Je suis loin d'être ce que vous croyez. [Pv Lucian]

Aujourd'hui plus que jamais ma canne frappe le sol avec insistance, créant répétitivement un écho au son étouffé, mousseux, amorti par la neige restante sur le sol. Je déteste sortir avec elle et avoir juste l'air d'un aveugle qui a perdu son chemin, d'un handicapé prêt à gravir les escaliers qui mènent au temple par pure ignorance d'où ils mènent.
Mais je sais où je vais. J'aime cet endroit avec force et, alors que de fines touches glacées se baladent sur ma peau sans que je sache s'il s'agit de pluie ou de neige, toute mon attention se concentre sur le sol pour ne pas tomber. Il n'y a personne autour, mais les délicats clapotis de la neige en train de fondre qui tombe des arbres sur le sol en pierre qui a été dégagé suffisent à ravir mes oreilles.

J'aime ces journées où le temps humide et frais vous fouette le visage avec bienveillance, vous réveillant et vous donnant envie de le suivre partout où il va. Et après une dure journée de travail au tout dernier étage de la plus haute tour de Hoshikami, où selon mes collègues on peut voir la neige tomber sans fin à cette période de l'année, pouvoir sortir et se balader est un vrai régal.

Encore et encore, l'écho de ma canne rythme mes pas jusqu'à ce que... Plus rien. Je suis arrivé en haut du chemin, face à cet immense temple probablement vêtu de neige pour me saluer. Ma canne se dirige délicatement vers la droite, vers la gauche... Rencontrant de légers talus de glace là où le chemin en pierre devrait s'arrêter pour faire placer à l'herbe. Et ma surprise s'agrandit tout comme mes yeux en vérifiant cette découverte : Est-ce que quelqu'un aurait déblayé la neige ? Alors ce temple ne serait pas laissé à l'abandon comme je l'imaginais ?
Je sens mon coeur battre et un sourire m'habiter. Si une personne pouvait prendre soin de ce lieu ce serait une excellente nouvelle. Moi qui aime tant venir ici me recueillir, depuis quelques temps maintenant la peur m'étreint de le voir disparaître, trop inhabité pour que la ville souhaite le conserver. Toujours mal à l'aise en venant à l'idée de ne plus retrouver mon temple en haut du chemin, mais des travaux bruyants et malodorants qui remplaceraient ce lieu sacré par un quelconque magasin.

Alors mes pieds avancent, curieux de connaître l'identité de cette personne qui s'occupe de mon temple. Ma canne en avant frôle toujours les talus de neige, discrètement, provoquant un son mat et presqu'inaudible.
Et sur le chemin, ce n'est pas la personne que j'attendais que je rencontre.

Un bruit au niveau du sol enneigé m'interpelle, comme quelque chose jouant avec la neige et la déplaçant. Mais c'est bas, s'agit-il d'une personne accroupie ? Non, pourquoi quelqu'un ici serait-il accroupi dans la neige ?
Mes doigts s'avancent lentement, précautionneusement jusqu'à rencontrer deux oreilles douces et duveteuses, que je câline et gratte avec amusement. Il s'agissait d'un chien alors, j'aurai du m'en douter. Un chien de belle taille, jouant dans la neige devant le temple. Qu'est-ce que ses poils sont doux...
Ma main s'aventure un peu plus avant sur sa tête, toujours en continuant à le flatter et à caresser ses poils dans leur sens. Qu'est-ce qu'ils sont longs ! Qui aurait pu laisser un tel chien venir s'amuser ici sans le surveiller ?

- Puis je vous aider.. ?

Je sens mon corps sursauter, et mes mains se retirer précipitamment. Attendez, quoi ? Le chien parle ? Non, bien sur que non, c'est un humain. Un humain qui s'est redressé et fait largement ma taille mais....

- Mais vous... Ces oreilles...?

J'essaie de me reprendre, de retrouver mon calme et ma stature droite comme j'aime le faire. Allez Lucian. Réfléchis, un humain avec des oreilles ce n'est pas possible. Alors... Serait-ce une étoile ?

Peut-être mes pieds seraient-ils partis en arrière, s’il n’avait retenu ma main ? La sienne est douce, fraiche comme la neige qui nous entoure. Mais ses oreilles restent dans ma mémoire. Il ressemble à ces kamis, ces esprits de contes japonais parfois farceurs et parfois bienveillants, mais toujours fantastiques et inattendus. J’ai tellement entendu ces histoires dans mon enfance, que ma rencontre me semble presque merveilleuse. Est-ce un kitsune, un de ces esprits renards ? Puis ma raison vient me chuchoter un petit air de lucidité. Une étoile. C’est forcément une étoile… Non ? Est-ce que les kamis existent ?

Il s’excuse, relâche mes doigts lorsqu’il me sent solidement appuyé sur le sol. Chacun de ses gestes semblent délicats, légers, presqu’aériens.

- Vous vous rendiez au temple ? Je peux vous y accompagner si vous le souhaitez, le chemin est encore un peu glissant malgré mon intervention. Je balaierai à nouveau lorsque vous serez arrivez en haut.

Il ne semble pas vouloir parler de ses oreilles ou de sa nature, et je respecte ce choix. En contrepartie, il ne me fait pas remarquer ma cécité, et ne semble pas s’en étonner. Il se penche, je le sens se rapprocher de la neige et j’entends un bruit mat, léger, comme s’il venait de soulever quelque chose par terre, d’un peu vacillant qui se serait cogné au sol. Son matériel pour balayer, peut-être ?
Mais alors travaille-t-il ici ? J’ignorais que cet endroit était habité, ou entretenu.
Et sans attendre ma réponse, je le sens prendre mon bras pour me guider vers le temple, délicatement. Il sent bon, et ses pas aussi semblent terriblement légers dans la neige qui reste sous nos pas.  Même sa voix et son souffle sont doux, tendres, comme ceux d’une divinité, d’une personne irréelle. Et mes pas habitués à ce chemin en pierre l’accompagnent, connaissant par cœur chacun des pavés qui mène au temple, et chaque marche que nous rencontrons sur le sentier. Une marche lente, douce et harmonieuse au milieu de la neige qui nous entoure.

-Oui, je viens régulièrement. J’ignorais que cet endroit était habité.

Il se présente, mon kami, le gardien de mon temple où je viens si souvent. J’aime cette idée d’un gardien. Une personne veillant sur ce lieu oublié par beaucoup trop de monde, si souvent désert lorsque je viens m’y recueillir. Ce temple en danger par la ville qui continue de se développer encore et encore, à tel point que j’ai déjà communiqué sur notre intention de le faire acquérir par la Drake Industry. Pour le sauvegarder.

- Je m’appelle Lucian Drake. Enchanté.

Les couloirs du temple font résonner ma voix qui s’éloigne avec distinction sur les murs de bois et de pierre. L’odeur fraiche de la neige se distancie, tandis que nous arrivons dans une cour dégagée, ouverte mais protégée par des sentiers couverts. 
Pas besoin de lui dire de quelle entreprise je suis, il en a peut-être même déjà entendu parler de moi. Mais et lui ? Daisuke Hishitora, son nom sonne définitivement comme celui d’un Kami ancien qui se serait perdu à cette époque moderne. Et l’aura de cet endroit sacré augmente encore plus cette impression à la fois étrange et fascinante. Comment serait-il si je pouvais le voir ? Comment ceux ayant une vue le perçoivent-ils ? Il est rare que je me pose ces questions, mais devant sa nature si féérique, elles ne peuvent que hanter mon esprit. 
Et si les kamis des légendes étaient en fait des étoiles tombées du ciel un peu trop tôt ? 

- Depuis combien de temps êtes-vous ici ? Nous ne nous sommes jamais croisés auparavant.

J’aime à imaginer que ce kami du temple vive ici depuis des lustres et n’a pris forme humaine que récemment. Mais au fond je sais qu’il s’agit simplement d’une étoile, uniquement d’une étoile.