Now in this twilight, how dare you speak of grace [Yami]

Les livres ne pesaient pas lourd dans le sac en plastique qui pendait au bout du bras de Pan. Ses pas s'enfonçaient dans le sable de la plage, rendu gris par l'absence de soleil ; la mer, à quelques mètres de là, était verte. Il faisait attention à ne pas trop s'en approcher, pour ne pas marcher sur la partie humide, mais longeait la délimitation plus sombre. Ce qu'elle était longue, cette plage - grise et déserte et longue. La librairie dont il revenait était à l'autre bout ; c'était Gabriel qui l'avait supplié d'y aller chercher un ouvrage qui, d'après ses dires, ne serait trouvable que là-bas. Il était de service, et Pan avait la sale habitude de ne pas rechigner quand Gabriel lui demandait quelque chose. Jamais su lui dire non, sauf quand ça importait vraiment. Le plastique tirait sur sa peau, imprimait une marque blanche dans les lignes de sa main recourbée. Service pour service - il lui devait beaucoup.

Il passa sa main libre sur son épaule droite, la fit rouler sous sa paume. Il avait une sale impression, ces jours-ci, quelque chose comme un pressentiment dans le fond de la tête, comme un point de douleur dans un muscle auquel on ne prête pas vraiment attention, et qui reste là. Il ne savait plus vraiment à quel moment ça avait commencé, ni par quoi ça avait pu être provoqué - un cauchemar ? Un souvenir ravivé par un son, par une odeur ? Un pressentiment. Ça ressemblait à un pressentiment, même si lui ne croyait pas vraiment à ce genre de chose. Les jours s'écoulaient sans se différencier les uns des autres, il ne s'était rien passé d'inhabituel, ni dans sa colocation, ni dans son job, et rien ne semblait vouloir éclairer ce truc qui, là tout de suite, lui faisait comme une nausée au fond du ventre, et dont il finit par comprendre que c'était de l'appréhension.

De l'appréhension. Il lâcha un soupir, et finit par s'asseoir sur le sable sec, assez loin de la ligne de démarcation humide pour pouvoir y rester un moment. Il posa le sac à côté de lui, et se laissa un peu pencher en arrière, s'appuyant sur ses paumes. Le sable crissait, se creusait. La mer gris et verte, à quelques mètres, avançait, lentement. Marée haute. De l'appréhension. C'est quoi, ce bordel ? Il ouvrit le sac, en tira le livres que lui avait demandé Gabriel, pour jeter un œil à la quatrième de couverture. En plus de celui-ci, Pan en avait pris un autre, pour lui, mais pour quelque obscure raison, celui de son ami l'intéressait plus. Un truc anglais, évidemment - un coin de sa bouche se retroussa. Sa main libre, encore enfoncée dans le sable, jouait avec les grains, tandis que, de son autre main, il faisait défiler les pages, distraitement. Conan Doyle. Et, Conan Doyle étant Conan Doyle, il se retrouva bientôt pris dans la lecture. Un livre, après tout, ça se partage - et puis s'y perdre réduisait l'impression à un écho, répit toujours appréciable.