❝ Le chat & la souris sous l'astre lunaire. ⚔ Inshi.

Je m'effondre sur mon bureau où la faible lueur tamisée de ma lampe de chevet fait ressortir comme une ombre chinoise la cime de ma chevelure contre le mur. J'ai travaillé jusqu'à très tard encore. Le jour je ne parviens pas à être productif. La lune semble être meilleure conseillère que l'astre solaire. Pour récompenser la fastidieuse thèse que je viens de conclure, après de longs et laborieux efforts, je décide de m'allumer un joint. L'une des seules choses qui peut me détendre et me relaxer les méninges.
L'emplacement assigné au dépôt de mes substances narcotiques, un tiroir de bureau, est quasiment vide. Il ne reste que de maigres miettes étalées lascivement. Qu'elles ont l'air arrogantes comme ça ! Si peu nombreuses mais pourtant si présomptueuses... Elles semblent me dire : Il va falloir que tu ailles te ravitailler, il va falloir que tu sortes, il va falloir que tu parles à un rat qui te donnera tes doses, si ta défunte mamie savait que tu utilisais l'argent de l'héritage pour ça elle aurait bien honte de toi... Seul dans mon appartement j'intime aux pétales de psychotropes l'ordre de se taire, puis les toise d'un regard sévère. Au loin un chien aboie. Je me tais et laisse un lourd silence oppressant planer un long moment dans la pièce.

Après mûres réflexions, je contacte mon fournisseur qui me pose rendez vous dans un quartier malfamé de Hoshikami. Je déteste m'y rendre, c'est le dernier endroit au monde où j'ai envie d'aller. Jusqu'ici il ne m'est jamais rien arrivé personnellement et mon dealer me rassure à chaque fois pour me dire que c'est sans danger, mais la dernière fois que j'y suis allé j'ai vu quelqu'un se faire agresser. Ces ruelles sombres n'ont rien de rassurantes. Je fais vraiment que de la merde, je vais volontairement me mettre en péril, gaspiller du temps et de l'argent pour de la drogue qui ne m'apportera rien au final. Vraiment, je pourrais faire mieux que ça. C'est le vice qui prime, et ça me fout la déprime... mais j'ai besoin de ça et je sais que je ne peux pas m'en passer. Je n'ai pas à me sentir coupable, la culpabilité est un poids dont je peux me passer, je ne fais rien de mal je veux juste me faire du bien et me soulager parce que je suis trop stressé. Y a t-il du mal à vouloir se faire du bien ?

Minutieusement je me prépare, je glisse dans les poches de ma longue parqua chacun des objets nécessaires à mon expédition : 3 paires de clés de l'appartement (plus une que je laisse sous le tapis à l'entrée on sait jamais), 4 briquets, 3 paquets de cigarettes (je vais d'ailleurs en profiter pour me fournir en clopes au distributeur automatique au coin de la rue), mon couteau suisse, 2 plans de la ville (je vais devoir marcher comme à mon habitude, de toute façon il n'y a pas de transports en commun à cette heure là), suffisamment d'argent pour mon fournisseur, une lampe torche et des piles de rechange, des lacets de secours, mon portable chargé à 97%, mon petit loup en bois qui me sert de talisman protecteur et enfin un livre de poche pour lire tout en marchant ce qui me permet de moins me focaliser sur mon environnement et donc d'être moins anxieux.
C'est la boule au ventre que je referme la porte de l'appartement derrière moi. Le cliquetis des clés glaciales contre ma paume sonne comme un sombre présage. Pourvu que rien d'imprévu ne se passe...

Je marche depuis maintenant une demi heure, j'en suis à ma sixième clope. J'ai l'impression de tourner en rond. Je ne parviens pas à trouver mon fournisseur, celui-ci est introuvable. Au lieu de rendez vous il n'y avait personne. L'histoire du livre ne suffit pas à absorber mon anxiété et je commence à paniquer. Il est très tard, il n'y a que moi qui traîne par ici à part quelques chats errants, des rats et des prostituées qui essaient de me racoler, elles me terrifient. Je commence à courir pour un rien et le reste du temps je marche très vite. J'ai chaud sous ma parqua pourtant c'est des sueurs froides qui coulent dans mon dos.
Les sens en alerte, j'ai l'impression d'être Néo dans Matrix, sauf qu'au lieu de voir la matrice je vois partout des dangers qui n'existent pas. Les ruelles sont sans fins et on dirait qu'elles veulent m'aspirer en enfer à travers les interstices entre les pavés humides et sales. Un vent tiède à l'odeur acre me soulève le cœur et je vomis derrière une poubelle qui déborde. Je suis entrain de mourir de trouille, mon hypersensibilité est telle que je ne peux supporter mon environnement. La moindre odeur est pestilentielle, la moindre surface abrupte est un précipice dans lequel je tombe sans fin, le moindre pas se répercute en moi comme un marteau contre mes tempes, mes vêtements sont aussi lourd et inconfortable qu'une armure en ferrailles et le goût du tabac mêlé au vomit dans ma bouche est semblable à celui du souffre.  
Cette nuit est affreuse et rien de ce qui était prévu n'est arrivé ! Les distributeurs de clopes étaient en pannes ! Je serre tellement fort dans ma paume le petit loup en bois que sa forme finit par s'imprimer dans ma chaire suintante et moite de sueurs. Il n'y a plus que ce talisman pour me donner encore la force et le courage nécessaire à continuer cette traversée infernale digne du Tartare dans la mythologie Grecque.

Derrière moi un choc, comme un glacier qui se décroche et s'effondre dans l'océan dans un vrombissement tonitruant, puis une sensation de froid absolu qui s'infiltre jusque dans la moelle de mes os. Je me retourne dans un mouvement brusque et toute l'anxiété accumulée jusque là semble se faire aspirer dans les grands orbes rouges sanglants qui m'observent froidement. Elle est terrifiante et belle, ce qui la rend encore plus terrifiante. Je la regarde longuement dans les yeux, j'y observe la silhouette de mon cadavre qui se reflète dans sa rétine ensanglantée, comme si la mort elle même était inscrite dans ses pupilles dilatées. La mort, ma propre mort ! Mais je suis bien vivant ! Comme pour vérifier cette hypothèse surréaliste je me mets à palper mon corps et à souffler fort, tout en continuant à fixer la présence mortifère. C'est comme si ses yeux m'avaient avalé, je ne suis plus moi même. D'ordinaire lorsque j'ai trop peur je finis par m'évanouir, mais là je suis suspendue à un degré de conscience irréelle par l'aura cauchemardesque qui se dégage d'elle. Je suis comme envoûtée, comme si une main invisible avait plongé ses doigts dans ma cervelle pour me retirer tout instinct de fuite et de conservation. Le monde disparaît autour d'elle, je suis plongée dans une autre dimension, dans une autre conscience, tout s'efface et il n'y plus qu'elle pour ressortir dans le néant qui envahit implacablement l'essence du monde. Elle ressemble à un ange. L'ange de la mort. Serait-elle venue me chercher ?
Un bruit de métal, comme le couvercle d'une poubelle qui tombe à terre, claque dans le néant et dissipe les forces anéantissantes qui m'étreignaient. Je reprends âme, inspire longuement avec une expression de terreur absolue, recul mon buste puis trébuche en arrière en essayant de prendre fuite. Je traîne au sol, je tente de me relever pour repartir et m'enfuir, je parviens à courir quelques instants avant de tomber à nouveau, me relève et je cours encore à en perdre haleine. J'ai l'impression que plus j'essaye de m'enfuir d'elle plus sa présence me retient, je suis comme engluée dans une toile d'araignée, un insecte rampant fuyant l'emprise insatiable de l'arachnide.
A force de courir je finis par atteindre une benne à ordure dans laquelle je me jette pour me dissimuler. Mon cœur cogne tellement fort que la benne doit en trembler. J'attends mon sort en serrant très fort mon loup en bois que je baise frénétiquement pour qu'il me porte chance. Je me répète des mantras : tout ça c'est dans ta tête, personne ne te veut du mal, cette femme étrange et effrayante au possible n'est sûrement qu'une hallucination sortit tout droit de ton esprit détraqué et enfumé. D'ailleurs je vais me fumer une clope. Ça pue horriblement là dedans.
Des pas, comme des coups de semonces prélude à une horreur sans nom, s'approchent de la benne. Je déglutis. Je suis à deux doigts de me pisser dessus. C'est encore une hallucination ? J'inspire très profondément et ma cigarette grésille tellement que ça en devient assourdissant. Des cendres tombent et me brûlent la main que j'agite de douleur, elle vient cogner la paroi de la benne. Les pas s'arrêtent. M'aurait elle détecter ? Je voudrais déglutir mais je n'ai plus une goutte de salive.

Si j'avais pu me douter que ce périple nocturne allait me mener à la situation présente, je me serais abstenu de tout mouvement. Pourtant je suis bel et bien là, jeté sur le dos sans défense avec une lame chaude, battante et refluante faite de sang qui se presse contre ma gorge. Je suis aussi vulnérable qu'un ver sortis de terre. Les orbes rouges me fixent avec haine et semblent déposer sur moi comme un voile de ténèbres de plus en plus opaque. Je préférerais perdre conscience plutôt que de vivre ça, mais le stress et l'adrénaline sont bien trop forts pour me le permettre. Elle se dresse au dessus de moi de tout son implacable être qui luit d'une aura maléfique. Je suis à sa merci.

Des questions étranges sonnent à mes oreilles comme le carillon du cortège royal de sa majesté des enfers. Sa voix forte et stridente me glace le sang, le sien toujours plus menaçant s'agite au dessus de moi. Une arme faite de sang ? Une démone ? Qu'est ce que c'est que cette horreur sans nom ? Et c'est elle qui me demande si je ne suis pas humain ? Ce serait moi le monstre ? Je comprends absolument rien à ce qui m'arrive. Tout est si fulgurant que toute ma personne en est chamboulée. De la pointe de mes orteils jusqu'au sommet de mon crâne qui se cogne contre l'asphalte, aucune cellule de mon corps ne pourra lui répondre autrement que par des signaux de peur : sueurs, tremblements, convulsions, yeux grand ouvert perdu dans l'immensité de la terreur.

Les menaces proférées n'agissent que comme un énième coup de semonce contre ma langue férocement liée par les entraves de l'horreur. Sa main me tient par le col et m'étrangle presque en me soulevant du sol. Je gémis lamentablement de douleur et détourne le regard de ses orbes saillantes. Elle ne me laisse pas d'autres choix que de simplement, innocemment et le plus stupidement possible hurler à la nuit toute la peur que j'ai pu ressentir depuis ma naissance et qui en ce soir de lamentations scabreuses culmine pour se répandre comme un chœur de mille voix hurlantes. De quoi réduire n'importe quel tympan à l'état de miettes, enfin c'est ce qu'il me semble en cet instant. En réalité mon cri doit être similaire à celui qu'émet un insecte lorsqu'il est pris dans les flammes. Mais laissez moi rêver.

Mon hurlement prend fin dans une toux grasse qui me fait suffoquer, conséquence probable de mon tabagisme excessif. Dans mon étouffement, quelques crachats et peut être des morceaux de mes poumons pourquoi pas, s'envolent et s'écrasent sur le visage de la démoniaque.  Et là des mots, pourtant banaux et sans substance, sortent de ma bouche à mon grand étonnement. Serais je possédé par l'esprit de la politesse et du ridicule ?

« Oh veuillez m'excuser kofkof »

Surpris par l'incongruité de mes mots, mes spasmes s'arrêtent et mes yeux se fixent grand ouvert sur elle comme un enfant qui vient de faire une bêtise et qui est dans l'expectative de la punition. Précipité par cette peur d'être « punis », ma langue se délie précipitamment et je parle avec frénésie et confusion :

« Je suis humain je suis humain, enfin je crois et ezjeerlejk mot incompréhensible, fin me tuez pas pitié pourquoi vous faites ça qsgdjq mot incompréhensible, pardon si je vous ai dérangé en quoi que ce soiiiiiiiiiiiiiit... »

A ce moment là ma voix dérape et je hurle de nouveau sans autres raisons qu'une étrange folie dans lequel mon être s'engouffre. Cette fois-ci mon cri est bien plus fort encore et mes oreilles sifflent comme une cocotte minute dans mes tympans. Une sorte de crise spasmodiques bouleverse mon corps qui s'agitent et vibre confusément en tout sens. Mais mon esprit reste conscient, cependant bien impuissant aux appels que je lance à mon corps pour qu'il se calme. J'ai l'air d'un poisson rouge qui aurait bondis hors de l'eau et avec lequel joue un chat sadique.