Quand le chat n'est pas là, les souris dansent. ❖ Sethouille

Depuis combien de temps Seth était-il à la rue ? Difficile à dire. Ce soir encore, il craignait de devoir se trouver une rue dans laquelle se réfugier, pour se coucher par terre, sans doute entre deux poubelles comme à son habitude. Dormir sur le béton ne l’avait jamais dérangé, mais cela ne valait clairement pas le moelleux d’un matelas et de quelques coussins. Cela faisait tellement longtemps qu’il n’y avait pas goûté qu’il n’arrivait même plus à se souvenir de ce confort. C’était devenu un luxe pour lui rien que d’imaginer la chaleur d’un foyer, le goût d’un plat bien préparé, la caresse de l’eau de la douche coulant sur son corps…

Au lieu de ça, il se retrouvait à fouiller les poubelles, faire sa toilette sous forme féline et dormir sur un carton quand il en trouvait un. Tout ça depuis que cette vieille mégère, concierge de l’immeuble dans lequel il avait squatté un appartement depuis qu’il était en ville, l’avait viré de son appart. Il était inhabité alors il s’était permis d’entrer et de faire comme chez lui. Et elle, elle était arrivée un beau jour, apparemment pour faire visiter à des futurs locataires et l’avait découvert. La suite, la voici. Réduit à vivre dans la rue comme un clochard, ou plutôt, comme un chat errant. Parfois, il parvenait à s’incruster dans une famille sous sa forme de chat, et on s’occupait de lui. Souvent, il disparaissait du jour au lendemain, emportant un peu de monnaie avec lui, trouvée dans des tiroirs de la maison qu’il empruntait sans aucune gêne. Il n’avait aucune pitié pour ces familles qui s’attachaient à lui et son corps de chat, et qui devaient sans doute penser que leur animal avait disparu, ou était mort écrasé sous une voiture. Sans doute que Seth voulait éviter de s’attacher également.

Le mieux qu’il pouvait faire avec cet argent volé, c’était aller se bourrer la gueule comme bon clochard qui se respecte. Il était venu à Hoshikami pourquoi déjà ? Un foutu humain ? Un an qu’il était là, et toujours aucune trace de lui. Il fallait avouer qu’il en avait un peu ras-le-bol à force, et un petit verre de temps en temps ne faisait pas de mal. C’est ainsi que ses pieds le guidèrent d’eux-mêmes vers un bar qu’il n’avait jamais vu mais qui n’avait pas l’air si mauvais. Naturellement, il alla s’installer à une table dans le fond, et attendit patiemment qu’on le serve, observant avec une certaine nonchalance les  autres clients, et écoutant de temps à autre leurs conversations, grâce à son ouïe fine.

C’est alors qu’il eut une sensation on ne peut plus étrange. Loin d’être désagréable cela dit, il ne sut comment qualifier ce sentiment qui le submergeait soudainement. C’est alors qu’il leva bêtement les yeux, et le vit. Il était blond, grand, assez baraqué, il était là, assit au comptoir, pas l’air dans son assiette. Et pourtant c’était bien lui. C'était son humain. Le brun n’aurait pas su dire comment ni pourquoi il le savait. Il le savait. Point.

C’était probablement inscrit dans son âme, ou dans son destin, il en savait trop rien lui qui trouvait ces deux idées profondément abstraites. Mais dans tous les cas, pour rien au monde il n’aurait échangé cette sensation. Celle de se sentir enfin complet, d’avoir trouvé ce qu’il cherchait depuis si longtemps, trouvé ce qu’il était prédestiné à rencontrer au final. C’était comme une libération, ou une récompense durement gagnée. Il en venait presque à regretter de ne pas avoir cherché cet humain avant.

Que devait-il faire, maintenant ? Aller le voir, comme si de rien était et lui dire simplement « hey, salut, j’suis ton étoile ! » ? C’était délicat. De plus, son humain ne semblait pas en très bon état, pour ne pas dire complètement saoul.

« C’est bien ma veine… » murmura-t-il pour lui-même en voyant que le jeune homme semblait s’échauffer avec quelques voyous déjà installés dans le bar avant son arrivée.

Seth vit alors son humain se lever et s’agiter en tenant difficilement sur ses pattes. Il avait l’air vraiment amoché et l’étoile ne donnait pas cher de sa peau face aux voyous. C’était donc à lui d’agir. Comme s’il avait que ça à faire, franchement. Sans plus attendre, il se leva précipitamment et alla s’interposer entre son cher humain et le petit groupe qui s’apprêtait à lui rentrer dedans. Sans prévenir, il attrapa le blond par les épaules, un grand sourire aux lèvres semblant exprimer toute la chaleur du monde.

« Eh, mon vieux ! Je t’avais même pas vu, comment ça va vieille branche ? Encore bourré à ce que je vois, haha ! » lâcha-t-il avec un naturel presque alarmant, tapotant joyeusement le torse de son humain. « Vous permettez que je vous l’emprunte ? On a du temps à rattraper nous deux, depuis le temps qu’on s’est pas vus ! »

Sans plus de formalités, Seth tira à grandes enjambées son humain à l’extérieur, fuyant le plus vite possible les voyous qui n’eurent probablement pas le temps de les suivre, ou peut-être pas l’envie. Seth et son jeu d’acteur magistrale leur avaient un peu coupé l’herbe sous le pied. En attendant, il traînait son humain loin du bar, tentant d’ignorer l’odeur de l’alcool qui empestait ses narines. Sans plus attendre, il se permit de fouiller les poches du jeune homme pour y découvrir très rapidement un porte feuille. Il trouva alors dans celui-ci des papiers d’identité, une clé et une adresse griffonnée sur un bout de papier. Par chance, l’étoile connaissait bien le quartier et savait exactement où se situait l’endroit, priant simplement pour que cela fut bien l’appartement de son humain, étant donné qu’il n’avait nulle part ailleurs où l’emmener.

Seth du donc porter l’homme jusqu’à cette fameuse adresse, ce qui ne fut pas chose aisée étant donné qu’il était probablement plus lourd que lui. Entrant la clé dans la serrure, il eut un soupir de soulagement en voyant qu’elle correspondait à la porte. Parfait. Il le traîna ensuite plus qu’il ne le porta dans les escaliers, tant et si bien que son pauvre humain –qu’il était censé protéger, rappelons-le – s’en sortirait probablement avec quelques bleus. Mais ce fut pour la bonne cause, puisqu’ils arrivèrent enfin à ce fameux  appartement, que Seth ouvrit et pénétra sans aucune gêne, sans considérer la possibilité qu’il puisse vivre avec quelqu’un d’autre. Pourtant, il ne vit aucune femme ni d’enfants en vue. Seulement…

Un chat. Ce type avait un chat.

Est-ce que c’était possible de tomber mieux, très franchement ? Seth n’eut pas le temps de réfléchir à la question qu’il s’en alla cherche la chambre du blond sans perdre de temps et, lorsqu’il la trouva, le jeta sur son lit sans une once de délicatesse. Fallait pas trop lui en demander non plus. Et puis, maintenant qu’il avait mis son humain bourré en sécurité, il pouvait s’en aller visiter les lieux. Oui, il aurait pu. Mais pourtant… Seth n’avait pas pu poser son corps humain sur un lit depuis si longtemps… Allait-il résister à la tentation ?

Clairement pas. C’est pourquoi, plutôt que d’aller visiter les lieux, marquer son territoire ou faire quoique ce soit de productif et bénéfique pour l’humanité, il retira ses chaussures ("question de politesse" aurait-il déclaré en son for intérieur) et se jeta également sur le lit, aux côtés de son humain. Il ne savait pas s’ils allaient s’entendre, il avait déjà vu une facette qui ne lui plaisait pas vraiment, mais le brun songeait qu’ils auraient tout le temps de se connaître. Car c’était officiel : Seth avait prit possession du lit, s’endormant quasiment collé à son humain, et comptait bien ne pas partir de si tôt.

Tout du moins, pas avant qu'on ne l'ait formellement chassé. Mais il n'y avait aucune raison que ça arrive... Pas vrai ?

Seth ne s'était pas senti aussi bien depuis très longtemps. Trop longtemps. Avait-il seulement déjà ressenti un tel sentiment de plénitude ? Il n'en savait trop rien. C'était difficile à dire. Enveloppé d'une douce chaleur, pour rien au monde il n'aurait bougé, ni même ne serait-ce qu'ouvert les yeux. Le seul élément venant légèrement perturber cet état de béatitude restait cette odeur. Une odeur désagréable, forte, trop proche de l'alcool à son goût. Mais après tout, ce n'était qu'un détail. Insignifiant. Il était si bien, sur cette surface moelleuse. Si paisible, collé à ce corps inconnu qui émanait une douce chaleur. Rien au monde n'aurait pu perturber cet instant. Rien. Si ce n'est...

« Bordel de merde ! »

L'étoile n'eut pas le temps de comprendre ce qui lui arrivait que son corps chuta et se cogna lourdement contre le sol, ce qui lui arracha un long gémissement de douleur. Ce n'était décidément pas le genre de réveil auquel il s'attendait. Encore dans les vapes, il eut du mal à comprendre ce qu'il venait de se passer. Visiblement, il était tombé du lit dans lequel il s'était installé. Ou plutôt, on l'avait violemment éjecté, sans aucune forme de respect. Les souvenirs faisant peu à peu surface, Seth se rappela alors. Son humain. C'était comme ça qu'il traitait son étoile ? Dire qu'il lui avait probablement sauvé la vie. Il lui en devait une, quand même, et le virer du lit n'était pas la meilleure façon de le remercier.

Le brun entendit le fameux chat de tout à l'heure venir jusqu'à la porte, voir un peu ce qu'il se passait par ici. Naturellement, l'animal n'était pas perturbé par la présence de l'étoile, notamment de par sa seconde nature. C'était quelque chose récurent chez Seth, cette affinité avec les chats, et c'était on ne peut plus normal. Il s'était toujours considéré comme l'équivalent d'un Alpha pour les chats, le tout sans aucune prétention.

Quoiqu'il en soit, le jeune homme se redressa difficilement, s'accrochant tant bien que mal au bord du lit pour se relever. Il aperçut son humain se masser les tempes, ce qui lui arracha un sourire. Il aurait donné n'importe quoi pour savoir quelles genres de pensées le blond pouvait bien avoir à l'heure actuelle.

« Qui êtes-vous et que faites-vous chez moi ? »

Seth ne put retenir un bâillement, montrant clairement comme la situation n'affolait que l'humain. Et pourtant, il était on ne peut plus amusé par la scène qui se déroulait. Tant et si bien qu'il était prêt à la faire tourner en bourrique, au moins pour se divertir. Juste un peu.


« Eh bien mon chaton, c'est voir mon corps d'apollon dans ton lit qui te met dans cet état ? T'étais plus avenant hier soir. Tu sais déjà plus qui je suis, mais j'espère que t'as pas oublié notre nuit de folie parce que je risquerais de me vexer... » conclut-il en lançant un sourire des plus provocateurs.

Il ne quitta pas des yeux son humain lorsqu'il le vit enfiler un t-shirt pour s'enfuir vers le salon. Il ne put contenir un rire grotesque, et se leva pour quitter la pièce, adressant quelques caresses au chaton au passage.

Sans perdre de temps, il rejoignit son cher humain dans la pièce principale, et en profita pour observer les lieux, étant donné qu'il n'avait pas eu l'occasion de le faire avant. Il trouva la décoration ennuyeuse à mourir, et ne s'attarda pas longtemps dessus. Elle n'avait vraiment rien d'exceptionnelle. Son beau blond s'était servi une tasse de café et ne semblait pas ravi de revoir Seth débarquer dans son salon. Et il y avait de quoi.


« Vous n'existez pas, je le sais. J'ai trop bu et puis je vous ai inventé, pour je ne sais quelle raison. Maintenant sortez de ma tête ! »

L'étoile haussa ses deux sourcils et du mettre une main devant sa bouche pour se retenir de rire. Sérieusement ? Son humain délirait complètement, l'alcool avait du avoir quelques effets néfastes sur son cerveau. Et puis, pourquoi être autant dans le dénie ? Il n'y avait aucun mal à emmener un homme comme Seth chez soi. Il n'était pas spécialement laid... Pas vrai ?

Mais plutôt que de chercher à comprendre et à calmer ses délires, il préférait largement en profiter pour s'amuser. Juste un peu. C'est pourquoi, il s'approcha de Math et posa ses deux mains sur les épaules, arborant un air grave qui ne lui allait décidément pas.

« C'est vrai, Mathias. Je ne suis pas réel. Je suis en réalité la représentation de ton plus grand fantasme masculin, celui que tu n'as jamais avoué. Et faut dire que t'as bon goût. C'est l'heure de faire de coming-out. »

C'était presque effrayant de voir à quel point Seth parvenait à garder son sérieux lorsqu'il faisait une très mauvaise blague. Et puis, il y avait ce chat, qui traînait dans ses pieds et qui le gênait un peu. L'humain sembla d'ailleurs bien plus dérangé par ça que par autre chose.

« Et laissez Sushi tranquille ! »

... Est-ce qu'il avait bien entendu ? Le visage du jeune homme passa de la surprise, à l'amusement, puis à la compassion. Le maître avait prit son chaton dans ses bras, comme par protection, ce qui n'empêcha pas le brun de murmurer un petit quelque chose pour l'animal, assez fort pour que son propriétaire l'entende néanmoins.

« Bon sang, il t'a vraiment appelé Sushi ? Ouah. Je crois que j'ai jamais eu pire comme nom, et pourtant, j'en ai eu des surnoms de merde. » conclut-t-il en ricanant.

Non, Seth n'épargnait pas son humain pour le coup, mais c'était un peu une revanche personnelle pour s'être mit en danger. Que se serait-il passé s'il n'avait pas trouvé son humain ? Peut-être aurait été il retrouvé mort dans une ruelle plus loin. Son étoile serait alors morte également. Alors, il méritait bien qu'on lui remonte un peu les bretelles, et avec un peu de chance, ça le dissuaderait de retoucher à l'alcool. Avec un peu de chance.

Le brun observa donc son vis-à-vis se remettre de ses émotions, tentant tant bien que mal de s'installer sur son canapé sans tomber. Il n'avait vraiment pas l'air dans son assiette, Seth en aurait presque eut de la compassion pour lui. Presque.

« Si vous êtes bien réel, prouvez-le moi ... Allez donc me chercher un Doliprane s'il vous plait.. »

Il cligna des yeux, sans trop comprendre. Il capitulait ? C'était moins drôle que prévu. Seth haussa des épaules et sourit de nouveau, un sourire plus franc, plus assuré aussi. Presque docile.

« C'est comme si c'était fait mon minet. »

Sans un mot de plus, Seth s'en alla dans ce qui lui avait semblé être la cuisine, à la conquête de ce fameux doliprane. Ce n'était pas très malin de l'envoyer en chercher un quand il ne connaissait pas les lieux, mais tant pis. Il fouilla plusieurs placards, non sans laisser un incroyable désordre derrière lui, comme le bruit qu'il faisait et qui résonnait dans tout l'habitat pouvait en témoigner. Il mit quelques minutes avant de trouver des médicaments, et quelques secondes avant de trouver le bon. Il put donc également prendre un verre rempli d'eau -étant donné qu'il avait fouillé tous les placards de la pièce, il n'avait eu aucun mal à en trouver- et finalement l'amener à Mathias. S'il s'était moqué de lui jusqu'à lors, Seth jugeait que la plaisanterie était finie. C'était son humain après tout, il était censé en prendre soin, normalement.

Ainsi, il apporta gentiment le verre et le doliprane, comme si de rien était, et s'avachit à côté de lui lorsque ce fut servit.


« Ca t'apprendra à boire comme un trou. Mec, j'ai eu peur en vrai, je sais pas ce que t'aurais fait si j'étais pas venu. » lâcha-t-il simplement, comme seule explication à cette matinée infernale qu'était en train de vivre le jeune homme.

Sans doute attendrait-il quelque chose de plus clair et précis. L'alcool semblait avoir altéré à la fois ses souvenirs et sa raisons, restait plus que Seth pour le remettre sur pieds et lui faire comprendre que sa vie n'allait plus vraiment être pareille désormais. Ainsi, il prit Sushi contre lui afin de lui accorder quelques caresses, le temps de son explication.

« En fait, je t'ai trouvé complètement bourré dans un bar, t'étais sur le point de te battre contre des voyous qui t'auraient probablement laminés, sans vouloir t'offenser. »

Comme si Seth se souciait vraiment de ce qui pouvait l'offenser.

« Je suis intervenu pour calmer le jeu et je t'ai tiré de là, donc tu m'en dois une déjà. Je t'ai fait les poches, j'ai trouvé ta carte d'identité et ton adresse dans ton porte-feuille -je t'ai pas piqué de fric, relax- et je t'ai ramené chez toi. Je sens que tu vas être très déçu mais faut que je t'avoue un truc. » Il prit une légère inspiration et, bien que le ton fut ironique, son visage se montra sérieux, presque dramatique. « On a pas couché ensemble, si tu veux tout savoir. Je me suis juste endormi comme une loque à côté de toi. Ah, ce sont des choses qui arrivent. »

Sans aucune gêne, il s'étira de tout son long et s'assit en tailleur sur le canapé, pour se tourner vers son interlocuteur, histoire de lui faire face. C'était l'instant de la révélation, après tout.

« Du coup, je me présente. Je suis Seth, ton étoile. Ton ange gardien, en gros. On va passer de bons moments ensemble t'en fais pas. Depuis le temps que je te cherche, enfoiré. » conclut-il sur un ton presque amicale, en tapotant joyeusement l'épaule de son vis-à-vis.

Quoique, ils n'avaient peut-être pas la même définition de "bons moments" cela dit...