infinitesimal

Son visage arbore des traits d’une douceur inégalable. Ils sont toujours reposés, presque gâchés par une expression constante et naissante de sa nonchalance. Ses yeux reflètent ses rêves scintillants d’étoiles d’une couleur ambrée et le noir ébène de ses cheveux est dénaturé par une coloration blonde et moisie. On sait Enju frêle, menu et pas très grand (peut-être un bon mètre soixante-neuf) et on connait Enju qui ne porte pas des vêtements à sa taille, cachant sa carcasse sous des pulls lui bouffant les mains et tombant sur ses épaules comme la morose lui tombant sur la tête. On dit qu'Enju ressemble à une fille, ça lui déplaît pas.

On te prend et on t’arrache on te dépèce et on te jette mais y’a rien, coquille vide. Où t'es sale gosse, tu te caches dans un gouffre de bordel sans fin dans tes pensées mêlées et pourries et pessimistes maudites et égoïstes. Tu reflète seul sur tout un univers et tu brilles à l’intérieur tu souris mais oui, tu sais sourire mais c’est trop précieux trop beau pour les autres. T’es à l’intérieur de toi-même comme un chaton recroquevillé dans son carton trop petit, mais t'as grandit éventuellement et la carton s'est déchiré sur ta peau comme ta raison. T'es seul face au monde.

T’es là sur tes deux jambes, tu veux t’enfuir et tu croise le regard des gens et t’aurais voulu fondre sur place entre les briques d’un monde où rien n’est plus où égoïsme est maître du jeu. Le monde va trop vite pour toi. T'es bloqué.

Mais ils essayent et ils forcent. C’est pas la bonne clé mais bordel peut-être qu’on va réussir à ouvrir PAS LA BONNE PORTE avec. Ça te fait mal et tu pleures et tu cries et tu réfléchies encore, tu veux mourir tu veux te faire aspirer par un trou noir. Oui parce qu’au-dessus du plafond "ciel" y’a des tas de choses merveilleuses et des choses qui t’ont fait pleurer la nuit. Y’a des trous noirs tellement puissants que rien n’y reste, même pas la lumière même pas le temps et les molécules y fondent.

T’hésite.
Est-ce que tu veux foutre
toute la race humaine
dans ce trou noir.
ou alors toi-même.

T’es mauvais avec les mots et avec les gens mais étrangement t’es bon avec tes mains (tu rebâtirais le monde si tu pouvais mais t’es trop las, t’as pas trop envie de sortir de ton lit aujourd’hui, ni demain) et avec ta tête et même le plus grand des hommes tomberait face à toi. T’es bon avec ta tête mais merde tu fais rien avec, tu pourrais être un génie tu pourrais détruire les gens et les admirer te fuir et te maudire. C'est bête mais tu peux aussi être un bon garçon mignon comme un chaton menu comme un chiffon (qui de toi ou du chiffon est le plus froissé, y’a pas de réponse) et on te ferait des câlins t’apprécierait et t’en demanderait plus mais t’ose pas tu veux pas qu’on te touche.

T’es trop bon pour ce monde tu dis.

Mais tu crèverais pour un contact physique pour une amitié et un amour. T’as peur alors tu pleure sous ta couette, tu pleures pour l’univers et pour toi-même pour les poussières d’étoiles et les trous noirs et les autres qui sont tellement mieux que toi et qui savent vivre.

Enju n’a jamais appris à vivre.
Apprenez lui.

Ils y croient. Mais comme des légendes, comme des mythes, des comptes, des théories infondées et des histoires surnaturelles. Ils en parlent sans y croire, sans y avoir jeté le moindre intérêt ou n’y avoir gâché un soupçon d’imagination. D’autres voient ça comme un élément extérieur à leur existence. Les grands livres ne leur font rien, ils ne seraient que paperasse et mensonges à toute une race.

Et il rêvait de cette étendue de bleue tachetée de grains blancs, brûlants d’une intensité que les humains mêmes ont éteint de leurs mains nues et souillées. Et chaque nuit il se réveillait, foutait sa tête à l’extérieur et bravait le froid pendant des heures pour essayer d’apercevoir l’une d’entre elle, même une minime, une dernière, une égarée, une survivante… non, une vivante, demeurant derrière un plafond de nuage d’humanisme dégueulasse et égoïste. Et chaque nuit, c’était un soupir de plus vers la réalité qui le faisait succomber à la gravité.

Eduqué par sa curiosité le nez plongé dans ces beaux livres intelligents, Enju était intéressé, obsédée, dérangé des choses inexpliqués. Il espérait bien trop pour les étoiles et maudissait bien trop sa propre race. (Il rêvait peut-être d’avoir été né à cette époque où les astres célestes demeuraient et régnaient le ciel telles des déités, nommées et priées et admirées et importantes.) Des questions qui resteront toujours des questions l’auront fait grandir, et peut-être évolué, et peut-être rendu sa vie trop morose et sans but. Dans un monde où nature ne suffit plus et sous un ciel pillé, ce gosse perdra doucement son envie d'être aussi vite qu’il perdra ses rêves d’étoiles.