Un nouvel élève à l'école des imbéciles || ft. Alys

Johannes ne savait pas trop comment il était arrivé là, en fait. Il voulait juste aller chez l'épicier du coin pour acheter ce que Grimoire le fourbe lui avait demandé de prendre... et puis il s'était perdu dans ses pensées. Il essayait de résoudre des équations du second degré en moins de huit secondes et le temps qu'il réussisse bah il était au milieu de la cour d'une académie remplie d'étudiantes japonaises étranges. Comme quoi son inutilité n'était pas volontaire, au contraire, il essayait même d'être intelligent et ça le distrayait de ses objectifs moins... intellectuels, disons.

Ce qui ne l'empêchait pas d'être perdu et donc sacrément dans la mouise. Il n'avait strictement aucune idée d'où il pouvait se trouver. Bon, ok, y'avait une cour. Mais il ne voyait pas la sortie, ni même l'endroit par où il était rentré. Il avait bien croisé ce qui ressemblait vaguement à des adultes, peut-être des membres du personnel qui sait, mais aucun n'était vraiment... regardant quant à l'appartenance des gens à l'école, apparemment. Peut-être que le visage juvénile de Hannes aidait beaucoup, d'un autre côté. Il ne faisait pas ses supposés vingt-cinq ans, et être un lycéen semblait tout à fait normal pour lui... En tout cas, en cherchant la sortie, il pourrait peut-être en profiter pour visiter un peu tout ça. De toute manière, le mieux lorsqu'il fallait se sortir d'une situation compliquée, c'était de se fier au hasard le plus complet.

Le jeune homme se dirigea donc vers le bâtiment, le contemplant d'un oeil perplexe. Il n'avait jamais été scolarisé normalement, ayant reçu ses cours à la maison depuis sa prime enfance. Aussi rester au milieu d'autres personnes dans une sale de classe... ne lui semblait pas logique. Oh, il comprenait le concept mais il se voyait mal dans un tel milieu. Qu'est-ce que ça devait être bruyant ! Il y avait trop de gens, d'humains stupides et j'en passe pour qu'on apprenne correctement la poésie et les équations (oui, le monde se limitait à ces deux notions chez Nessie). Non, ça devait être terriblement vulgaire et insupportable comme endroit. Appelez ça des habitudes de petit princes ou du bon goût, dans tous les cas il trouvait ça spécial.

Ce jour-là, il avait réussi à mettre des vêtements corrects, pour une fois ; une chemise blanche assez froissée mais sobre, une cravate mal nouée, un pantalon droit. Tout cela pouvait aussi contribuer à le faire passer pour un étudiant qui portait mal son uniforme réglementaire... les cheveux en bataille, un bandeau masquant son oeil, il avait l'air du parfait péquenaud premier de la classe, un peu perdu au niveau social. Tu me diras, c'est ce qu'il était ! Un accro aux équations qui ne comprenait rien à la gent humaine.

En parlant d'humains, il tomba sur ce qui ressemblait à une de ces infâmes créatures en vadrouillant dans la cour ; une jeune fille rousse (enfin brune ? Enfin rousse au soleil ? Il ne savait pas trop), plus petite que lui et apparemment plus jeune, qui devait être élève ici. C'était la seule personne en vue, aussi, pas le choix pour Hannes, ni pour elle d'ailleurs ; elle serait la bouée de secours de ce pauvre homme égaré.

"Bonjour ?" fit-il d'un ton hésitant.

Il s'approcha de quelques pas, un air complètement stoïque sur le visage, le regard anormalement fixe. L'expression de base de Nes, en somme.

"Je... suis comme qui dirait perdu. Donc j'aurais besoin de votre aide pour... me guider ? Au passage, où est le rayon boucherie ?"

Ah ok. Déjà, dès le début il était tombé sur quelqu'un qui lui criait dessus. Est-ce que les lycéens étaient tous aussi méchants et bourrus ? Il savait que les adolescents étaient pas tendres (enfin ça c'est ce que maman disait), mais bon, cette fille était carrément sèche ! Il avait un truc sur le visage ou quoi ? Autre que son bandeau. Et puis cette expression, on aurait dit qu'elle voulait lui arracher son seul oeil restant ! Bon, en soi, Nes avait l'habitude. En fait.... beaucoup de gens lui criaient dessus au bout de deux minutes mais en général c'était pas aussi spontané, son manque de patience était quand même exceptionnel. La demoiselle lui dit, avec toute la délicatesse du monde, d'aller voir ailleurs tout en sortant des abricots de son sac. C'est alors que Nessie réalisa qu'il avait super faim – son ventre gargouillait sacrément fort quelques minutes plus tôt, c'était même pour ça qu'il avait décidé de faire des équations, pour oublier sa faim. Alors il saisit, sans comprendre que c'était pas super correct, un des abricots dans la main de la jeune fille et en enfourna, à son tour, un dans sa bouche. Son visage extrêmement fermé s'illumina lorsque ses papilles effleurèrent la chair du fruit.

"Ouaaah... c'est super bon, ce truc ! Qu'est-ce que c'est ?"

Oui parce qu'à ses yeux, "abricot" correspondait plutôt à "truc comestible orangé, très bon somme toute, mais non-identifié". Suite à quoi, toujours la bouche pleine, il fixa la fille d'un air qui se voulait tout aussi sévère, mais qui au final n'apparut que vaguement froid et condescendant.

"D'une, je ne suis pas aveugle. Je suis borgne. Ensuite, non, je ne trouverai pas qui que ce soit d'autre – tu es la seule personne que j'ai trouvée ici. Et enfin, je préfèrerais encore être guidé par un chien que par un humain, si c'est ce que tu veux savoir."

Bravo, Johannes : on pouvait t'attribuer la palme de l'Etoile la moins discrète de cette planète. Heureusement que la plupart des gens qui le croisaient n'étaient pas superstitieux et le prenaient seulement pour un cinglé misanthrope (ils n'avaient pas entièrement tort). Autre détail important chez Nes ? Il prenait tout au pied de la lettre. Aussi il ne comprit pas la première partie de la phrase de la demoiselle. Comment ça, elle n'avait pas compris qu'il était perdu ? Il avait l'air bien adapté ici ? Alors ça, c'était une surprise. Il aurait cru avoir été le plus gros des paumés du campus ! Non, il ne comprit absolument pas son sarcasme. Ca promettait d'être amusant.... et confus, très confus pour le pauvre Hannes qui allait sérieusement morfler face à cette fille aux cheveux de feu et au caractère tout aussi... brûlant. Pour continuer sur des mauvais jeux de mots, il marchait sur des charbons ardents.

"Donc je me répète. Est-ce que tu veux bien me guider ?"

Demanda-t-il, reprenant son expression neutre habituelle, penchant légèrement la tête sur le côté en formulant sa demande. Et il allait lui redemander. Encore et encore. Jusqu'à ce qu'elle accepte. Pas qu'il veuille lui forcer la main ; il se disait juste que si sa capacité à accepter était une question de probabilité (probabilité qui augmentait à mesure qu'il insistait dans certains cas, 'fin c'était variable), autant recommencer plusieurs fois, non ? De toute façon, même si elle s'en allait, il la suivrait. Pas pour la gêner, non non, au contraire ! Mais de cette façon, il retrouverait son chemin sans avoir à lui parler ou à l'embarrasser, juste en suivant ses pas. Malin, non ?

Rooh, mais c'est qu'elle insistait en plus. Elle était vraiment trop méchante cette fille... Il ne la prenait pas pour une servante en plus. Tout au plus il la traitait comme l'humaine désagréable qu'elle était probablement. C'était quand même pas la mer à boire... Il voulait juste qu'on le guide un peu. La sortie ? Ben pourquoi pas, la sortie, il voulait bien s'y rendre, lui ! Mais Nessie réfléchit un instant avant d'accepter. Mmh. Si il acceptait d'être raccompagné à la sortie, il allait encore se perdre avant de trouver l'épicerie. En plus, la demoiselle lui avait dit qu'il n'allait pas s'en sortir en un seul morceau, ce qui lui fit hausser un sourcil. Que voulait-elle dire par là ? Y avait-il de dangereux sociopathes l'attendant à la sortie pour le découper en rondelles, des trafiquants d'organes ou encore des alligators ? Mmh, trop dangereux. Mieux valait rester ici, en sécurité. C'est alors qu'il remarqua que la demoiselle avait levé la tête vers le ciel. Naturellement, il l'imita, esquissant un très maigre sourire tout en croquant de nouveau dans son abricot.

"L'azur du ciel est radieux, ce matin. Et la douceur de ces fruits exotiques... c'est l'été avant l'heure, et je m'en réjouis d'avance. Mais c'est le soir qu'il faut contempler le ciel. Vous ne trouvez pas la voûte céleste magnifique lorsqu'elle est constellée de diamants ?"

Mais quel abruti. Mais quel abruti. Pour ne rien arranger à sa tirade ridicule, il saisit la demoiselle par la main en la traînant vers l'établissement. Puisqu'elle ne voulait ni bouger ni l'accompagner, bah il la prendrait avec elle en tant que GPS de poche. Comme ça, si ils s'approchaient des méchants alligators ou de Jack l'Eventreur, elle lui dirait de faire demi-tour ne serait-ce que par instinct de survie. Eheh, il était tellement intelligent.

C'est alors que son regard fut happé par un endroit dans la cour, une sorte de petit local aux murs transparents qui semblait contenir une foule de plantes. Et les plantes, bah c'est vachement romantique. Et les trucs romantiques, Hannes KIFFAIT ça. Si ça se trouve y'aurait de jolies fleurs roses et des papillons, or les papillons c'était super cute et poétique. Partant donc dans un délire lyrique, il changea de chemin et traina la rousse vers le local, lui demandant :

"Oooh, qu'est-ce que c'est ? Il y a plein de fleurs dedans, ça a l'air cool ! J'adore les fleurs. C'est romantique~"

Et voilà, dès qu'on lui parlait de machins poétiques il redevenait un enfant complètement immature et idiot. C'était tellement ridicule, mais plongé dans ses pensées, Hannes n'y songeait plus. Le jeune homme aux cheveux blancs ouvrit brusquement la porte du local de jardinage, trainant toujours la demoiselle par la main, plus fermement qu'on ne l'aurait cru. Et l'endroit était juste... magique. Tout ici était décoré de plantes d'un vert émeraude ravissant, une douce odeur de fleurs, d'eau et d'humus flottait dans l'air. Johannes ferma les yeux, s'imaginant dans une forêt luxuriante après un jour de pluie. Toujours les yeux clos, il avança de quelques pas, lâchant brièvement la main de celle qui l'accompagnait, et..

... marcha sur les pics d'un râteau, qui se redressa brusquement. Le manche heurta l'Etoile en pleine face, laissant une trace rouge sur son nez ensanglanté et son front.

"Aaaaïe... Ca fait mal..." geignit-il.

Et elle riait. Elle riait tellement fort de sa maladresse. Et lorsque Hannes se retourna pour la voir, il remarqua que les larmes lui en grimpaient aux yeux. Ce qui... sérieusement, l'irrita. D'habitude il affichait un air naïf et bêta, il n'avait pas l'air très fin et semblait, pour le dire clairement, aussi inoffensif et facile à écraser qu'un insecte. C'était peut-être vrai. Mais un insecte était aussi capable de tuer un humain malgré sa faiblesse naturelle. Et les émotions de Johannes étant une véritable roulette russe, il fut pris cette fois-ci d'une rage incontrôlable. Alors, brusquement, il saisit les poignets de la jeune fille avec une force incroyable, les tordant légèrement pour lui faire mal. Son regard gris était devenu un ciel orageux, son visage si pâle s'assombrissait et devenait mauvais, il redevenait instable et voulait la frapper, il voulait déverser sa haine secrète des humains sur elle, il voulait la blesser.

"Bien fait pour moi ? Oh, mais tu vas voir, sale garce, si je le mérite..."

Puis quelque chose en lui se réveilla, une partie de lui voulait qu'il arrête, qu'il reste stable, que ces émotions qui se déchaînaient en lui à la moindre occasion cessent de le ronger, de le détruire, de le briser en mille morceaux et de casser tous les liens avec ses proches par la même occasion. Elle n'avait rien fait de mal, cette fille, à part être relativement chiante. Elle ne méritait pas qu'il lui torde les poignets aussi fort, au point de la blesser peut-être, non, elle... elle ne méritait pas ça et lui non plus ne méritait pas ça, il ne méritait pas d'être aussi violent, il ne méritait pas d'avoir un fond si chaotique et mauvais. Soudain, il relâcha alors les bras de la rousse, murmurant d'une voix rauque :

"Désolé, je ne sais pas ce qui m'a pris... juste... cesse d'être aussi désagréable, c'est vraiment très énervant."

Il secoua la tête pour se remettre les idées en place, essuyant le sang qui perlait sur ses joues, léchant le liquide rouge ayant atteint ses lèvres. Toussotant nerveusement, il laissa ses traits se détendre légèrement, bien que gardant une mine relativement boudeuse. Il avait néanmoins l'air plus correct et sympathique, simplement agacé, tout au plus, et guère plus convaincant qu'un ours en peluche armé d'un couteau à beurre.

"Je n'ai pas envie de visiter cet endroit, au final. Et si on allait dans le grand bâtiment ?"