Parce que la logique veut que la première fois, c'pas toujours la bonne -Harvey-

"She always hated this human. Now, she hates him and thinks only death will change anything."

Pourquoi la vie ? Pourquoi la mort ? Que ressentaient les étoiles lorsqu'elles croisaient l'humain ou l'humaine de leur destin en cours de route ? Ce fil rouge impossible à briser les menait-il de sa magie l'un vers l'autre ? Lynell ne saurait pas trop répondre à ces questions que la narratrice se posait en écoutant des musiques qui la dirigeaient vers une inspiration lyrique et apaisante, tard dans la nuit. A vrai dire, la jeune femme au cheveux bleus, en plus de se demander quelle drogue prenait sa créatrice, se fichait pas mal de ces interrogations pleines de sens profond comme les trous de nez de sa prof de philosophie du lycée, puisqu'il était hors de question qu'elle rencontre cette personne. Et surtout, elle n'y pensait absolument pas à l'instant présent, occupée à rager contre le personnage secondaire qu'elle devait protéger en avançant dans un de ses jeux vidéos préférés. La frustration et l'attention qu'elle portait à son jeu rendaient toute réflexion philosophique impossible à l'heure actuelle. Quel idiot avait eu l'idée de faire des missions de protection de ce genre, avec une difficulté aussi haute ? Ce n'était pas qu'elle n'aimait pas le challenge, mais, sérieusement, fallait pas déconner. A un moment donné, il fallait se fixer une limite à son sadisme, développeurs.

Le personnage insupportable à protéger se faisant détruire pour la énième fois, Lynell finit par perdre patience et balança la manette sur son lit. Son game over ne valait pas le décès de sa manette, elle n'était pas folle. Grommelant avec mauvaise humeur, elle s'affala sur son lit et regarda l'heure. Cette dernière n'améliora pas son humeur actuelle. Bien au contraire. Elle devait aller au boulot d'ici un quart d'heure. Rah... Pas l'temps de se faire belle. Elle irait bosser habillée comme un sac, avec le strict minimum de maquillage et les cheveux un peu en bordel. Rien à faire, de toute façon les clients la recevaient pas dans leurs tenues de soirée. Elle était même tombée sur des vieux dégueulasses en caleçon. Ah, de belles nanas et des mecs à son goût aussi. Mais bon. Elle ne faisait que livrer des pizzas, elle n'allait pas au bar, ou à un endroit quelconque qui nécessitait de ressembler à autre chose qu'un vieux pyjama crade laissé par terre dans un coin de pièce. Lynell se prépara en râlant. Jean noir délavé et déchiré, vieux t-shirt ample, gros sweat à capuche et veste en cuir enfilés, bonnet mis sur la tête, mitaines protégeant ses mains, et Doc Martens aux pieds, elle quitta, non sans regret, son appartement.

Et, non sans dégoût de la vie, la jeune femme constata qu'il pleuvait des cordes dehors. Ah. Bien. Ce soir, elle allait devoir s'accrocher. Quelle plaie. Lynell nia également toute responsabilité face à ce jeu de mot merveilleusement foireux. Mais, trêves de blagues, la punk, qui tirait la tronche, se dirigea à pieds jusqu'à la pizzeria. Après s'être prit le sourire moqueur de ses collègues et des reproches du patron quant à son visage exprimant la personne blasée de la vie qu'elle était, elle commença à travailler, comme presque tous les soirs. Elle relayait le travail avec deux ou trois collègues, histoire de ne pas mourir de fatigue avant la fin de la première semaine de son contrat de travail. Mais ce soir, elle avait eu la malchance de tomber sur un soir de pluie, et ces soirées étaient les pires. Non seulement il fallait faire encore plus attention sur la route, mais en plus, une fois sur deux, quand ça arrivait, la jeune femme se retrouvait avec un rhume bien violent. Surtout en hiver. Sur son scooter, soigneusement emmitouflée dans sa veste, l'étoile bleue attendait à un feu rouge, transie de froid malgré son uniforme fait pour résister à ce genre de contretemps. Si on enlevait les côtés négatifs de la pluie pendant le boulot, il fallait avouer que la pluie apportait quelque chose de beau aux différentes lumières colorées de la ville. Tout se reflétait dans les flaques. Oui, ce feu rouge était particulièrement lent.

Vint enfin le moment de passer. Lynell accéléra et prit la rue menant au centre ville, dans les allées piétonnes. Les pizzas étant pour un habitué, elle connaissait le chemin par coeur, ce qui l'incita à rouler un peu plus vite que d'habitude. A fond les vitesses, elle profitait de cette dernière, puisqu'il n'y avait personne dans les rues sombres peu éclairées du centre, à cette heure-ci. Une grande silhouette sombre surgit soudainement sur son chemin. Le visage de Lynell, rougit par le froid, se tordit dans une expression de surprise et de peur. L'éviter ? Impossible. Il était beaucoup trop près. Sinon, ce ne serait pas drôle. Trente secondes avant l'impact. Lynell eut à peine le temps de crier un avertissement, prise de panique et manquant de faire une crise cardiaque, freinant à fond.

-ATTENTION !!!

Crissements des pneus glissant sur le sol pluvieux, elle perdit le contrôle du scooter. Puis le choc vint. Lynell se retrouva projetée hors de son véhicule et roula à terre pour s'immobiliser un peu plus loin, tandis que le scooter percutait assez fort le passant.

Grognant de douleur et jurant contre le monde entier, la jeune femme se redressa, tremblante malgré elle, non sans grimacer de douleur. Elle allait avoir de sacrés bleus, mais au moins elle était entière. Assise sur le sol, elle se massa l'épaule gauche, qui lui faisait plus mal que tout le reste, et continua à faire l'état des lieux de son corps, le coeur encore battant du mélange de peur et d'adrénaline qu'elle venait de subir.

La jeune femme ne prit même pas la peine de lever les yeux pour scruter l'homme qui s'était enquit de sa santé. En premier lieu, elle n'avait pas répondu, occupée à rechercher un quelconque dommage sur son propre corps, mais, par chance, aucune douleur n'était comparable à celle d'une fracture ou d'un coup violent sur le crâne. Elle ne remercierait jamais assez le mec qui avait pensé à créer le casque de protection. Juste son épaule qui avait dû se déboîter dans la chute et, en claquant, s'était remise en état comme si de rien n'était. Comme si rien ne s'était passé. Tu parles ! En plus de souffrir des chocs qu'elle avait prit en roulant à terre, son épaule lui faisait vivre la misère. En plus, il faisait froid. Tellement froid. Et cette pluie dense qui ne voulait pas s'arrêter, comme si elle prenait un malin plaisir de les rendre malade. Un éternuement sonore attira son attention. Ses yeux bleus se levèrent enfin pour scruter l'homme, qui était assit sur le trottoir, un objet ressemblant à s'y méprendre à une guitare brisée sur les genoux, les cheveux dégoulinants de pluie. Lynell, pour être honnête, n'en avait rien à faire de cet inconnu, qui, en passant, s'était jeté sous ses roues comme un imbécile. Elle aurait pu l'envoyer à l'hôpital ou même le tuer, ça ne lui aurait fait ni chaud ni froid, tant qu'elle, elle allait relativement bien. Bon, le tuer, c'était un peu excessif, elle n'avait pas envie de finir en prison pour un inconnu. Et avoir une mort sur sa conscience, c'était pas franchement idéal comme poids sur ses épaules. Ce serait bête.

L'inconnu semblait assez mal en point, sa grande taille ne le rendant visiblement pas plus fort qu'un être plus petit et chétif que lui. Il avait l'air misérable, avec sa guitare brisée sur ses jambes. Il fallait avouer que la perte d'une guitare était toujours douloureuse. Lynell, songea tristement à sa vieille guitare acoustique qu'elle avait possédé un jour, mais qui avait fini par passer par la fenêtre lors d'une soirée trop arrosée. Celui qui avait fait ça avait été prié de ne plus jamais apparaître dans son champ de vision, ayant reçu en prime un violent coup de pied dans le service trois pièces et un œil plus noir que la normale. Ça l'avait fait péter un câble. Ah... Le temps où elle pouvait jouer et chanter lui manquait, même si, honnêtement, elle était mauvaise. Elle chantait faux, en plus d'avoir la voix cassée à cause du nombre astronomique de clopes qu'elle s'enfilait par jour, et jouait de manière approximative, juste pour le fun. Mais, peu importe, elle aimait ça. Faudrait qu'elle songe à s'en racheter une, de guitare. Après cette brève pause, les réflexions de Lynell revinrent se focaliser sur l'homme suicidaire. Que faire ? Elle avait des pizzas à livrer, mais elle ne pouvait pas le planter là, si ? Prise de doute, elle se leva et approcha l'inconnu tout en enlevant son casque, découvrant sa chevelure bleutée, l'expression rebelle, exprimant une certaine mauvaise humeur. Elle s'adressa à lui d'un ton sec et hautain.

-T'avais des envie suicidaires ou quoi ? T'as des yeux et des oreilles, c'est pas pour rien, tu pourrais...

Ses yeux, qui avaient cherché le contact visuel de ceux, bruns, de l'individu tout en l'engueulant froidement, s'écarquillèrent peu à peu. Un étrange sentiment s'emparait d'elle, s'insinuait en elle de manière perfide, lui faisant perdre peu à peu ses moyens.

-... regarder où tu mets les pieds...

Très mal à l'aise, Lynell se tut, le scrutant avec plus de précision qu'elle ne l'avait fait jusque-là, les sourcils froncés. Ce type... Elle avait jamais été autant paumée en croisant pour la première fois le regard de quelqu'un. Quelque chose la troublait, mais elle ne savait pas quoi. Et ça commençait franchement à la mettre en rogne. Se reprenant en main, Lynell le jaugea d'un air fier, tentant de ne laisser rien apercevoir de son trouble.

-T'as besoin que je t'emmène à l'hosto ou pas ? J'ai du taff, j'ai pas des heures à te consacrer.

Déjà qu'elle allait se faire jeter par son patron si les clients se plaignaient d'avoir reçu des pizzas froides. Chienne de soirée... Pourquoi est-ce qu'elle s'inquiétait du sort de cet homme, sérieusement...