Bittersweet night » Ban & Corvus •

La soirée avait si bien commencé.

Une nuit sans lune, agrémentée d'une petite brise fraîche, et le silence. Ce silence assourdissant qui les avait accompagnés tout au long de leur route, direction le lieu ciblé. Une bijouterie, cette fois-ci. Tout était de sa faute à elle, elle n'aurait pas dû les tenter avec ses bijoux et ses parures dorées... L'amour des jumeaux pour tout ce qui est d'or était bien connu. Une attirance, voire même une obsession qui, inexorablement, les menait à s'en emparer.

Comme toujours, ils avaient pris leur temps pour fomenter leur plan et préparer leur casse. Le chemin qu'ils allaient emprunter, la façon de s'introduire dans le bâtiment endormi, de s'emparer du butin et tout ceci en faisant bien attention à ce qui les entourait. Un quartier paisible au premier abord pouvait receler bien des surprises. D'ordinaire, ils les évitaient. Mais pas cette fois-ci, la tentation était trop forte. Alors ils avaient choisi de le faire et avaient pris leur temps pour bien préparer leur action. Ils n'auraient qu'une seule chance.

Ils s'étaient glissés jusqu'à la bijouterie, traversant les ténèbres sans grande difficulté, se faufilant à l'intérieur du bâtiment... Toujours rien. Tout se passait très bien. Par habitude, les jumeaux se séparèrent : l'un se chargeait de l'alarme tandis que l'autre repérait les lieux, analysait les moindres recoins pour atteindre les précieux bijoux. C'était là la tâche de Corvus. Trouver le bon chemin rapidement et de manière parfaite, l'erreur n'était pas permise. Pourquoi se sentait-il aussi oppressé cette nuit-là ? Il avait la gorge sèche et transpirait beaucoup. Un mauvais pressentiment planait sur ses épaules. Ses yeux se plissaient, perçant l'obscurité. Rien. Rien d'autre que le bruit du brouillage des caméras et le bip incessant d'une alarme réduit au silence. Mission accomplie du côté de son frère. C'était son tour.

Avec une agilité digne d'un chat, Corvus glissa sur les murs, frôla les étagères, se rapprochant toujours plus des vitrines. Expert jusqu'au bout des ongles, il usa de son matériel pour éventrer les boîtes de verre et se saisit du butin étincelant. Un ricanement lui signala qu'il en était de même du côté de son jumeau. Soulagé, il se dit que son angoisse n'était due qu'à leur décision de s'attaquer à un quartier inhabituel.

Ah, oui. La soirée avait tellement bien démarré qu'ils en relâchèrent leur vigilance.

Trop occupé à faucher les biens précieux, Corvus ne sentit pas de suite le canon qui lui chatouillait le dos.

"On ne bouge plus, Racoon. Vous êtes faits !"

Stupéfaction. Corvus se statufia sur place et de grosses gouttes de sueurs dévalèrent son dos. Le silence lui parut terriblement lourd en cet instant.

"Tournez-vous. Tout de suite."

Lentement, Corvus se tourna à demi, cherchant du regard son frère de l'autre côté. Leurs regards se croisèrent avant de se rencontrer pendant un instant court mais en même temps terriblement long. Ce simple contact leur était suffisant, ils savaient comment réagir.

Corvus se retrouva face à deux yeux inconnus. Un grognement de douleur à sa droite lui indiqua que son frère était passé à l'action. Ses deux pupilles happèrent le regard étranger et ses doigts commencèrent à se mouvoir, pianotant dans l'air. Le policier était prisonnier de son piège. Comme une araignée qui tisse sa toile, il tissa la sienne, brouillant et déformant la réalité visuelle de son assaillant. L'autre ne distinguait plus qu'une silhouette grossière, teintée de vert et de noir, des membres difformes et un énorme sourire carnassier qui hanterait désormais ses cauchemars. Incapable de dire un mot, terrorisé, il resta là, tremblant, le canon pointé en direction de cette espèce de vision méconnaissable. La poursuite de son frère avait déjà commencée tandis qu'il se glissait furtivement vers la petite lucarne par laquelle ils étaient arrivés. Paniqué à la fois par la vision terrible mais aussi par la peur de voir le voleur s'échapper, le vétéran policier se fia à ses oreilles et tira en direction de la lucarne. Touché. Le sang commença à couler alors que Corvus glissait le long du mur.

Il avait tenté de courir autant qu'il avait put, fuyant ce quartier trompeur et la foule qui commençait à s'entasser suite aux coups de feu. Bien vite, sa course s'était transformée en boitillement incertain au but tout aussi flou. Il ne s'inquiétait pas pour son jumeau, à vrai dire. Il était tout aussi débrouillard que lui, peut-être même plus. Le grand problème, c'était lui. Et sa jambe, en l'occurrence. Comment parvenir jusqu'à son appartement alors qu'il était blessé et que la police le recherchait ? Le jour lui serait fatal à ce rythme-là.

Grimaçant à la fois de douleur et de colère renfermée, il se dirigea tant bien que mal dans le quartier mal famé d'Hoshikami. Enfin, quartier mal famé... Pour le commun du peuple. Il n'y avait que des dealers et des ivrognes dans le coin. Rien de bien méchant, selon lui. Ce qui inquiétait tout le monde, c'était l'obscurité constante qui régnait ici, rendant le tout peu rassurant, voire même inquiétant. Peu s'y risquaient, même la police hésitait. Lui s'y engouffra sans hésitation. Pour le moment, ce serait mieux que rien. Au passage, il rentra dans quelques personnes - Un ivrogne à la démarche encore plus zigzagante que la sienne et une espèce de géant au regard profond, du genre à vous mettre mal à l'aise en un seul coup d'oeil-. Il déglutit, balbutia de vagues excuses à cet imposant personnage et s'enfuit en clopinant, bifurquant dans une étroite petite ruelle. Autant ne pas s'attirer plus d'ennuis. Épuise, il se laissa glisser le long du mur, souleva le pan déchiré de son pantalon et étudia l'état de sa jambe. Ce n'était carrément pas joli à voir, mais hors de question de se rendre à l'hôpital. Il avait connu pire que ça, il parviendrait à se soigner. Normalement. En attendant, il lui fallait aussi trouver un moyen de rentrer chez lui. Ou bien une cachette temporaire.

Soufflant de lassitude, il appuya sa tête contre le mur dans son dos et leva les yeux au ciel toujours aussi noir. Une bague en or chipée dans la bijouterie roulait entre ses doigts. Un moment d'intense réflexion s'imposait.

Ses yeux s'agrandirent de stupeur, sa respiration se bloqua dans sa gorge et ses membres se raidirent alors que la petite sonnette d'alarme se déclenchait dans sa tête. Non seulement quelqu'un venait de l'attraper, blessé, coincé dans une ruelle mais cette personne savait aussi qui il était et ce qu'il avait fait ce soir.

Il recula brusquement un peu plus dans le fond dans la ruelle dans un bref moment de panique puis il fixa l'inconnu dans les yeux, sourcils froncés. Il reconnu de suite l'homme qu'il avait percuté un peu plus tôt. Et ce dernier le fixait de haut, accoudé au mur alors que lui ressemblait à un animal acculé, obligé de rester au sol. Avait-il tout compris lors de leur précédente confrontation ? Ou bien l'avait-il suivi depuis la bijouterie ? Peut-être était-ce un policier. Ou bien une personne souhaitant le dénoncer pour toucher la récompense. Aucune personne censée n'apporterait son aide à un criminel recherché.

"Et j'peux savoir qui t'es ?"

Méfiance. Ce mot tournait en boucle dans son esprit et sa raison le bridait. Ne pas se fier aux inconnus, règle d'or du voleur. Une traîtrise est si vite arrivée.

Après réflexion, il trouva inutile de lui demander comment il pouvait savoir pour sa condition de criminel. Un simple coup d’œil à son allure, et c'était évident. Son accoutrement, son état... et même sa présence dans ces ruelles. Tout concordait.

A l'entente de sa seconde réplique, il arqua un sourcil dubitatif, presque ironique.

"Tu m'as bien regardé ? J'suis pas vraiment en état de me lever, là."

Il avait bien déambulé un moment dans les rues avant de s'avachir dans cette ruelle. Et maintenant, sa jambe le lançait. Quoi qu'il en soit, il ne se lèverait pas pour suivre cet inconnu. Il ne marcherait pas pour se diriger consciencieusement vers la prison, ça non.

"Tu devrais en profiter pour aller chercher le policier, tiens. Ça t'évitera le chemin jusqu'au commissariat."

La provocation, toujours la provocation. Il voulait le faire partir, même quelques minutes. Juste suffisamment longtemps pour qu'il puisse s'éclipser. Bien que la chance semblait être contre lui ce soir, elle n'allait tout de même pas l'abandonner à l'emprise des barreaux de fers, n'est-ce pas ?

Dans sa tête, tout se mélangeait. Attente. Douleur. Résignation. Montée d'adrénaline. Inquiétude. Défi. Ce n'était pas qu'il n'avait jamais connu ce genre de situation, bien au contraire. Mais dans ces moments-là, il n'était qu'un voleur de rue auquel on ne prêtait attention que lorsqu'on le prenait en flagrant délit. Les accusations qui pesaient sur ces épaules étaient aujourd'hui bien plus graves. Il risquait gros, il en était bien conscient.

"T'attends quoi, hein ?"

L'attente lui devenait insupportable.

A mesure que l'inconnu -qui disait s'appeler Ban mais qui restait tout de même un parfait inconnu- lui parlait, la colère emplissait son esprit. Sa fierté en prenait un coup. Il se sentait insulté par cet homme qui, selon ses dires, en savait long sur la prison. Certes, il n'y était jamais allé et n'avait sans doute aucune idée de ce qui pouvait l'attendre là-bas. Et pourtant, ce n'était pas difficile à imaginer, il avait déjà bien sa petite idée de la chose. Il était peut-être encore jeune, mais il avait connu bien des moments douloureux dans sa vie qui l'avaient poussés sur ce chemin. Il lui avait bien fallut se débrouiller pour survivre.

A ce moment précis, il n'avait qu'une envie : l'envoyer méchamment paître et partir au plus vite du quartier.

Et le jeune voleur aurait certainement agit ainsi si l'autre n'avait pas subitement stoppé son flot de pensées.

« Mais j'crois pas que t'iras bien loin dans ton état actuel... Alors est-ce que tu veux de mon aide ou pas ? »

La réaction fut immédiate : ses deux sourcils s'arquèrent alors que sa bouche se tordait en une étrange mine surprise.

"Pardon ?" fut tout ce qui parvint à sortir de sa bouche. Ça n'avait été cependant qu'un souffle inaudible, bien vite noyé par la réplique suivante de son interlocuteur.

« Si tu veux savoir pourquoi j'veux t'aider, c'est parce que contrairement à toi, j'sais ce que c'est la prison et que t'es trop jeune pour aller y pourrir toute ta vie ! T'ferais mieux d'arrêter de voler après ce soir et te trouver autre chose à foutre de tes dix doigts. »

Corvus ne trouvait rien à redire. En apparence, il se contentait de le fixer, sourcils arqués. Mais à l'intérieur, son cerveau bouillonnait. On lui faisait la morale, ou il divaguait ? Sa fierté appréciait moyennement... Mais sa colère était retombée. L'étonnement dominait maintenant. Ce qui le choquait le plus, c'était certainement cette main tendue. Encore une fois, qui chercherait à aider un criminel actuellement recherché et dont la tête était mise à prix ? Ce Ban, aussi, semblait être un ancien détenu. Des problèmes l'attendrait au tournant, non ?

Plus calme désormais, il le fixait avec insistance.

"Et pourquoi m'aider au risque de t'attirer des problèmes, mh ? T'es un ancien détenu qui a connu la prison, ça se sent dans tes paroles. Du coup, ça me dépasse un peu cette 'aide' que tu me proposes."

L'intention était bonne, mais il était malheureusement un peu tard pour lui tendre la main. S'il avait rencontré Ban quelques années plus tôt, peut-être aurait-il évolué différemment.

Le silence avait régné un long moment, suffisamment pour leur permettre à tous deux de réfléchir mais pas assez pour les mettre mal à l'aise. Corvus ne cherchait clairement pas à se faire emprisonner. Toute sa vie  il avait rêvé de liberté, de pouvoir faire ce que bon lui semblait... Mais pour cela, il avait besoin d'argent, depuis toujours et aujourd'hui encore. Que l'on soit en démocratie ou en monarchie, l'argent a toujours le dernier mot : c'est lui le véritable maître du Monde et des Hommes. Difficile d'échapper à son emprise une fois pris dans l'étau. Pour Corvus, cette emprise était devenue une addiction féroce, un amour obsessionnel , un véritable besoin. Une partie de lui, en somme. Il lui semblait inimaginable de faire demi-tour maintenant et de passer tranquillement à autre chose. Il n'avait rien derrière lui, aucun bagage intellectuel dû à des études hormis les quelques connaissances instruites par son "père" et sa maîtrise des langues. Rien d'imposant.

Il écouta attentivement Ban, le fixant de ses orbes vertes sans sourciller. Il voyait bien ce qu'il essayait de faire et les risques qu'il prenait. Un dilemme de conscience. Corvus ne pouvait pas faire ce qu'il lui disait, c'était au-dessus de ses forces.

Son visage se crispa légèrement lorsque l'autre décida de lâcher prise. L'homme quitta la ruelle sans se retourner et disparut de sa vue à l'intersection. Il était apparut juste pour tenter de semer le doute dans son esprit ? C'était loupé. Mais il l'intriguait maintenant. Corvus était curieux. Il se fit violence pour se remettre debout. Il hasarda un petit pas de côté et grimaça directement sous l'effet de la douleur.

"Hé" le héla-t-il en boitillant, tentant difficilement de le suivre, "HE ATTENDS BORDEL" reprit-il ensuite plus fortement

Avait-il l'intention de le faire boiter jusqu'à ce que mort s'en suive ? Au vu du sang qui coulait, il était en bonne voie.

Bougonnant tout en cherchant à accélérer le pas, il trébucha et s'étala lamentablement par terre. Le peu de fierté qui lui restait s'évapora complètement pour le reste de la soirée. Il devait avoir l'air bien pitoyable.
Il se redressa sur un coude et frotta son nez d'une main. Son visage était maintenant assorti à sa jambe, merveilleux.

"Te barre pas comme ça après m'avoir sorti ton speech, bon sang ! Et culpabilise pour m'avoir fait marcher, tiens." râla-t-il

Il essaya maladroitement de se relever, et ce sans cesser de parler.

"Concrètement, t'étais juste venu me voir pour me faire la morale et espérer me voir changer de cap ? Tu dois bien te douter que c'est plus compliqué que ça et que ça va pas se faire juste parce que t'es venu me parler."

Une fois relevé, il épousseta ses vêtements et s'appuya sur sa jambe valide, cherchant à rester digne malgré tout. Non seulement il s'était joliment ramassé, mais il avait poursuivit Ban pour... pour rien en fait. Il ne savait même pas pourquoi. Il avait réagit tout de suite, ne voulant pas le laisser partir, mais il ne saurait se justifier. Il l'intriguait, certes. Mais peut-être voyait-il en lui son unique porte de secours pour la soirée. Autant ne pas le laisser partir comme ça et tenter le tout pour le tout.

En toute sincérité, Corvus avait été vexé par les paroles de Ban. C'était tout de même cet ancien détenu qui était venu le titiller en premier, il ne se serait jamais abaissé à aller mendier l'aide d'un quelconque inconnu ! Surtout que c'était bien connu, dans le crime, on ne peut compter que sur soi-même.

D'un seul coup son cerveau s'était retourné. Il aurait fait demi-tour en boudant si l'autre ne l'avait pas bloqué contre lui pour le soutenir et engager la marche. Grommelant, il avait attrapé le sac qu'il portait à bout de bras. C'est que c'était lourd ce bordel ! Il avait fait des courses pour tout un régiment ou bien ?  Il cala un peu mieux le sac dans la paume de sa main et cala son clopinement sur les pas du plus costaud. Le sac ne l'empêchait pas d'avancer dans la mesure où il ne pesait pas sur sa jambe. Il avança sans piper mot.

Le voleur gardait toute son attention et sa concentration sur l'environnement. Aux aguets, il restait attentif au moindre bruissement. La prudence lors des déplacements en ville était devenue une seconde nature chez lui. Il avait été maintes fois confronté à ce genre de situation par le passé. la blessure en moins, bien évidemment... Mais ne dit-on pas qu'un animal est plus dangereux une fois blessé ? C'était actuellement le cas. Corvus laissait parler cet instinct qu'il avait développé dans la rue. Après tout, c'est là qu'il avait toujours vécu. C'était habituel, dirons-nous. Toutefois, il y avait autre chose. Un autre "instinct" lié à sa nature d'étoile. Son sang bouillonnait et ses muscles se tendaient. Il avait son pouvoir pour se défendre, ce don qui l'avait si souvent aidé. Au premier signe de vie d'un policier, il n'hésiterait pas à en faire usage.

Il zieuta la droite, la gauche puis enfin la route devant eux alors que Ban lui chuchotait de le prévenir s'il allait trop vite.

"Ça va, je tiens. L'allure est bonne, on reste discrets et on peut observer les alentours sans paniquer. On pourrait même accélérer un petit peu la cadence."

Son esprit stratégique le titillait. Ça semblait presque trop simple. Pourtant, au fond, il espérait qu'ils pourraient continuer ainsi sans rencontrer plus de problèmes.

Un bruit sourd résonna à leur gauche. Il tourna la tête vers la source sonore juste à temps pour voir un chat fuir entre leur pattes. Il fixa encore quelques secondes l'angle d'où l'animal provenait avant de reprendre la marche.

"Hum. Tu comptes vraiment m'emmener chez toi ? J'veux dire par là.. Ça t'emmerde pas trop de ramener un voleur blessé chez toi ? Parce que j'te préviens, je décline toute responsabilité si ta moquette est foutue."

Question stupide, au fond. Bien sûr que c'était emmerdant de se coltiner un criminel en cavale, même pour une soirée. En plus, il allait laisser de l'ADN partout chez lui. Et en maniaque de la propreté qu'il était, il craignait déjà pour l'état du sol. Il ajouta un peu plus bas à sa propre attention

"Bon, on pourra éventuellement s'arranger pour le nettoyage du sol, mais bon... Au pire, je lui filerais des astuces ménagères..."