La fin est dans le commencement~ [ PV Eurydyce Ôta ]

Les ombres arpentaient les ruelles sombres et difformes de la ville, donnant aux murs manquant de crépis un aspect indiscernable, comme l'auraient été les remparts d'un labyrinthe. Le ciel, recouvert d'une épaisse masse grise annonçait une journée maussade aux couleurs dégarnies. Et parmi ces tons ternes, ces passants au pas pressé, il y avait ce garçon qui avançait à contre-sens, ses cheveux à la pigmentation singulière rayonnant dans la froideur des rues. Le vent quant à lui délivrait un parfum pollué aux tendres et meurtrières effluves aux composants douteux. Sur le sol humide et baignant dans une crasse perpétuelle, se déposaient de fines gouttelettes à des temps irréguliers, ces dernières étant les fidèles annonciatrices d'un orage à venir. Mais alors qu'un mauvais temps était à venir et que les sourires se défaisaient sur les visages des passants, Sahïne paraissait étrangement serein. Son visage n'affichait aucune mélancolie, aucun mal-être, rien qu'un air détaché de toute réalité. Une journée banale, une journée parfaite, se répétait-il. Bon, il me faut juste une signature pour la sortie scolaire de mardi. J'ai l'argent, plus que la signature. Ses pas semblaient bouger d'eux-mêmes comme s'ils connaissaient le chemin par coeur, comme s'ils l'avaient emprunté tant de fois que c'en était devenu un automatisme. Ses doigts trituraient les murs alors qu'il passait, laissant derrière eux une traînée écarlate due à des blessures mal cicatrisées. Puis il s'arrêtait, les faisait jouer ensemble, appuyant sur certaines plaies avec cet espèce hermétique qui n'était qu'à lui. Les gouttelettes de pluies venaient y ajouter un peu plus de mystère en se prélassant sur cette peau torturée alors qu'elle laissait une impression négligée à ses cheveux teintés de bleu. Ces derniers d'ailleurs contrastaient avec le blanc immaculé de sa chemise, il portait encore son uniforme scolaire. Enfin, il se glissa dans une ruelle sur le bas côté et s'y enfonça comme une âme en peine dans les ténèbres. Et pourtant, c'était un quartier bien sympathique, au point qu'un sourire indistinct se traça sur ses lèvres comme une comète dans le ciel étoilé. Finalement, il vira sur le côté et s'arrêta juste devant une porte et, sans même prendre la peine de frapper, il laissa sa main droite s'emparer de la poignée, la gauche tenant déjà un sac de courses. Alors, un petit coup de hanche et la porte s'ouvrit sur un deux pièces agréable.

« 'Suis là ! S'exclama-t-il en réexaminant le sac de course. J'ai apporté de quoi faire à manger ! Ah et si ça t'embête pas… j'ai besoin d'un service. »

Sa voix légèrement mal assurée était la parfaite illustration d'un jeune homme qui se sentait déjà suffisamment redevable et gêné à l'idée de demander, encore une fois, de l'aide. Il se glissa néanmoins à l'intérieur en rabattant la porte d'un léger coup de talon. Alors, il laissa le sac de course sur la table à manger, regardant distraitement le cendrier, toujours rempli de mégots. Cette vision le fit soupirer quoiqu'un petit sourire traînait toujours sur ses lippes.

« Tu vas te pourrir la santé franchement. Je me demande comment tu fais pour pouvoir encore respirer. Tes poumons doivent être vachement résistants, hein... »

Une journée pour moi. Une journée où je peux passer un peu de temps au lit, profiter, prendre du repos, un peu. Réfléchir, beaucoup. Repenser aux évènements de la veille. Ma rencontre avec Uren Xander Battle. Une étoile. Mon étoile… Je me retourne sous mes draps. Je ne sais plus quoi penser. Cette rencontre a suffi à chambouler tout ce en quoi je croyais. Tout ce en quoi j’étais convaincu. Un nouveau soupire s’échappe d’entre mes lèvres. J’aimerais comprendre. J’aimerais… je ne sais pas. En fait, je crois que tout est plutôt simple, au final. Je me suis bercé d’illusion. J’ai dû m’enfermer dans une bulle. J’ai dû me mettre des œillères, pour ne pas voir cela plus tôt. Que tout est vrai. Pourtant, certains ont sans aucun doute tenté de nous le dire. Ma mère, pour commencer.

Décidément, quel idiot je peux faire. J’ai fait l’autruche. Tout simplement. C’est la seule chose que j’vois. Mais… alors que je ferme les yeux, pour tenter de me rendormir de nouveau, me reposer et oublier l’espace de quelques temps tout ce qui me tracasse, le bruit de la porte qui s’ouvre se fait entendre. Il n’y a que deux personnes qui ont mon double. Idris. Et Sahïne. Le premier est mon meilleur ami. Le second, mon petit protégé. Et d’après la voix qui se fait entendre, il s’agit du petit deuxième.

« J'ai apporté de quoi faire à manger ! Ah et si ça t'embête pas… j'ai besoin d'un service. »

D’accord. Le garnement a tendance à me redonner le sourire, même lorsque je ne suis pas disposé à le faire. Je me redresse un peu, dans mon lit, et me passe une main dans les cheveux.

« Hrmn… »

La seule chose qui sort de ma bouche, à cette heure-ci. Avec toutes les clopes que je me suis allumé hier, pas étonnant que j’ai la voix rauque. D’ailleurs, Sahïne me fait une réflexion à ce sujet. Il a dû voir mon cendrier rempli. Et encore, il n’a pas regardé près de la poubelle, il y verrait les cadavres de bouteilles de bière… enfin. Je me sors de mon lit, puis de la chambre.

« Hmn… Yo… »

Ma main descend sur ma cuisse, pour la gratter doucement. Et me rappeler que je ne porte en tout et pour tout qu’un simple t-shirt bien trop grand pour moi, appartenant à l’origine à Idris, ainsi que mon boxer. Et mes dreads tombent sur mes épaules. J’ai les yeux encore un peu à moitié clos. J’suis pas réveillé depuis longtemps après tout. Et me voilà à attraper mon paquet pour me faire ma première cigarette de la journée.

« Écoute mon p’tit… j’te laisse squatter, mais les commentaires sur ma façon de fumer  Pigé ? »

Ok, je crois que j’suis un peu grognon ce matin.

« Un service, t’as dit ? »

Je change de sujet, me frottant les yeux de ma main de libre. Je vais m’assoir sur le canapé, croise les jambes, faisant se remonter le t-shirt sur mes cuisses.

« Mais dis moi… t’as l’air moins amoché que d’habitude, nan ? Ça fait combien de temps que tu t’es pas battu ? Ou du moins qu’t’as pas été blessé ? Ou alors c'est une illusion d'optique ? Ou alors j'ai encore la tête dans le cul ? »

L’occuper sur lui-même plutôt que de me poser des questions. Bien plus pratique. Parce que je suis pas certain de savoir quoi dire ou pas, sinon. Inspiration profonde, la fumée emplie mes poumons qui, non, ne sont pas plus résistants que ça. Mais tant pis. Quoi que… non, pas tant pis. Quel idiot je fais… plus je fume, plus je me rapproche d’une mort inéluctable. Et donc, de celle d’Uren aussi. Quel con, bordel… J’écraser ma cigarette à peine entamée dans le cendrier, dans un soupire, avant d’attraper celui-ci et aller le vider dans la poubelle. Un verre d’eau. Un café.

« Oh oui, un café… »

Je murmure doucement, avant de me mettre à le faire couler. Ça me fera du bien, ça… un bon café. Allez…