Croquis

C’était la fin de semaine. Samedi matin pour être plus précis, il faisait un froid de canard selon les habitudes hoshikamiennes, mais sinon ça allait; c’était le japon après tout. Sa mère lui aurait dit que c’était rien, que chez elle il devait faire un bon -30 degrés et elle n’avait pas tord. Ici, il ne neigeait même pas –ou peut-être que c’était qu’il faisait trop froid pour neiger, qui sait. En tout cas, ça ne l’avait pas empêché de mettre ses souliers de course ce matin-là, d’enfiler son manteau acheté tout spécialement pour aller faire la course dans le temps froid –il respirait bien et n’accumulait pas la sueur, c’était génial- et de prendre son sac à dos pour aller braver le matin naissant. C’était son petit rituel à lui, quand il arrivait à se sortir du lit. C’était pas si mal parce qu’il avait passé la veille à larver à la maison, alors là le besoin de sortir se faisait cruellement ressentir.

Il soupira, poussant la porte d’entrée de son appartement pour ressentir une bouffée d’air glacial lui cingler le visage. Pas commode tout ça. Il referma bien vite la porte derrière lui, la verrouilla et partit à petit pas vers l’infini, passant par les rues les plus éclairées, parce que de tomber sur une ruelle sombre ça le faisait pas vraiment. Son quartier était sécuritaire, c’était pas ça le problème, c’est juste qu’il avait du mal. Après tout, on est jamais assez prudent, et puis ça faisait maintenant partit de sa routine. Hier, il avait décidé qu’il allait allé vers la plage pour y dessiner les vagues, que ça allait lui fait du bien ce grand air. C’est pour ça qu’il avait apporté son sac et ses multiples instruments.

Une fois sur place, il s’installa accoudé contre un rocher et déposa devant lui ses crayons et son papier. Il n’avait pas apporté de peinture pour cette fois, préférant commencer des croquis sur place pour peindre plus tard. Ça lui permettait de se pratiquer, de refaire les mêmes mouvements. De sa main tremblante, il dessina quelques traits, jusqu’à ce qu’enfin il fût si prit par ce qu’il faisait qu’il en oublia ses propres soucis, sa vie, ses malheurs –et à ce moment là, sa main se fit plus sûre et les traits plus nets. Il y avait quelque chose de serein dans l’air froid et le bruit des vagues qui venaient se jeter contre la plage, l’eau n’étant pas encore complètement gelée. Il souffla sur ses mains pour les réchauffer, puis donna un autre coup de crayon. Il leva la tête de son croquis pour ajuster le tir; une ombre blanche.

Depuis quand c’est blanc, une ombre, vous me direz? Probablement un animal. Il releva la tête, espérant y voir un oiseau dans son envol ou un truc du genre. Mais non, c’était bien trop grand, plus grand que lui même. Et ça avait une forme humaine. Son premier réflexe fut de baisser les yeux sur son croquis et de l’ignorer. Il n’était pas à l’aise avec les étrangers. Mais il ne pût s’empêcher de relever les yeux. Des cheveux blancs; était-il une personne âgée? Que faisait-il ou elle dehors à cette heure si hâtive du matin? Il déposa ses crayons, s’assurant qu’il n’y avait personne d’autre dans les environs par réflexe, et se dirigea vers la personne devant lui. Difficile de dire s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme à cette distance, et ça le troublait.

-Bonjour, fit-il doucement sur un ton qui se voulait avenant, pardon, vous allez bien?

C’est lorsque la personne se retourna qu’il comprit son erreur. Ce n’était pas une vieille personne. Il avait l’air si jeune! Automatiquement, il se posa mille questions. Qui était-il? Se teignait-il les cheveux, ou était-ce naturel? Et ces yeux… cet œil, surtout, celui qui ne voyait plus, il essayait bien de ne pas fixer mais il y trouvait là une beauté tragique. Il ouvrit la bouche puis la referma, hésitant sur la marche à suivre.

-Désolé, je pensais que… enfin, ce n’est pas important, je croyais que j’étais seul sur la plage et votre présence me surprend, je ne crois pas vous connaître… Venez-vous D’Hoshikami? Enfin, je suis désolé, je ne veux pas vous questionnez non plus, c’est juste que.

Il s’enfargeait dans ses mots, et il sentait ses mains trembler. Ça le gênait. Il était stressé, et il n’avait aucune bonne raison de l’être. Alors il prit une grande inspiration.

-En fait, je dessinais le paysage, fit-il sans se vanter, et j’ai remarqué que vous étiez dedans. Est-ce que je pourrais vous dessiner?

Bon, pour le talent avec les interactions sociales, on lui donnerait pas beaucoup de points, mais il avait ramassé tout son courage et avait réussit à demander, c’était déjà ça pas vrai? Comme ça il ne serait pas tout seul, peut-être qu’ils pourraient parler un peu, qui sait. Il se gratta le côté de la tête, comme soudainement gêné de son zèle, mais resta bien piqué devant le jeune homme qui, disons-le, devait le prendre pour un abrutit. Enfin, s’il était normal.

détails

Croquis

Ce coup de foudre est… électrisant ;D

ft. Marvel

Ʃkaemp はは ™

Le jeune homme aimait bien la plage. Oh, là où il vivait autrefois, l'eau était plutôt liée aux fjords, des paysages empreints d'une beauté incroyable. La seule chose qu'il aimait à l'époque, en Norvège. La plupart du temps, il préférait rester enfermé à la maison, entre quatre murs d'une blancheur terne et au parquet si bien ciré qu'il aurait presque pu voir son visage mélancolique – autrefois portant deux yeux – se refléter dedans. Il n'avait pas tellement changé depuis.

Il était borgne.

Mais à part ça, il n'avait pas énormément changé, non. Il demeurait un enfant dans ses traits, et même si sa voix douce au possible était devenue terriblement rauque et assez grave, même si il était un peu plus grand, même si il ressemblait à un homme et portait désormais les minuscules cicatrices de rasages ratés qui avaient terminé en coupures... il n'était encore qu'un enfant dans ce petit monde. Après tout, qu'est-ce qu'étaient ses moins de vingt ans sur Terre – vingt-cinq en apparence – comparés à ses millénaires en tant qu'astre ? Peut-être... peut-être qu'un humain pourrait l'aider. Peut-être qu'en se familiarisant avec les individus si spéciaux de cette étrange petite planète, il... irait mieux, s'adapterait à ce monde. Refreinerait son instabilité qui le rongeait, ses émotions déchaînées comme des typhons. Peut-être qu'il tracerait, comme l'artiste traçait un dessin au fusain, un fil – celui de sa destinée dans ce monde décousu. Mais... son ignorance et sa crainte terrible des humains, de ces créatures inférieures selon toutes les lois de la logique, l'enfermait dans cet état qui lui semblait inextricable.

On a tous nos névroses.

Il ne savait pas quel étrange pressentiment l'avait mené jusqu'à la plage. Peut-être qu'il aimait juste cet endroit, qui lui rappelait, en effet, les fjords. Même si le japon était terriblement différent de sa terre "natale" ; le climat y était – fort heureusement ! – plus clément et il y faisait bon vivre. Sans compter que la culture y était très différente... comment les humains pouvaient-ils ne pas se ressembler selon l'endroit de la planète, alors que celle-ci était si petite et insignifiante dans l'infinité de l'espace ? C'était un grand mystère pour Johannes. Mais ce n'était pas seulement une vague nostalgie qui l'avait emmené ici. Il le savait. Il le sentait, il l'avait ressenti en voyant les silhouettes des personnes vaquant à leurs occupations sur la langue de sable d'argent. A cette époque de l'année, il faisait trop froid pour se baigner, et le vent ébouriffait ses cheveux blancs ; mais ça n'empêcher personne d'apprécier le calme serein du lieu.

Lui aussi aimait bien. Mais ce n'était pas ce qui l'intéressait.

Car Nes n'était pas venu pour profiter du paysage, ni écrire des envolées lyriques. Encore moins pour relire avec attention les pages jaunâtres de son unique exemplaire de Abyss of the Human Mind. Non, c'était vraiment une impression étrange – comme un rêve prémonitoire – qui l'avait emmené là. Comme si quelqu'un l'avait guidé en usant du même pouvoir hypnotique qu'il possédait, comme si il suivait le chant des sirènes. Il devait être là, à cet endroit à cet instant... parce quelque chose allait se passer. Il ne savait quoi, peut-être était-ce une tragédie, mais il sentait que sa présence serait le catalyseur d'une intrigue nouvelle.

Tout à coup, une voix. Salut, excuse, demande polie. D'après ses observations, c'était un peu étrange d'agir de manière aussi polie, surtout avec quelqu'un comme Johannes, aussi celui-ci fut-il assez surpris par la démarche. Il ne comprenait pas. Qu'est-ce qu'on lui voulait ?

"Euuuh... ça va, et vous ? Vous êtes qui ?"

Il se retourna alors faisant face à son interlocuteur. Oh... il aurait cru à un humain louche, mais pas du tout. En vérité, il était assez beau – le genre de personnages que l'on peignait ou sculptait dans les oeuvres antiques. Il n'était pourtant pas bien grand, pas beaucoup plus que Johannes en tout cas ; il avait les mêmes yeux gris, également, à la différence qu'il en avait deux – il n'avait pas besoin de porter un bandeau, lui. Cela dit, ses mèches noires désordonnées les cachaient presque. Pourquoi masquer des yeux lorsqu'ils étaient fonctionnels ? Hannes devait cesser de se poser des questions existentielles au sujet des humains ; après tout, il ne les comprendrait jamais. Pourtant, celui-là l'attirait, bizarrement. Oh, pas dans le sens où il venait de subir un coup de foudre ou quoi que ce soit, même si au vu de sa réaction, il se posa la question ; non, non. Il sentait qu'il était étroitement lié à cette personne d'une manière ou d'une autre. Se pourrait-il... Hannes n'écouta presque pas ce que son interlocuteur disait, ne saisissant réellement le sens de ses paroles qu'après coup. C'est bizarre, cette rencontre le... troublait.

"Non non, vous me dérangez pas, désolé si je vous ai mis mal à l'aise."

Etre confus n'empêchait pas de faire preuve d'une once de politesse, notion que Johannes apprenait très péniblement et au prix d'un effort surhumain, mais qu'il apprenait quand même.

"Je ne viens pas d'Hoshikami, ça doit se voir à ma tête, fit-il en esquissant l'ombre d'un sourire. Je suis du ci— d'Oslo en fait. C'est... loin.", ajouta-t-il après un court instant d'hésitation.

Il avait l'air idiot à dire ça comme ça, mais il n'avait aucune idée de la distance Hoshikami-Oslo, si ce n'est que ça faisait beaucoup trop d'heures d'avion à son goût. Ah, mais... son interlocuteur tremblait légèrement. Tout comme lui, en fait. Se serait-il trompé sur son compte ? Sa cicatrice à la joue donnait désormais plus l'impression d'un poltron victime de Miss Fortune que d'un vaillant héros de tragédie grecque ; mais Nes n'en demeurait pas moins intrigué par l'individu qu'il avait en face de lui. Sans compter que sa demande le flattait ; le dessiner, lui ? Comment faire gonfler son ego déjà assez bien dimensionné... et comment dire... de la part de cet humain-là, ça ne sonnait pas insultant.

"A-avec plaisir. Si vous voulez bien... Mais, comment... qu'est-ce que je dois faire ? Poser ? Comment ?"

Il était complètement perdu et paniqué par cette impression étrange qu'il avait eue en voyant le brun. Si c'était ça le coup de foudre, l'amour était bel et bien une malédiction ! Oui, parce qu'il croyait de plus en plus à cela – un coup de foudre idiot. Il serait temps à son âge, et puis... ça allait avec sa vision romantique du monde, non ? Sa vie était un roman (dont il espérait que la fin ne fût pas tragique), et le coup de foudre si cliché revenait... c'était beau. Tellement beau qu'il était au bord de la crise d'angoisse à cause de sa confusion et de son embarras vis à vis de sa demande étrange. Foutue instabilité.

"Je... ça me fait très plaisir, comment dire ? Euuuuh... je m'appelle Johannes. Svensen. Ca ne sert probablement à rien pour le portrait mais... je tenais à vous le dire. Pour une quelconque raison. Nes ira très bien. C'est un nom assez long. Ah, mais au Japon on parle rarement de son interlocuteur en employant son prénom, non... ? Enfin qu'importe ça ne me gène pas !"

Récita-t-il à toute vitesse, de manière presque incompréhensible. Raaah, porquoi fallait-il qu'il soit amoureux ?! Il était hyper stressé ! Il en perdait ses envolées lyriques ! Voire son vocabulaire ! Et sa voix rauque et étrange n'était plus que couinements et coassements gênés ! Raah, si il pouvait seulement cesser de trembler dès qu'il tournait le regard vers cette personne... C'était gênant, très gênant. Il allait péter un câble... mais il devait calmer ses nerfs. Tout allait bien. Il était juste tombé pour les charmes vils de ce terrible humain ! Avait-il un faible pour les yeux gris ou les bouclettes ou est-ce que les cicatrices lui donnaient un côté attirant ? A moins que ce ne soit le côté timide ? Ou la voix ? Peut-être que c'était le fil rouge. Peut-être que c'était inscrit dans les astres ! En tout cas... il devait être brave... respirer un bon coup et accepter l'amant que le destin lui envoyait.

"Bref ! Enchanté ! Je ferai... comme vous dites."

Hors-sujet.