendait parfois des rumeurs que ce chérubin, plutôt qu'un messager de Dieu, se trouvait être une créature déchue d'En-Haut.

En contraste avec cette personnalité lumineuse, lui préférait se disputer avec ses camarades. Il tentait de semer la discorde entre eux, pour réduire à néant les efforts qu'avaient fourni la demoiselle. Pourquoi aurait-il voulu rester en compagnie de personnes qui le jugeaient arbitrairement et sans les différencier ? Il ne voulait pas les côtoyer et les supportait encore moins. Il les haïssait tous en secret. Il ne se sentait pas à sa place à leur côté et ne comprenait pas l'utilité de cette politesse obligée. Sa rudesse était sa marque de fabrique et tout au fond de lui, il rêvait de leurs morts. Il y avait des périodes où sa colère débordait, où sa rage faisait des siennes et qu'il les envoyait paître d'une injure et de coups mesurés. N'étant pas bien musclé, rares étaient les moments où il sortait vainqueur des bagarres mais, qu'importait le résultat quand une réplique acerbe bien placée suffisait à ébranler les convictions de l'un ?

« Je suis le cœur battant aux sons de l’amour
Tu es le sans-cœur inhumain aux percussions infinies » (10)

Il n'y eut qu'une fois où sa véhémence alla trop loin et dépassa le stade de la simple méchanceté. À ce moment-là, Elli avait remarqué l'étrange sentiment que ressentait sa moitié féminine pour un humain de sa classe. Un brun aux yeux bleus affublé d'un corps déjà viril pour son âge et répondant au  doux nom d'Ed. Involontairement, il ressentit également cette envie singulière d'être à ses côtés et ne put ignorer ces battements de cœur précipités lorsqu'ille était en sa présence. Il allait sans dire qu'il abhorrait cette joie idiote qu'ille ressentait lorsque l'objet de cette affection était à proximité. Assez vite, l'étoile comprit que cela s'appelait de « l'amour ». Stupide chose que c'était. Cela le rendait si faible qu'il ne pouvait pas s'empêcher de rosir en son souvenir. Cette attitude de jouvencelle le répugnait tellement qu'il décidait, un jour, d'y mettre fin.

— Je suis désolé de t'avoir fait venir ici. J'ai une chose importante à te confier qui ne peut être dit en face d'autres personnes...

Il baissa la tête en une gestuelle timide pour masquer la couleur de ses joues et esquissa un fin sourire embarrassé qu'il ne put réprimer malgré toute sa volonté. Était-il heureux que l'autre lui portait assez d'intérêt pour venir sur le toit de l'école ou bien, était-ce une simple anticipation pour la suite des événements ? La réponse n'était pas claire. De toutes manières, le garçon face à lui l'interpréta comme de la gêne, ce qui eut pour effet de l'adoucir. De ce fait, il l'encouragea à poursuivre en ce sens.

— Dis-moi... ?
— Et bien, j'ai peut-être l'air étrange à tes yeux mais, je... je crois que je suis amoureuse de toi.

À l'expression qu'il arborait, il s'en était déjà douté. Des rumeurs avaient circulé et voilà ce qui en résultait. Des oreilles traînantes avaient entendu une conversation entre ses amis et lui. Il avait semblé, en vérité, que le jeune homme était un brin intéressé par la demoiselle. Toutefois, il n'avait pas eu le courage de se jeter à l'eau jusque-là. C'était pourquoi, il était bien heureux que ce fusse Ellian qui prit l'initiative. Par ailleurs, c'était en partie pour cela qu'Elli avait décidé de procéder de cette façon et que le garçon ne l'interrompit pas.

— Je ne sais pas ce que tu penses de moi, ni même si tu partages ces sentiments à mon égard ou si, cela ne sonne que comme une plaisanterie pour toi. Je suis cependant sincère. Je souhaite que tu m'aimes en retour. Ainsi, tu répondras à ma déclaration et viendra me prendre délicatement dans tes bras pour me répondre.

Il commença à s'approcher de lui et tendit lentement ses bras dans l'intention de l'enlacer. « Oui, c'est ça. Viens m'embrasser de cette étreinte mortelle. » jubila-t-il en pensée alors que son vis-à-vis refermait ses bras autour de lui. Si ses joues lui brûlaient de bonheur, l'adolescent n'attendit pas que ses deux mains se joignirent pour terminer l'embrassade. Nonobstant les protestations de sa moitié, il recula discrètement jusqu'au bord du toit et le fit basculer dans le vide, l'y poussant presque sans pitié tout en admirant ce délectable spectacle. « Non ! » protesta-t-elle en ayant tenté de réduire la puissance avec laquelle l'étoile poussait la pauvre victime. Il était cependant trop tard pour empêcher Ed de tomber. Son funeste destin l'avait déjà rattrapé. Le corps s'écrasa dans un bruit sinistre sur l'un des buissons de l'école et y resta inerte, à l'instar d'une cerise qui venait orner le sommet d'un gâteau. Ille contempla son chef-d'œuvre avec un sourire immoral sur les lèvres et quitta la scène de crime sans jeter un regard en arrière.

Quelques temps après, l'ambulance et les forces de l'ordre arrivèrent pour s'occuper du blessé et d'enquêter sur l'affaire. Heureusement pour lui, il n'y avait pas eu de témoin oculaire et on ne pouvait donc pas l'incriminer à tort et à travers. Heureusement pour elle, Ed n'était pas mort sur le coup. Il était seulement dans un état exécrable, en plus d'être dans le coma. Le massif sur lequel il s'était échoué avait joué le rôle de matelas d'atterrissage. Néanmoins, elle demeurait obstinément muette et chagrinée à la suite de ces événements. Encore sous le choc d'avoir été témoin d'une telle atrocité, elle se renferma sur elle-même et se plongea âme perdue dans les arts pour extérioriser son traumatisme.

Quelque chose semblait s'être brisé en elle. L'amour inconditionnel qu'elle portait pour autrui s'était considérablement émoussé. Elle ne parvenait plus à ressentir de joie en compagnie d'humain sans éprouver du remord et de l'inquiétude. « Et s'il recommençait ? » se demandait-elle incessamment, presque paranoïaque. On voyait, sur son visage fatigué, que la culpabilité lui rongeait l'esprit. Il n'y avait plus de retour en arrière. Elle perdit ses amis un à un, sombra dans la dépression et s'isola de plus en plus. Elli, quant à lui, prenait plaisir à la torturer en restant dans un environnement animé.

Cette attitude ne perdura pas cependant. Les conséquences de ses actes rattrapèrent bien vite le jeune homme qui se vit impacté par le désespoir d'Ellian. Sa frayeur empêchait sa moitié de se mêler à la foule et le contraignait dans chacun de ses gestes. Comment vivre aux dépends d'une peur irrationnelle telle que l'anthropophobie ? Comment profiter d'une jeunesse éphémère, lorsque l'on était opprimé de la sorte ? Lui avait prit goût au contact humain, tandis qu'elle avait appris à apprécier le calme de la solitude. Lui aimait s'offrir des sorties en ville pour observer les néons des établissements encore ouverts, pendant qu'elle se contentait de les griffonner sur un carnet à croquis et développait ses connaissances artistiques.

Le conflit interne qu'entretenait l'étoile se ressentait au quotidien. Il arrivait qu'Elli se réveillait dans des lieux isolés, loin de la métropole, et jurait aux cieux vengeance ; alors qu'Ellian pouvait se retrouver encerclée par une masse informe, pleine d'inconnus à craindre le contact humain. Les tours vicieux n'en finissaient jamais et d'aucun ne se laissait un temps de repos. L'ange se transformait lentement en un démon déguisé. Puis, un jour, il y en eut assez. La tension atteignit son comble, lorsqu'elle commença à le menacer de mort. S'ils voulaient continuer à cohabiter ensemble, la communication était nécessaire.

« Vivons en paix, exterminons discord ;
Ieunes et vieux, soyons tous d'un accord[…]. » (11)

La nuit était tombée. L'étoile avait quitté la demeure familiale pour une balade sur le promontoire dominant la ville, à la lisière du bois et à la bordure de la banlieue la plus proche. La raison de cette escapade était évidente : se donner une chance de recommencer et espérer que la hache de guerre soit enterrée. Les innocents avaient suffisamment souffert de leur discorde, Ed en était l'exemple même. De plus, le lycée à présent terminé, Ellian se devait de faire un choix pour son avenir. Mais, comment se décider quand ses esprits se faisaient une guerre des contraires ? La jeune femme s'allongea à même le sol, se mit à l'aise et leva ses yeux vers le ciel obscur.

« — Elli... ?
— ...Je suis là, Anne.
— Ce que nous faisons est ridicule.
— Je le sais.
— Alors, peut-être devrions-nous arrêter et avancer ?
— Peut-être.
— Nous vivrons ensemble jusqu'à la fin des temps. Nous devrions nous entendre, si ce n'est qu'en apparence. Faisons des compromis, je t'en prie. Je n'ai pas envie que d'autres subissent le même sort qu'Ed... » (Il y eut quelques secondes de silence.) « La compagnie des humains n'est qu'un prétexte pour tromper le vide qui te dévore intérieurement. J'ai compris que tu cherchais à te mettre en valeur mais, tu n'as pas à faire cela pour que je te vois. Tu es Elli et je suis Ellian. Personne d'autre ne le sait. Je serais toujours la seule à reconnaître ce fait. Rends-toi à l'évidence... »

— ...Nous sommes deux moitiés qui forment un tout.

Le clair de lune fut le premier témoin de cette union harmonieuse. Enfin, une paix intérieure, certes précaire, naquit de cette singulière nuit d'Octobre 2013. Il fut décidé dans la foulée qu'Ellian serait encouragée à cultiver ses talents artistiques, tandis qu'Elli serait en charge d'affaires pratiques et des relations humaines. S'ils ne pouvaient pas encore maîtriser le temps ou l'ordre de leurs apparitions, il n'empêchait pas que l'étoile était enfin capable d'avoir un mode de vie saint, sans plus d'abus de pouvoirs.

Plus tard, Ellian apprit l'existence de Hoshikami — une île près des côtes japonaises où une multitude d'êtres similaires à eux avaient établi résidence. Par la même occasion, cela lui permit de se rappeler de cette légende familière d'étoile gardienne. Sa mission. Ille l'avait presque oublié en deux décennies de vie et après toutes ces mésaventures avec l'espèce humaine, l'idée ne faisait pas l'unanimité. Ille décida néanmoins de se rendre sur l'île, envieux de prendre son indépendance et un nouveau départ. Il commença à rêver de personnes enfin aptes à les comprendre. Elle songea aux nouveaux paysages qu'elle y aura découvert.

En Janvier 2016, ce projet se concrétisa et ses économies se volatilisèrent au profit d'une vie modeste sur l'archipel. En attendant de meilleures opportunités, Ille se trouva un emploi à mi-temps en tant que fleuriste pour subvenir à ses besoins. C'était, pour l'étoile, un commencement nouveau qui voyait le jour dans l'équilibre le plus parfait... mais, pour combien de temps encore ?

« Le monde, enveloppé dans cette symphonie, 
Comme il vogue dans l'air, voguait dans l'harmonie. » (12)