8# Matthieu Dahlia — Emile Underwood

« J’aurais pas dû venir. » dit-elle dans un murmure. Elle jeta un œil à gauche, à droite, à gauche, en arrière. Son regard se posa sur les marches de l’escalier qu’elle venait de descendre. Il était encore temps de renoncer, remonter les marches quatre à quatre, et rentrer à la maison, en sécurité.

Mais elle avait dit qu’elle en était capable. Qu’elle devait voir de ses propres yeux la chose qui hantait la salle des archives. Pas question d’abandonner ; on se moquerait d’elle, c’est certain !

Alors Emile agita les mains pour se donner une contenance, puis fronça les sourcils. La porte, entrouverte, semblait l’inviter à entrer. Elle posa un pied à l’intérieur. Crouic. Elle se mordit les lèvres, maudissant le plancher trop vieux pour supporter son poids plume en silence. Un autre pas. Crac. Elle n’avait plus le choix, et le sol ne semblait pas vouloir se montrer coopératif. Elle se mit à avancer rapidement à petits pas, tentant de poser le pied au sol le moins possible. Quelle idée de génie, Emile ! Voilà que tu tombes nez à nez avec d’autres gens !

Précipitamment, la petite blonde se cacha derrière une des étagères. Le souffle court, le stress montait. C’était sûrement un groupe de gardiens de bibliothèque et ils allaient la gronder sévèrement s’ils la trouvaient ici, pensa-t-elle. Mais la curiosité la poussa à pencher la tête pour observer tous ces gens. Boum boum. L’angoisse montait. Boum boum. Un joli garçon se faisait frapper, insulter, molester, harceler par des lycéens plus âgés. La jeune fille écarquilla les yeux de stupeur ; elle n’était pas familière du concept. Fais quelque chose Emile !

Heureusement, le groupe ne semblait pas l’avoir remarquée. Elle devait cependant sauver le brun. Pour une fois que tu n’es pas la demoiselle en détresse, Emile. Elle balaya la pièce du regard à la hâte ; n’y avait-il pas dans les parages quelque chose qui pouvait lui être d’une quelconque utilité ? Puis l’idée fusa. Pas besoin d’accessoires autres que son corps !
La jeune fille se racla la gorge discrètement, bomba le torse pour entrer dans le rôle, et joua son personnage d’une voix forte.

« Qui a laissé la porte ouverte ?! Il y a quelqu’un ?! »
C’était censé être le gardien, le concierge, un adulte dans tous les cas. Ça manque peut-être d’un peu de crédibilité, Emile. Mais elle n’en avait pas fini là ; elle ajouta à cela de lourds bruits de pas, qu’elle fit en forçant un peu sa démarche. Puis, sans se préoccuper du sort des assaillants, elle se déplaça jusqu’aux côtés du jeune homme et, un doigt posé sur la bouche, elle lui fit un signe de la main.
Salut. Tu vas bien ?

Emile croisa les bras, satisfaite. Les agresseurs avaient décampé sitôt que sa grosse voix avait retentit, faisant trembler les murs de la salle des archives (enfin, ça c’est ce qu’Emile aimait penser). Voilà qui faisait d’elle un héros ! Le chevalier servant ! Le prince sauvant la princesse ! D’ailleurs, cette princesse, c’est-à-dire ce garçon, avait une attitude qu’Emile ne comprenait pas vraiment ; il marmonnait de mystérieux propos, et éclatait de rire soudain. Ne sachant pas trop comment réagir face à l’hilarité apparente de la situation, la jeune fille scrutait le visage du brun, jetait de petits coups d’œil dans la pièce, au cas où un truc comique serait en train de se dérouler, mais ne vit rien d’inhabituel. Elle en conclut donc que ce rire était le résultat de la retombée du stress et de la pression.
Alors elle l’accompagna. Emile partit soudain d’un grand rire, un rire tonitruant, sonnant légèrement faux, afin de ne pas rester stupidement plantée là, les bras ballants. Puis les éclats de rire se tarirent, et il lui confirma que ça allait, maintenant ; la blonde poussa un petit « ouf » de soulagement. Soulagement qui fut de courte durée ; elle s’aperçut que sa braguette était ouverte. Depuis combien de temps ? Pas moyen de s’en rappeler.

« AAAAAH. »

Le rouge lui montait aux joues tandis qu’elle se retournait vivement afin de pallier à cette erreur. Allons Emile, si tu voulais être discrète, il aurait mieux valu ne pas crier. Et puis ne dit-on pas que si la cage est ouverte, cela signifie que l’oiseau qu’elle enferme n’est pas dangereux ? Peu importe. Dans le vain espoir de masquer sa gêne et détourner l’attention de son interlocuteur, la jeune fille toussa. Incident clos, s’il vous plait merci.

« Quoi ?! Moi, croire au fantôme ? Pfft, mais non, c’est pour les bébés- » commença-t-elle, le menton levé, tentant d’avoir l’air cool aux yeux de cet inconnu. Mais elle se mordit l’intérieur de la joue. Pourquoi faire semblant. Alors, un sourire un peu idiot aux lèvres, elle se reprit.
« Tu sais quoi ? Ouais j’y crois ! Sinon, pourquoi on en parlerait autant ? Y’a forcément un fond de vérité dans chaque rumeur, non ? Je veux dire, si y’en a pas, ça sort de nulle part, je pense ! Et toi ? »

Argumentaire très poussé, Emile, félicitations. Lentement, elle se laissa glisser par terre, et s’assit en tailleur. Elle remarqua les étagères légèrement déplacées, les quelques livres au sol, la poussière qui stagnait dans les airs. Elle poussa un petit soupir.

« Si le fantôme venait maintenant, ça nous donnerait une excuse pour le bazar qui a été mis ici. » marmonna-t-elle. Ca n’était pas tous les jours qu’on avait l’occasion de voir un être surnaturel, et la jeune fille ne demandait que ça. Elle camperait ici tout la nuit s’il le fallait ; la peur l’avait quittée pour deux raisons. Premièrement, elle venait à elle seule de faire fuir deux brutes. Deuxièmement, eh bien, elle n’était pas seule. Ravie de la situation actuelle, elle fouilla ses poches et en sortit trois paquets de biscuits plus ou moins écrasés, qu’elle disposa devant elle ; du regard, elle invita le jeune homme à se servir, si l’envie lui prenait.

Emile fronça les sourcils, une moue ennuyée se dessinant sur son visage. Voilà qu’elle avait affaire à un sceptique. Elle se contenta finalement de hausser les épaules, se disant que si le fantôme se décidait à se manifester afin de prouver son existence, il le ferait. Et dans le pire des cas, si rien ne se passait, elle aurait quand même partagé son goûter avec un garçon, ce qui représentait en soit une expérience enrichissante ! Bravo Emile, t’as su saisir ta chance !

« T’as raison ! Ici c’est les archives, donc si quelqu’un est mort dans le coin, ça doit être écrit quelque part ! » s’exclama-t-elle en se levant d’un bond. Ou plutôt en tentant de se lever ; ça vous est déjà arrivé, de trébucher sur du rien ? Parce que c’est ce qu’Emile vient de faire. Fort heureusement, l’épaule de Matthieu se trouvait là, et empêcha la jeune fille de faire connaissance avec le sol. Bon, ok, il l’avait poussée, mais elle n’allait pas s’en offusquer ; après tout, c’était elle qui envahissait son espace personnel. Elle cligna des yeux quelques instants, le temps de se remettre de ces sensations fortes –mais pas tant que ça. Elle inclina brièvement la tête en direction du jeune homme, comme pour s’excuser de cet incident.
Puis il se rapprocha.
Très près.
C’était une vengeance ? Parce qu’elle l’avait utilisé pour se rattraper ? Emile fit la moue, ses joues rosissant légèrement. Ben quoi ? Il était joli, même vu de près, voilà. Enfin, elle reprit ses esprits rapidement, passant une mèche de cheveux derrière son oreille.

« T’inquiète, je vais pas mourir. Sinon, c’est moi qui deviendrais un fantôme, haha ! »

Emile, sérieusement. T’as que ce mot-là à la bouche depuis tout à l’heure, tu vas finir par l’ennuyer, le bougre.

« Et sinon, tu faisais quoi dans le coin ? » demanda-t-elle en souriant, peut-être histoire de changer de sujet, ou tout simplement faire un brin de conversation tout en dégustant ses miettes de gâteaux. Et plic. Une goutte sur le dos de la main. Interloquée, Emile hausse un sourcil et s’apprête à apostropher son compagnon, pour lui signaler la chose. Ploc, une goutte sur le nez. Et bientôt, la pluie s’écrase dans la salle. En intérieur. Il s’agit donc bien évidemment de magie !

« C’est le fantôme ! Ouais ! » lance-t-elle, ravie, avant de lâcher un petit éternuement. Atchi. Elle renifle discrètement.
« T’as pas un parapluie ? Ca drache sévère ! »