night-time apathy ◮ rob benett

Les yeux à demis-clos, elle observait avec fatigue les lumières bleus, rouges, vertes dans l’obscurité. On aurait dit des étoiles, comme celles dans le ciel. Kyou se sentait vaguement comme une petite fille perdue dans toujours et encore la même immensité de bitume. Peut-être même avait-elle l’air d’une enfant que l’on aurait oubliée là, sur la banquette arrière d’un bus, la tête ainsi adossée contre la vitre, le regard ailleurs, des écouteurs dans les oreilles, une légère mélancolie sur le visage, ses cheveux sombres en désordre et ses doigts entremêlés tombant sur ses cuisses.

Peut-être même qu’elle aurait pu elle-même s’abandonner ici finalement, à écouter le bourdonnement timide du moteur sur les routes familières. Elle connaissait son trajet par cœur à présent, chaque arrêt, combien de temps, les heures les plus embouteillées et celles les plus creuses. Là, par exemple, c’était vide. L’appareil avait déjà quitté l’euphorie nocturne d’Uwabami’s district et les rares passagers étaient descendus les uns après les autres pour ne laisser place qu’à un calme silencieux troublé par la voix préenregistrée annonçant mécaniquement le prochain arrêt. C’était de fait extrêmement calme, presque reposant.

Kyou aurait voulu pouvoir fermer les yeux, sous la voûte céleste bienveillante, dans la chaleur du bus à écouter le ronronnement du moteur. Elle se sentait fatiguée, tout son corps semblait soudain empli d’une extrême lourdeur maintenant qu’elle s’était assise et la simple idée de se relever à présent lui semblait un effort surhumain. Kyou avait envie de savoir ce qu’il advenait après le terminus, elle aimait imaginer qu’il s’y cachait quelque chose d’extraordinaire.

Tout était de toute façon si ennuyeux : parfaitement réglé, orchestré et exécuté. Tous les jours étaient exactement les mêmes, de l’instant où elle émergeait de son profond sommeil à celui où elle s’y replongeait. Il lui semblait graviter docilement dans une routine mécanique avec cet arrière-goût amer d’impuissance, de « à quoi bon ? ». Kyou n’allait pas changer le monde, ni ce soir, ni demain. Elle se lèverait comme chaque matin pour aller travailler, un peu plus tôt probablement car elle avait terminé de bonne heure au bar mais, c’était comme tout le reste une donnée négligeable dans le flux monotone de son existence.

Pourtant, c’était souvent dans les moments les plus inattendus que jaillissaient le plus improbable. Cela avait commencé par l’arrêt du véhicule et quelqu’un était monté – à cette heure-, elle avait ressenti quelque chose. C’était au début des légers picotements dans l’estomac puis, son cœur s’était mis à battre plus fort et elle n’avait pas pu s’empêcher de jeter un œil au nouveau passager. Elle s’était alors progressivement sentie plus nerveuse, plus tendue mais, pas réellement en danger. De façon indescriptible, elle était étonnamment alerte de la présence de l’étranger – un homme, aux cheveux bleus. Qui était-il ? Que voulait-il ? Où allait-il ? Non, c’était quelque chose de bien plus qu’une simple curiosité.

Elle se sentait irrémédiablement attirée par lui, comme liée et cependant, aucuns mots cohérents ne lui vinrent. Elle ne pouvait rien faire que d’essayer de l’observer avec le plus de discrétion possible.