Un lys pour toi

Marvel desserra sa cravate, qui l’étouffait. Depuis qu’il avait commencé son travail de bureau, pas le choix ; c’était le costard tous les jours de travail, on n’y manquait pas. La première journée, il s’était présenté dans ses vêtements de tous les jours et on l’avait renvoyé à la maison, la honte ; c’est que lorsque l’on travaille à la division anti-gang, on ne peut pas toujours être tiré sur quatre épingles histoire de ne pas attirer l’attention. Afin, c’était de l’histoire ancienne, et il s’y était presque fait, mais voilà quoi, à la fin de la journée il n’avait qu’une envie, de se mettre en jogging et de regarder la télé. Déjà que c’était professionnellement rabaissant de se retrouver à remplir des rapports à journée longue… il rêvait du jour où il pourrait reprendre du service. Tout comme il en avait peur.

Il finit par enlever sa cravate et la ranger dans son sac. Il déboutonna même le premier bouton de sa chemise blanche, mais avec ses chaussures et son pantalon noirs, il était difficile de ne pas savoir qu’il faisait partit de la longue masse de gens travaillant pour le gouvernement. Il soupira, se dirigeant tranquillement vers la sortie du commissariat. Comme à son habitude, il jeta un coup d’œil vers la fenêtre de gauche, et y aperçut, comme bien souvent, un petit origami. Cette fois-ci, c’était un oiseau, mais il en avait vu plusieurs sortes, des plus élaborés que d’autres. Il s’en était rendu compte il y avait de cela quelques semaines, peut-être une nouvelle sensibilité qu’il avait développée depuis les événements tragiques qui l’avaient fait commencer ce boulot horrible.

Il continua son petit bout de chemin sans faire plus de cas ; il avait remarqué qu’il y en avait quelques-uns de plus au travers de la ville. Était-ce une nouvelle forme d’expression pour les jeunes ? Quelque chose qui remplaçait le tag ? Évidemment, il ne pouvait s’empêcher d’espérer qu’il ne s’agissait pas là de démarcation de territoire pour un gang… évidemment, c’était là une déformation professionnelle. Il fut toutefois étonné, sur son chemin, d’en rencontrer un autre, puis un de plus. Puis un quatrième, et même un cinquième, et ce sur la même rue. Est-ce que ce petit créateur d’origami était sur une croisade afin d’embellir la ville, un bout de papier à la fois ? Il sourit. Cette pensée avait quelque chose de réconfortante, d’avenante. C’était beaucoup mieux que de croire que quelqu’un ne savait pas comment poser un tag correctement, ou alors qu’il voulait polluer. S’aurait été se donner beaucoup de mal pour causer de la pollution, mais en tout cas ça n’aurait pas été impossible. Tous les scénarios qui se faisaient dans sa tête, c’était quand même fou.

Puis, il l’aperçut pour la première fois. Une petite chose toute fine, penchée sur un banc, en train de plier de ses petits doigts le mince papier carré en de petits animaux. De là où il était, il ne pouvait voir ce qu’elle faisait, mais il était intrigué. Il passa son chemin, tout intrigué. Puis, il s’arrêta, manquant se faire rentrer dedans par un passant. Il se dit que des jours comme ça, ça n’arrivait pas souvent. Alors il revint sur ses pas. Il s’installa sur le banc d’en fasse et retira un papier de son sac, un papier blanc. Il le plia. Le déchira en quelque chose d’à peu près carré, puis pensa un instant. C’était bête, un peu. Probablement qu’elle le trouverait étrange, et elle avait bien raison. Mais on n’a qu’une vie à vivre, alors il haussa des épaules, son sourire toujours perché sur ses lèvres, il se pencha à son tour pour essayer de se souvenir à quoi ça ressemblait, une fleur d’origami, selon ses cours d’arts plastiques quand il était enfant. Pas évident.

Il plia par-dessus, par en dessous, jusqu’à avoir un résultat satisfaisant. Presque content, perfectionniste qu’il était (elle penchait un peu d’un côté) il se dirigea vers la jeune femme, se raclant la gorge et se penchant devant elle pour se mettre à son niveau. Il n’était pas très grand (son côté japonais qui ressortait), mais elle était particulièrement petite. Il lui tendit le lys, un sourire timide sur ses lèvres.

-Vous êtes celle qui laissez des petits papiers partout en ville, pas vrai ? Commença-t-il. Tenez, c’est pour vous.

Son sourire à elle était bien plus contagieux que le siens, aussi lui sourit-il franchement, cette fois, sans gêne aucune. Elle avait comme une aura qui vous mettait à l’aise sans s’en rendre compte, comme si elle dégageait un je ne sais quoi de calme et de serein. Il l’écouta posément parler et se demanda quel âge elle avait; elle avait cette façon de parler qui semblait plutôt propre aux enfants, sans gêne aucune, et elle avait mentionné une nounou. Elle ne devait pas être bien vieille en tout cas, et pendant quelques secondes il s’inquiéta de la voir toute seul, puis se dit que les apparences étaient souvent trompeuses; combien d’adolescentes s’appropriaient des expressions plus jeunes pour avoir l’air mignonnes? Il se deux de deux choses l’une pour commencer; que s’il avait des enfants un jour, il espérait qu’ils grandissent pour devenir comme elle, gentille comme tout; de deux, ¸¸ca lui passa par l’esprit de se demander si elle avait pas une grande sœur ou un grand frère de son âge, vous savez quoi, peut-être que c’est génétique cette gentillesse et il avait bien besoin de quelqu’un comme ça dans sa vie. Quoi? C’est pas torve, il lui fait pas de l’œil à elle non plus, elle est bien trop jeune, même que ça ne lui est pas du tout passé par l’esprit. Reprenons.

-Un lys rouge? Fit-il, penseur, en s’accroupissant devant elle. Il posa son menton contre sa main, sentant ses orteils se refroidir dans ses chaussures pas du tout faites pour la température. On voit plutôt ça en amérique, non? Ta nounou, elle vient des États-Unis ou du Canada? Moi ma mère elle vient du Canada, elle me parlait souvent des choses qui sont différentes là-bas, mais je dois avouer que je n’ai pas bien porté attention sur les fleurs. Disons que je ne ferai jamais botaniste. Où est-ce que tu as appris à faire de si jolies formes en origami?

Il l’écouta à nouveau, ne voulant surtout pas la brusquer. Elle avait l’air un peu triste quand elle lui parlait de sa nounou, et il se demanda si ce n’était pas pour ça qu’elle était toute seule dans le froid. Peut-être que sa maison, vide de sa présence, lui rappelait de trop durs souvenirs? Ou alors, est-ce qu’elle s’était disputée avec elle, et avait trouvé refuge dans le centre-ville? Ce n’était pas de ses affaires, mais en tant que représentant des forces de l’ordre (ahah) il se devait quand même de s’assurer que tout allait bien, pas vrai? Il regarda le petit dragon qu’elle lui avait fait, ouvrant de grand yeux pétillants et surpris. C’est qu’il y avait beaucoup de détails et ça le surprenait à chaque fosi de voir à quel point l’on pouvait faire des choses magnifiques avec si peu de choses.

-Merci beaucoup! Tu sais ce que je vais faire? Moi, je ne suis pas très doué pour plier du papier, comme tu peux le voir, mais je suis meilleur pour peindre. Je vais lui dessiner des yeux et les faire de petites écailles avec de la peinture, qu’est-ce que tu en dis, Chiara? Et moi, c’est Marvel. C’est un peu dur à prononcer, alors tu peux le déformer un peu si tu veux, fit-il en se rendant compte qu’il avait commencé à la tutoyer. Je travaille au poste de police pas très loin, tu y a laissé une petite fleur en origami. Il y a une raison qui te pousse à en mettre partout en ville, dit? Je trouve ça plutôt chouette comme idée, c’est jolie et ça met de la joie.

Il se releva, s’étirant d’un coup et lui pointa la place à côté d’elle sur le banc.

-Ça t’embête si je m’assois à tes cotés? Je voudrais regarder comment tu fais pour plier.