Le tatouage, c'est une oeuvre éternelle sur un support éphémère || Keaghan

Une journée de travail. Une autre. Après tout, il faut savoir gagner sa vie. Et au Japon, c’est là la plus grande source de bonheur et d’honneur. Du moins paraît-il. Si je n’ai jamais été entièrement d’accord avec cela, je dois bien avouer que mon travail me plait. Je l’ai choisi, après tout. Et j’en suis fier. Savoir que je fais quelque chose qui me plait, quelque chose qui m’amuse, qui me permet de travailler ma créativité, quelque chose qui réellement me permet de m’épanouir… C’est le mieux dont j’aurais pu rêver…

Bref. Une nouvelle bonne journée qui s’annonce. Levé aux aurores, habillé, les cheveux relevés sur ma tête, mes lunettes juchées sur mon nez, mon carnet de croquis plein à craquer dans ma besace, mon café engloutit et ma clope aux lèvres, je passe la porte de mon appartement, direction mon salon de tatouage. Je suis en avance, comme d’habitude. Idris n’arrivera que dans une heure ou deux. Mais au moins, j’aurais le temps de me préparer pour les rendez-vous du jour. Et il y en a un, principalement, qui me rend impatient. Il faut dire que le projet m’emballe énormément. Le client est passé, m’a exposé son souhait, et j’ai travaillé d’arrache-pied dessus, jusqu’à ce que cela lui convienne et qu’il ne se décide à prendre rendez-vous. Rendez-vous qui est prévu pour aujourd’hui.

La ville grouille déjà de monde, à cette heure-ci. Des hommes en costards, propres sur eux, avec leur petit attaché-case se pressent aux arrêts de bus, de taxis, ne souhaitant pas être en retard pour leur travail, eux non plus.

La grille du Willibald’s est fermée et seul Idris et moi en avons la clé. Clé que je sors en cet instant pour ouvrir la boutique. Nous avons des horaires précis. Pour autant, à partir du moment où l’un d’entre nous franchissons le seuil, tous les clients peuvent entrer à leur tour, s’ils le désirent. Nous ne sommes pas rigides là-dessus. Nous sommes bien plus souples que la plupart des autres boutiques et cela nous aide à nous constituer une petite clientèle d’habitués qui apprécient nos services, notre professionnalisme, notre expertise… et surtout notre bonne humeur sans faille.

Je m’occupe des stocks, dans un premier temps. Puis, lorsque c’est fait, lorsque j’ai préparé les bons de commande, je m’occupe de ma petite salle de travail. Je nettoie les instruments, le siège, la table. Ensuite, je prépare l’encre dont je vais avoir besoin, puis je stérilise le tout, pose du papier. J’ai l’impression d’être un médecin qui attend un patient, parfois, lorsque je fais ces gestes. Mais là, c’est d’un client dont il s’agit. Et je ne suis qu’un tatoueur. Un artiste, qui attend sa toile. Qui ne devrait pas tarder, d’ailleurs.

Je sors la boite de gants, la pose sur une petite table, près de la chaise. Puis je regarde ma montre. L’homme ne devrait pas tarder. Je sors le croquis d’origine, puis celui qui me servira à l’imprimer sur la peau de mon client. Je suis satisfait de mon travail. Et j’espère qu’il le sera aussi, lorsque j’aurais terminé.

Un dernier coup d’œil à mon dermographe avant de retourner à l’accueil. Je me sers un deuxième café, avant de sortir rapidement fumer une cigarette. Plus qu’à patienter, je suppose. Allez, Keaghan Reid… j’ai hâte d’œuvrer sur ta peau…