Le jour de l’incident, Chlodwig comprit très rapidement que, cette fois, quelque chose n’allait pas : il était heureux. Et pas un de ces bonheurs courants où quelque chose vous pèserait toujours sur l’esprit si vous preniez le temps d’y réfléchir, non. Là, il avait beau essayer, il ne voyait rien qui puisse le faire râler, rien qui ne soit pas à son goût : il était désormais comblé.
Sauf que, comme chacun le sait, humain ou étoile, il est tout simplement impossible d’être absolument heureux. En tout cas pour les adultes. Et il était incontestablement un adulte, même si l’on ignorait cette vie céleste dont il se souvenait. Le monde n’accepterait jamais quelque chose comme ça, sinon il ne tournerait plus rond.
Sa respiration se fit saccadée alors qu’il prenait conscience de ce qu’il se passait. Jusque là, il était toujours resté calme. Bon, d’accord, il y avait eu quelques petits incidents ici et là, mais rien de grave. Alors qu’aujourd’hui, il venait techniquement de commettre un crime.
En soi, on ne pouvait pas dire qu’il regrettait quoi que ce soit, au contraire : lui aurait-on donné le choix, il aurait recommencé sans hésiter. Récidiver ne serait pas non plus impensable mais, pour l’instant, il devait fuir. Parce que les bruits qu’il entendait lui indiquaient très bien que des gens étaient en train d’arriver et que, s’ils le prenaient en flagrant délit, c’en serait fini de lui.
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Lorsqu’il est tombé du ciel, Chlodwig était bien entendu déboussolé mais il finit bien vite par reprendre ses esprits. Il savait qu’il était une étoile, qu’il avait vécu dans les cieux et qu’il devait retrouver l’humain auquel il était lié. Mais il savait aussi qu’il lui était impossible de s’occuper de ça pour l’instant et qu’il devait se concentrer sur le présent.
La première chose qu’il fit sur Terre fut donc la course, tentant difficilement - avant d’échouer lamentablement - d’échapper à la chèvre qui se trouvait avec lui et qui avait manifestement mal pris le fait de se faire écraser, même par une étoile. N’étant ici rien de plus qu’un enfant de six ans, il ne pouvait pas faire grand chose d’autre que de perde face à cet adversaire incongru.
C’est donc sous la forme d’une petite tête blonde roulée en boule qu’il finit par être découvert par - et donc découvrir - le propriétaire de la bête qui s’était approché, conscient que quelque chose perturbait son troupeau. Et que le pauvre Chlodwig fut ramené vers le village le plus proche sur une carriole bringuebalante qui lui donnait la nausée.
Les gens de ce village n’étant dans l’ensemble que des agriculteurs avec peu de moyens mais ne rechignant pas à avoir plus de bras pour les aider sa présence fit polémique dès que l’on s’aperçut qu’il n’avait probablement pas de parents. Celle-ci prit fin bien vite lorsque la jeune étoile réussit à faire comprendre à ces adultes indécis qu’il n’avait pas la moindre envie de voir d’autres chèvres.
Il finit par être adopté par une famille aisée de Wiesbaden où il devint l’aîné d’un enfant qui était né quatre ans avant qu’il ne tombe du ciel. C’est au sein de famille que Chlodwig passa ses années de jeunesse, renonçant à chercher l’humain auquel il était lié pour l’instant pour la simple et bonne raison qu’il n’avait pas les moyens d’aller où que ce soit.
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En temps normal, Chlodwig était quelqu’un que l’on pouvait qualifier de posé et de réfléchi. Mais, au vu de la situation dans laquelle il s’était retrouvé, son cerveau commençait à faire un peu n’importe quoi et il avait du mal à comprendre ce qu’il devait faire. Tant et si bien que, plutôt que d’essayer de s’échapper loin de la scène du crime, il tenta de se cacher.
Alors qu’il réfléchissait à toute allure, il n’arrivait pas à sortir de son esprit le fait qu’il était une étoile et qu’il aurait du protéger l’humain auquel il était lié - qui qu’il soit. Et pas risquer de le mettre en danger en mourant prématurément dans une cellule de prison - ou pire, un laboratoire.
Plus il essayait de penser à autre chose, de se concentrer sur la manière dont il pourrait se sortir de ce pétrin sans être découvert, et plus ces pensées inutiles lui revenaient en tête. Son poing s’écrasa contre une étagère qui, elle, s'écrasa par terre, attirant sans doute l'attention puisque des pas commencèrent à se diriger vers là où il était.
Il tenta tant bien que mal de se cacher ailleurs, essayant de se promettre qu'il cherchait activement son humain lié à Hoshikami s'il s'en sortait en gardant sa liberté, espérant qu'une telle promesse lui permette de se concentrer sur ce qu'il se passait et ce qu'il devait faire pour s'en sortir plutôt que sur des problèmes totalement différents.
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Un an après sa chute, Chlodwig s’était déjà bien intégré à la société humaine. Il s’était fait des amis et, laissant parler sa curiosité vis-à-vis de ce monde tout frais qu’il découvrait réellement pour la première fois après tout ce temps à l’observer depuis tout en haut, il avait essayé tout un tas d’activités.
Comme il ne pouvait pas tout faire, il s’était cantonné à jouer aux échecs et à apprendre les arts du cirque après les cours, à lire en soirée, à essayer d’en savoir plus sur le Japon et s’organiser pour y aller un jour - après tout, c’est ce que lui soufflait son instinct d’étoile - et jouer avec ses amis et son frère.
Cela peut sembler beaucoup pour une aussi jeune étoile, à peine tombée, mais Chlodwig n’était pas forcément très diligent. Et puis, étrangement, la maturité acquise au bout de tout ce temps passé à illuminer la Terre faisait qu’il n’avait pas vraiment de difficulté au niveau de la scolarité que lui offraient ses parents d’adoption.
Et c’est ainsi que ses années d’enfance passèrent, paisiblement, avec des hauts et des bas, certes, mais rien qui ne le marque encore à ce jour. Malgré sa nature d’étoile, il avait tout de même tendance à s’attirer des ennuis en voulant manger trop de fromage, ayant développé un goût très particulier pour ceux-ci.
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Il aurait tellement aimé avoir des explosifs. S’il en avait eu sur lui, il aurait été capable de se débarrasser de ces murs encombrants et s’échapper sans être repéré n’aurait été qu’un jeu d’enfant. Ç’aurait encore aggravé les choses aux yeux des autres mais, tant qu’il n’était pas pris, il aurait été satisfait de telles conséquences.
Sauf qu’il n’en avait pas. Il n’avait pas prévu un développement où il aurait pu être interrompu aussitôt, après tout. Cela faisait trois mois que l’opération était en préparation et tout aurait dû être parfait, dans les moindres détails. Après tout, il n’avait pas eu de difficultés à arriver jusque là.
La seule chose qu’il avait, c’était son corps. Et même s’il était agile, flexible et en relativement bonne condition, ce n’était pas vraiment un atout pour s’enfuir dans un endroit cloisonné. D’où un résultat évident : il allait nécessairement être pris. Ou, tout du moins, repéré.
Perdant espoir, Chlodwig tenta de calmer sa respiration et puiser des forces dans sa résolution. Il savait ce qu’il faisait, depuis le début. Il savait ce qu’il risquait, depuis le début. Et, s’il devait recommencer, il recommencerait. Il n’y avait pas lieu d’hésiter, il trouverait quelque chose.
Son visage serait repéré, les autorités seraient lancées à ses trousses. Mais soit. C’était un risque qu’il était prêt à accepter.
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Peu à peu, ses intérêts évoluèrent, se précisèrent. La lecture, par exemple, qui lui avait permis de tant apprendre sur le monde dans lequel il s’était retrouvé, ses coutumes et tout ce qu’il n’avait pas pu observer là-haut, se fit plus sporadique.
Le temps qu’il consacrait aux arts du cirque, qu’il réussissait sans grand effort, se résorba pour se perfectionner aux échecs à la place, jeu pour lequel son intérêt grandissait de jour en jour.
Sa vie après le cycle primaire aurait été tout aussi paisible que la précédente si elle n’avait pas été marquée par une mort soudaine. L’un des amis qu’il s’était fait s’était éteint, comme ça, soufflé comme une bougie. Chlodwig comprit que c’était parce que la vie de l’étoile à laquelle il était lié, cette étoile qu’il n’avait jamais rencontré, était arrivée à son terme.
Ce jour là, pour la première fois après son arrivée sur Terre, il pleura. Des sentiments confus l’habitèrent un temps, comme s’il était un simple enfant normal qui découvrait que oui, les choses avaient une fin même si elles étaient vivantes.
Puis il accepta ce qui était, sans trop avoir le choix. Le cours de sa vie repris son chemin mais, cette fois-ci, il était plus difficile de le faire éclater de rire, de le faire s’attacher à vous. Comme si, quelque part, il avait toujours un peu peur de perdre les gens, comme un enfant. Normalement, il aurait sans doute fait de son mieux pour repousser ça et rationaliser le fait que c’était quand même assez idiot, mais il ne s’en apercevait pas lui-même.
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Le plan, c’était de s’enfuir par là où il était arrivé. C’est-à-dire là d’où on venait. Bien sûr, il serait vu et poursuivi et, ensuite, des avis de recherche seraient divulgués un peu partout mais, avec un peu de chance, s’il se coupait les cheveux, ça suffirait à leur faire perdre sa trace. Il ne restait donc qu’à effectivement parvenir à fuir et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Ce n’est qu’au moment où il s’apprêtait à s’élancer, juste avant que l’on entre dans la pièce où il était, qu’il se souvint qu’il pouvait créer une diversion. Après tout, en tant qu’étoile, il avait un pouvoir. Et même en ne l’ayant jamais vraiment utilisé, il savait très bien ce que c’était.
A chaque fois qu’il touchait un objet, le fait qu’il était capable de le transformer en panda lui semblait indéniable. Il savait également que faire trop de pandas allait le fatiguer et que ça risquerait, au contraire, de faire chuter ses chances de réussite.
De fait, il décida de se contenter de deux pandas. Avec ça, il serait encore capable de s’échapper et quiconque arriverait aurait à faire face à deux bêtes avant de ne s’apercevoir que lui, Chlodwig, était là. Couplé à la surprise de découvrir des pandas ici, l’étoile aurait tout le temps de s’échapper.
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Les années de l’enfance et de l’adolescence, accompagnées de leurs découvertes délicieuses de la vie et du monde tel qu’il est réellement, dans toute sa bureaucratie, s’écoulèrent également pour Chlodwig, laissant place à un jeune homme déterminé et intelligent, préférant entrer directement dans la vie active plutôt que de continuer ses études.
Ayant depuis longtemps déjà abandonné les arts du cirque pour se concentrer sur les échecs, devenus sa grande passion, l’étoile avait en effet fini par se décider à devenir un joueur professionnel. Même s’il avait le talent et la passion pour, cette décision n’avait pas été aisée puisqu’elle était venue au prix d’une carrière en lien, d’une façon ou d’une autre, avec l’industrie fromagère.
S’il s’était finalement décidé pour le monde des échecs professionnels, c’est parce qu’il n’aurait sans doute pas été capable de travailler avec du fromage sans essayer d’en manger. Ou bien parce qu’au fond de lui, il savait qu’il serait plus satisfait par le fait de jouer aux échecs que de fabriquer des fromages qu’il pourrait acheter aisément.
De plus, un joueur d’échecs était en mesure de voyager relativement régulièrement, ce qui était intéressant à la fois dans une perspective de découverte de cultures et de pays mais également de dégustation de fromage. C’était peut-être un peu tordu mais, en théorie, ça marchait.
Pas d’horaires fixes, pas de patron et pas de difficultés pour retrouver un emploi s’il voulait s’installer ailleurs. Tout en faisant quelque chose qu’on aime. Certains appelleraient ça le paradis mais Chlodwig, lui, vous rappellerait que rester à un niveau compétitif demande beaucoup de travail et prendre soin de son corps également : tout le monde ne peut pas suivre une telle voie !
Au lieu de rester tout le temps enfermé dans une maison à jouer sur son ordinateur, l’étoile décida de travailler en priorité à l’extérieur, s’appuyant plutôt sur des supports mobiles, ce qui lui permis de passer ses premières années d’indépendance à voyager et vagabonder en fonction des compétitions et de ses envies.
Et, qui sait, peut-être trouverait-il cet humain auquel il était lié ? Ce n’était pas encore sa préoccupation principale : il en avait peur, et c’est pour cela que, malgré sa nature, il se refusait encore à aller vers Hoshikami. D’un autre côté, il était curieux, vis-à-vis de ce lien qu’il ne connaissait pas encore réellement.
Et puis, il avait aussi envie de protéger et surveiller cet humain afin de s’assurer de ne pas mourir bêtement au milieu de quelque chose juste parce qu’il lui arrivait quelque chose : ce serait dommage de connaître une telle fin, surtout alors qu’il était tombé ici dans un but. En théorie.
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La pièce était vaste. Elle était pleine d’objet et un intrus s’y trouvait. Des gens, quels qu’ils soient arrivaient. Ces quelques informations décrivaient jusqu’alors très bien la situation mais Chlodwig modifia la donne : maintenant, il y avait trois êtres vivants dans la pièce.
Un humain. De taille respectable, certes, mais tout de même petit face un panda. Moins bruyant et moins visible surtout. Et deux pandas. Deux gros pandas adultes qui marchaient bruyamment. Ils allaient très certainement être le centre de l’attention.
Ca y est. Ils allaient entrer. Chlodwig ferma les poings et inspira profondément. Il ferait ce qu’il avait à faire. Quelque soit la personne sur son chemin, il s’en sortirait et ce même s’il devait se faire violence.
Lorsque la porte s’ouvrit, Chlo était prêt à foncer, il n’attendait que la distraction que les pandas allaient lui offrir. Il savait que ça allait faire son effet et il ne s’était pas trompé. Deux personnes. Qui étaient maintenant éberlués devant les pandas. Et ne tardèrent pas à leur courir après.
Pendant qu’ils essayaient tant bien que mal de comprendre ce que faisaient des pandas à un tel endroit et, surtout, de les maîtriser d’une manière ou d’une autre - principalement en hurlant, en fait, mais ça n’avait pas l’air efficace - Chlodwig en profita pour s’éclipser de la pièce.
Pour l’instant personne ne l’avait vu et le plus difficile était derrière lui. Maintenant, s’il pouvait juste réussir à sortir de là pour de bon, il serait sauf. Il vérifia que son sac était bien là : le laisser sur place aurait été contre-productif. Bien. Souriant, il poursuivit son chemin.
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Il n’eut pas de mal à s’imposer dans le monde des échecs. Après tout, il n’était pas devenu pro pour rien. Cumuler cette vie avec des vagabondages à droite et à gauche était idyllique et il était, somme toute, très content de sa vie.
Mais ça ne dura pas parce qu’il eut la mauvaise idée de visiter des villages africains où les gens, humains ou étoiles, vivaient encore de manière très précaire, se débrouillant comme ils pouvaient pour manger et survivre. C’était là l’étendue la misère humaine. Celle dont il avait tant entendu parler mais qu’il n’avait encore jamais eu l’occasion de voir. Celle qui n’existait pas dans les cieux.
Il n’avait pas l’habitude de ça. Il s’était attendu à quelque chose de choquant, certes, mais pour une petite étoile qui avait vécu confortablement, ce qu’il voyait avait bien plus d’effet sur lui que ce qu’il avait pu lire et imaginer à ce sujet.
Ces gens, à la fois humains et étoiles qui mourraient de faim et de maladie, sans avoir les moyens de lutter. Sans qu’on leur offre le droit de vivre. Il essaya bien de les aider un peu mais il fut bien vite forcé de s’apercevoir qu’il n’y pouvait rien. Plus il restait et plus il était dégoûté. Touché et dégoûté, même s’il n’avait aucun lien avec eux, même s’il s’agissait d’une personne particulière qu’il n’appréciait pas.
Et il avait peur. Peur parce que même s’il ne s’attachait pas, même s’il continuait de protéger son cœur, celui-ci finissait par être blessé. Ca il ne le comprenait pas. Mais qu’il comprenne ou non, cela ne changeait rien aux faits : une peur était là.
Puis, née de la peur, une haine.
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Le problème avec les plans parfaits, c’est qu’une fois qu’une faille est découverte, il n’est pas dit qu’il n’y en ait pas d’autre. En l’occurrence, Chlodwig avait presque réussi à se faufiler par là où il était entré lorsqu’une autre personne, sans doute alertée par les cris de ses collègues, pointa le bout de son nez et posa son regard sur lui.
Mais Chlodwig ne s’en aperçut pas parce qu’il ne pouvait pas vraiment le voir. Le moment où il comprit que quelque chose clochait, ce fut celui où il senti une main se refermer sur sa chaussure.
Regardant vers le bas, Chlodwig rencontra le regard de celui qui s’était aperçu qu’il était là et qu’il était en train de s’enfuir.
Frayeur. Il était perdu, il allait finir pendu sur la place publique.
Refus.
Il n’allait pas finir comme ça. Il ne le permettrait pas. Il devait agir. Mais il ne pouvait pas réfléchir, il n’avait pas le temps. Il n’avait pas le choix non plus. Alors il fit la seule chose qu’il pouvait encore faire pour s’échapper, pour être enfin en mesure de rejoindre un havre de paix et se reposer.
Il hissa finalement sa dernière jambe dans le conduit de ventilation, essoufflé. Il était essoufflé. Il se sentait faible. Il aurait du mal à avancer, et ce encore plus maintenant que l’une de ses sandales avait disparue. Traqué, il avait failli se faire prendre, être condamné.
Mais il avait vaincu. A présent, il n’y avait plus rien qui le séparait de la liberté, rien qui ne l’empêcherait de profiter de ce pour quoi il s’était battu. Il grinça des dents en entendant l’inconnu hurler sous le poids du panda qui lui été tombé dessus et qu’il n’avait sans doute pas pu éviter.
Son cœur le pinça un instant mais il secoua la tête, se reprenant. Certains diraient qu’il était fou mais il savait très bien ce qui avait de l’importance pour lui, il l’avait toujours su. Mais pour cela, il devait rester en vie.
Il finit par disparaître du bâtiment, se mêlant à la foule et revenant de là d’où il venait. Il ne regrettait rien.
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Tous ces gens n’avaient pas la possibilité de vivre. Ils étaient nés, comme ça. Sans que le destin ne leur permette réellement de briller. Même si certains s’en sortait, il était indéniable que la plupart d’entre eux était condamnés dès le départ.
Et, au loin, quelque part, la personne à laquelle ils étaient liés rendrait également son dernier souffle, privé de la vie par l’injustice des hommes, par la misère de leur monde. Juste parce que le sort leur avait attribué quelqu’un qui allait forcément mourir, sans même que ce dernier ne soit en faute.
Il haïssait le monde. Il aurait tant voulu ne jamais être tombé, être resté dans le ciel à briller et à éclairer la nuit. Mais même si on le lui proposait, il n’y retournerait : il voulait du fromage. Et, surtout, il voulait que ce monde change, que les choses prennent des tournures différentes et que l’on ne joue pas ainsi avec le destin des autres.
Tout logique qu’il était, le pauvre Chlodwig n’arrivait pas à gérer, n’arrivait pas à rationaliser - mais y avait-il quelque chose à rationaliser. Lui qui ne s’ouvrait que peu était en pleine surdose, nageant... Non, se noyant dans des émotions qu’il n’avait pas demandé et qu’il n’arrivait pas à éviter.
Alors, déboussolé, fragilisé, perdu, il s’enfuit. Il s’enfuit loin de ce lieu qu’il ne saurait plus voir, prêt à embarquer dans le premier avion venu pour il ne savait où. En chemin, il se décida à consulter les informations, choses qu’il ne faisait qu’occasionnellement, utilisant plutôt sa connexion pour faire des parties d’échecs en ligne. Il n’eut pas à les consulter bien longtemps avant de redevenir serein.
Il reposa sa tablette à côté de lui en souriant : il savait ce qu’il allait faire, où il allait. Sur l’écran encore allumé, les deux grands titres du moment se partageaient la page. Un article qui retraçait l’histoire - où plutôt un amas de rumeurs et de faits avérés - du groupe terroriste qui avait vu le jour il y avait peu : « Crépuscule ». Et un autre qui, lui, présentait une compétition à venir dans le domaine de la Grande Cuisine.
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Chlodwig ne resta pas bien longtemps dans les environs de son méfaits : il s’était promis d’essayer de trouver son humain lié à Hoshikami s’il s’en sortait et, de toutes évidences, il s’en était sorti. Il y aurait peut-être des conséquences, surtout puisqu’il avait été vu, mais il avait quand même réussi à prendre l’avion pour s’y rendre. Pour l’instant, tout allait bien.
La jeune étoile avait déjà célébrer. Il n’avait pas vraiment eu le choix, après tout : manger son fromage avant d’embarquer était la manière la plus logique d’aborder la chose. Il n’aurait pas voulu avoir le moindre problème à cause de ça et s’en retrouver privé.
Il passait le temps en jouant aux échecs contre un ordinateur puisque, malheureusement, le vol qu’il avait rejoint n’avait pas de connexion internet. Sinon, il aurait pu affronter des adversaires humains, ce qui était généralement plus agréable que de jouer avec un programme. Et puis, peut-être aussi regarder les nouvelles pour savoir si l’on parlait de lui, ce qu’il se passait.
Il secoua la tête, se concentrant à nouveau sur les pièces qu’il bougeait, une à une, regrettant tout de même ne pas avoir investi dans un logiciel d’un niveau plus élevé que celui-là. Il pourrait lire une fois qu’il serait arrivé, il avait tout le temps au monde.
Et tout se passerait bien. Il était même prêt à recommencer.
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« Nouvel acte terroriste : le groupe crépusculaire aurait-il encore frappé ? »C'est cet article là qui nous intéresse même si Chlodwig ne s'en serait pas encore douté.
En lisant l’article, on pouvait y apprendre que le concours mondial de la Haute Cuisine était annulé parce que la cuisine avait été ravagée par des pandas et que les fromages qui auraient du servir de thème principal au concours avaient disparus avec la majorité de l’équipement de cuisine.
Cet événement qui,
a priori ne semblait pas si grave pris une ampleur plus importante lorsque la Chine entra en scène. Et les associations de protection des animaux.
Après tout, les pandas étaient des animaux protégés, entourés d'une forte réglementation administrative. Tout panda, quel qu'il soit, était nécessairement la propriété de la Chine, qui ne faisait que les prêter aux autres pays, récupérant les petits et les animaux lorsqu'elle le voulait.
Diplomatiquement, la situation était tendue, puisque tous les regards se tournaient soit vers la Chine, soit vers le traitement de ces pauvres pandas affamés qui, s'ils n'étaient pas chinois, devaient avoir été volé.
Les relations entre la France, où s'était produit ce crime, et la Chine étaient au plus bas, suite à la manière dont les pauvres agents de sécurité qui surveillaient les locaux du concours s'étaient occupés des pandas.
Tout ce petit monde diplomatique fut secoué et houleux jusqu'à ce que, quelques jours après, l'un de ces agents qui avait subi d'assez mauvais traitements de la part des pauvres mammifères désorientés témoigne : tout cela avait été orchestré et il y avait une personne derrière, qui tirait les fils.
A partir de cet instant, les objectifs changèrent. Attraper cet homme, ce membre du crépuscule qui s'était amusé avec les relations internationales. Mettre fin à la maltraitance des pandas par les terroristes. Empêcher la naissance d'un marché noir du panda et la rupture des liens diplomatiques entre la Chine et les autres pays.
Bref, poursuivre cette personne, cette étoile qui n'avait même pas fait exprès d'être à l'origine de tout ça.
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Lorsqu'il apprit tout cela, Chlodwig s'inquiéta. Il savait qu'un portrait robot avait été fait depuis qu'il était arrivé et qu'il ne faudrait que peu de temps avant que l'on se rende compte que c'était lui le coupable. Même s'il se coupait les cheveux, il était aisé de le retrouver tel qu'il était avant puisqu'il était une étoile montante dans le monde des échecs et que son image était médiatisée.
Et, maintenant que tout avait pris une telle ampleur, la police scientifique trouverait surement de quoi l'incriminer. Il suffit qu'ils essayent assez. Il n'avait plus le choix : il était un terroriste, pour du fromage.
Mais il ne regrettait toujours rien, parce que ces fromages étaient vraiment succulents. Et parce qu'il pouvait facilement sympathiser avec les opinions de ce groupe terroriste.
Chlodwig, membre du Crépuscule. Ça ne sonnait pas trop mal. Etait-il prêt à agir ? Il l'était. De toutes façons, il n'avait pas vraiment le choix. S'il voulait continuer à vivre, à être libre, à manger du fromage, il fallait qu'il sacrifie une partie de sa liberté et accepte le destin qui venait à lui.
Il n'y réfléchit pas deux fois. Après tout, cette vie lui correspondait bien et il n'avait aucun mal à s'imaginer se battre pour de telles causes.
Fort de ces aventures, il rejoint publiquement - de toutes façons, il n'aurait pas pu faire autrement - le rang de ceux qui se battaient pour rompre ce lien futile entre étoiles et humains, source de tant d'horreurs.