Plus que de la peinture. [Ft. Orion]

Un bruit de placard qui se ferme et sa main qui range le dernier dossier dans un soupir fatigué. C’était une journée comme les autres, en soit rien de difficile, juste un peu plus de boulot que d’habitude. C’aurait été des trucs intéressant, il aurait sûrement arboré un sourire radieux, mais là, c’était plus pénible qu’autre chose. Il est content d’en avoir fini avec ça. Ses doigts glissent sur le bureau parfaitement rangé pour attraper les clés qui trainent encore là. Il quitte le bureau et ferme à clé dans un silence fantomatique.

« BOUH ! »

Le pauvre homme sursaute et manque de perdre l’équilibre. Tel un félin apeuré il fait volte-face, les bras prêt à combattre, poils hérissés. L’étoile réalise alors qu’il ne s’agit qu’une de ses collègues, qui pousse un petit rictus moqueur avant de filer en lui souhaitant une bonne soirée, ainsi qu’en lui conseillant de se ménager un peu plus. Il marmonne dans sa barbe inexistante et ramasse les clés qu’il a laissé tomber à l’instant. Le pauvre Orion est trop gentil pour se plaindre, parfois son entourage en profite, mais de toute façon il ne le prend pas mal.

Quittant le commissariat, il décide de faire un détour par le parc pour rentrer. Vu l’heure, il n’est plus à cinq minutes près. Il ralentit le pas pour profiter du calme environnant. Enfin, calme. Ca c’était avant son altercation avec une gamine. Il n’aurait pas dû s’approcher autant, ça non, surtout pas si près, mais Orion est trop curieux, il veut voir ce qui la fascine autant, il veut voir de plus près ce qui mérite tant d’être éclairé. Il ne tard pas à comprendre la situation, l’odeur de peinture lui monte au nez, une odeur pas très agréable mais mêlée à quelque chose d’autre qu’il n’arrive pas bien à identifier.

Cette fois, ce n’est pas lui le chat. Lui, c’est la menace qui reçoit de la lumière en pleine tronche. Toute crédibilité à part, Orion, froncer les sourcils comme ça et prendre une grimace dérangée, ça n’aide pas la situation. Il tente de la détailler, mais ainsi en contre-jour il a du mal. Il distingue ses yeux qui brillent un peu, ils semblent vert comme les siens, mais plus clairs. Si l’habit ne fait pas le moine, clairement, cette gamine ne pue pas l’argent. Elle pue juste la peinture.

« Quoi ? Tu veux ma photo ? Tu veux m’engueuler ? Va t’occuper de ta femme ou de ta pute, j’en sais rien. P’t’être les deux, en fait. »

Il pourrait en perdre sa mâchoire. Tant de violence d’un coup. Mais il ne dit rien, ne montre rien et emprunte un ton posé.

« Je voudrais déjà que tu commences par diriger ta lumière ailleurs que sur mes yeux, s’il te plait, j’aime bien savoir à qui je parle. »

Ce n’est pas la chose la plus intelligente à dire. Comme si la gamine rebelle allait s’exécuter. Orion, je ne suis pas sûr de…  « Personne ne m’attend, j’suis pas pressé. J’ai le temps de regarder ton œuvre, et de "t’engueuler", puisque c’est si gentiment demandé. » Ne pas répondre à la provocation, ça c’était juste la pratique de policier, même son caractère aide pas mal. Il fait alors un pas vers elle pour sortir sa tête du faisceau lumineux et reprend de suite « Tu sais qu’on pourrait t’embarquer en garde à vue pour ça ? Et te condamner à des travaux d’intérêt généraux, pour effacer tout ça ? »

Evidemment qu’elle le sait, mais vu l’animosité qu’elle dégage, commencer par des remarques plus lourdes c’est bien trop risqué. Et puis le temps que ses pupilles s’adaptent un peu, il a un meilleur aperçu de la demoiselle. C’est qu’une gosse, haute comme trois pommes. En fait, si elle ne dégageait pas autant de force et de rage, elle ferait pitié. Il se sent presque coupable d’avoir un gros manteau, mais il se dit que c’est peut être un style d’ado rebelle, sans trop y croire.

L’approche calme est un échec cuisant, on sentirait presque l’odeur de brûlé de la main d’Orion qui a tenté d’éteindre la flamme manuellement. Et elle a pas peur, la naine qui s’approche de lui avec une détermination à trancher du roc. Le fait est que l’esprit du flic ressemble plus à un gros marshmallow qu’à une pierre, il est malléable. Il est quand même étonné par son rire, un drôle de rire sur lequel il n’arrive pas à mettre d’adjectif. Mais quel âge a-t-elle pour parler comme ça ? Elle lui rappelle ces pochtrons irlandais – et y’en a un paquet par là-bas – qui trainent dans les rues torchés et insolents, si bien qu’on finit par les ignorer pour ne pas s’en encombrer.

Mais là c’est différent. Orion est d’humeur déterminée, il se rend pas compte que pour cette gamine, il représente juste le gros lourd dragueur d’un festival de rock, ou ce mec qui pose 36 questions à la fin du cours et qui t’empêche de sortir. Insupportable. Mais rien à faire, Orion, lui, il est sûr de bien faire, et c’est tout ce qui compte pas vrai ?

« C’est quoi ton problème ? » reprend-il un peu plus sérieux, il n’a pas apprécié qu’on le touche ainsi, une limite à ne pas dépasser probablement «  Parce que t’as 15 ans et que t’as fumé un joint, tu penses que tu peux faire ce que tu veux sans répondre des conséquences ?  » Ouais, il a trouvé la drôle d’odeur derrière la peinte quand elle lui a pouffé à la tronche. C’est déjà plus embêtant pour lui, il va devoir intervenir, et ça va pas plaire à la street-artiste en herbe. Parfois, il dit des trucs sérieux Orion, et parfois… « Visiblement papa et maman étaient pas là pour t’apprendre que la vie c’est pas un kiwi.  » Parfois, Orion est… Orion.

Mine de rien, elle a réussi à le rendre un peu plus tendu que prévu. Il se contente de hausser un sourcil à son jeu de lumière puérile. Il n’en démord pas et ne montre pas de signe de faiblesse, mais il se sent un peu moins serein, ça va être difficile.

Il se doutait que la réaction ne se ferait pas attendre. Grande gueule, mais susceptible. Elle est un peu trop facile à prendre à son propre jeu, véhémente et enragée. Il veut juste savoir à quel point. Et pour ne pas se laisser marcher sur les pieds, elle ne se laisse pas marcher sur les pieds.  Elle s’approche menaçante, la feu aux poings, elle contraste tant avec le flegme d’Orion que ç’en serait presque drôle. Mais quand il pousse un long soupire, son calme conquiert le territoire, il gagne.

Le voilà dans l’ombre à fixer une fillette figée. Lentement, comme un prédateur, il fait le tour de sa proie et s’arrête derrière elle. Il profite un très court instant de plus du silence, du calme, il détaille même son graph – du moins ce qu’il peut en voir –  avant de lui rendre ses droits. Encore une fois, il faut à peine quelques secondes pour que la bombe explose, elle hurle, tant que ça en devient gênant. Il regrette un peu de l’avoir testée, il lui a fait mal juste pour en savoir plus, il n’aime pas ça.

Mais là, il attend patiemment qu’elle recule et qu’elle se cogne contre lui. Le temps qu’elle réalise ce qui arrive, il lui attrape les poignets et les bloque dans son dos à la manière de menottes. Faire partie du département scientifique ne dispense pas de la formation minimum. «  Je suis pas un violeur, je suis policier. Alors pour commencer tu vas arrêter de crier et tu vas me dire comment tu t’appelles. Autrement tu vas t’attirer encore plus d’ennuis que tu n’en as déjà. »

Au moins, dans tout ça, elle avait pris la défense de ses parents, ce qui suggère qu’elle n’a pas été maltraitée pour finir dans un tel état. Le médecin ne peut s’empêcher de suspecter la drogue de l’avoir rendue comme ça, pourtant il sait que les jugements hâtifs n’amènent rien de bon, alors il essaie de chasser cette conclusion de son esprit.

Le graph ::

Ah bah voilà, bah bravo ! Il y a des parties de son job qu’Orion déteste, et celle-là en fait partie. Tu t’habitueras, qu’on lui disait, tu développeras des astuces, qu’on lui répétait. Bah tiens. Des paroles de camarades de fac qui espèrent pouvoir un jour annoncer un diagnostic de cancer avec la sensibilité d’un putois sadomasochiste, espoir qui n’est pas partagé par Orion qui a déjà le cœur qui s’accuse d’avoir fait du mal à une gamine. Un mal pour un bien, qu’il se répète en boucle, un mal pour un bien.

Il sait que s’il la lâche, elle prendra la poudre d’escampette à la première lueur de lucidité qui lui traversera l’esprit. N’importe qui aurait tenté sa chance, même drogué. En plus de ça, l’étoile détester abuser de son don hors norme. Il faut qu’il lui parle, qu’il essaie de lui faire comprendre la leçon qu’elle mérite sans pour autant lui enfoncer à violent coup de burin dans le crâne. Ca demande une souplesse et une pédagogie que l’étoile ne pense pas posséder, mais s’il se rate, il se verra forcé de l’emmener au poste, et ça, il n’en a pas envie.

«  Ok. » Gagne du temps, gagne du temps. Inspire. «  Qu’est-ce qui t’es arrivé, Lula, pourquoi as-tu fais ça ? » Il indique d’un mouvement de tête le mur. Elle lui ressemble presque, des grands yeux clairs, mais beaucoup plus de joie dans le regard. Qu’est-ce qui est arrivé à la gamine pour qu’elle le perde ? «  Est-ce que t’as perdu un mauvais pari et t’essaie de te dépatouiller tant bien que mal d’une situation pourrie ? » Il marque un temps avant d’ajouter d’un ton réellement fraternel «  Est-ce qu’on t’a forcé, Lula ? »

Il joue la carte de l’adulte un peu crétin qui n’y connait rien. C’est ça de toute façon, pour les ados, on ne peut jamais les comprendre. Enfin, c’est ce que croit Orion. Aussi pense-t-il plus délicat de jouer le rôle qu’elle lui attribue probablement, celui d’un abruti qui n’a aucune idée de ce qu’elle peut ressentir, de ce qui a pu lui arriver. Il parviendra peut être à en savoir un peu plus comme ça. Pour autant, il ne perd pas prise sur ses poignets, il ne peut pas prendre le risque, pas encore.