Coléreux, même si tu essaies de t'améliorer ≠ Impatient lorsque tu es concerné ≠ Claustrophobe ≠ Un peu misanthrope ≠ Peur d'être trompé, abandonné ≠ Volage ≠ Rancunier ≠ Sarcastique ≠ Moqueur ≠ Pessimiste ≠ Paranoïaque ≠ Fougueux ≠ Instinctif ≠ Tu n'aimes pas ce que tu es devenu ≠ Tu es souvent trop fier ou timide, je ne sais pas, pour oser t'excuser lorsque tu te sais fautif ≠ Tu n'aimes pas la solitude mais tu te forces à y demeurer ≠ Tu fumes énormément.
Poumons noirs de nicotine, Bouche craquelée et rendue incarnate à force d'y passer une langue anxieuse, tu t'observes d'un œil torve. Le miroir à pied trônant dans la chambre de Ycare te renvoie toujours un visage que tu ne souhaites pas observer. Que tu désires oublier au fond du labyrinthe sinueux que renferment les parois de ton crâne, puisque ce dernier te rappelle avec une vicieuse facétie celui de ton frère. Celui de l'homme que ta mère malade ne peut s'empêcher de superposer au tien, celui qu'elle compare avec toi, un simple garçon jeté trop tôt dans la fosse aux lions qu'est « l'âge adulte ». Le fauve tapi au fond de ton cœur rejette sa lourde tête vers l'arrière, ouvrant sa gueule pleine de crocs, et rugit son indignation à la face des personnes responsables de ton mal-être, de ces chimères que tu imagines d'une netteté presque transperçante. Ton corps s'emplit d'une fougue de vivre inégalable te prenant au ventre, te tordant impitoyablement les entrailles, t'enveloppant de rancune et de colère. Ta main gauche se crispe, craque sous la force de tes doigts, forme un poing et s'écrase avec une violence inouïe contre la vitre du miroir. Le verre se craquèle mais demeure entier. Alors, pris d'une rage sans pareille, tu t'acharnes sur ce reflet farceur, sur celui de cet autre toi à la mâchoire crispée, du jumeau que tu ne pourras sûrement jamais égaler, malgré les années qui défilent. Tu vois la face de Ycare et la tienne, jusqu'alors superposées, éclater en une myriade de particules de verre. Puis, apaisé, tu laisses ton regard embrasser les corolles sanglantes se formant aux côtés des morceaux transparents parsemant le tapis pelucheux. Les poils de celui-ci, bien que doux, ne sont qu'un piètre réconfort face au torrent d'émotions qui t'inonde.
Ycare a disparu.
Un pâle sourire étire tes lèvres gercées tandis que tu t'assieds au bord de ton lit, la mine sombre. Tes bras prennent automatiquement appui sur tes genoux, ton regard se visse sur le sol. Tu cherches à récupérer le souffle que tu n'as pas aperçu quitter tes poumons gangrénés par la cigarette, alors trop sous l'effet d'une colère sans nom. Mais maintenant que cet excès-là parait s'être évaporé comme de la fumée, une étrange tristesse t'envahit. Ta main gauche picote. Le sang doit avoir arrêté de couler. Juste une blessure superficielle. Tu soupires.
C'est un brave petit ! Tout comme son frère. De véritables anges.
La voix fantôme de ta grand-mère taquine tes oreilles. Tu sais qu'il ne s'agit désormais plus que de souvenirs édulcorés par les années, son apparence t'apparaissant effacée par le poids des années. Mais tu sais aussi que ces paroles-là t'ont toujours marqué. Petit, tu adorais savoir que Ycare et toi étiez semblables, les deux facettes d'une unique pièce. Tu aimais assurément énormément ton frère, le considérant même comme une extension de ton âme, comme si vous étiez un esprit séparé en deux corps. Mais maintenant, ça a finit par te faire plus chier qu'autres choses. Maintenant que ta mère s'est enfermée dans ses idées folles et paranoïaques de tarée. Maintenant qu'elle ne voit en toi plus qu'une sauvegarde de ton frère jumeau, plus qu'un de ses poussins qu'elle se doit de protéger des miasmes pullulant à l'extérieur.
Je ne suis pas en sucre ! Lâche-moi ! ... Arrête !
Le cri de ton esprit t'arrache un rire forcé qui se répercute contre les murs. Cet éclat sonne comme l'aboiement d'un chien galeux malade. Ah, ça fait tellement longtemps que tu n'as pas vraiment ri, pas vrai ? Faut croire que tu en as oublié le mécanisme, que ta gorge s'est resserrée au point de ne plus en être capable. Tu fermes les yeux, abandonnant le décors de ta chambre, les sanglots de ta mère que tu parviens à entendre derrière ta porte, le silence pesant de ton père.
Derrière le rempart de tes paupières, plongé dans univers de tranquillité n'appartenant qu'à toi seul, tu visualises ton père. Véritable plante verte. Il aime ses fils, profondément même, mais dans la famille, c'est ta mère qui porte la culotte. Ton père a toujours été quelqu'un d'introverti et de secret. Il déteste parler pour ne rien dire et laisse la plupart du temps, - si ce n'est pas tout le temps -, les rennes à ta mère. Il reste à l'écart et observe sans agir, laissant les problèmes s'en aller d'eux-même. Mais tu sais, au fond qu'il vous aime quand même, Ycare et toi. Que tu as toujours été son préféré, son premier fils.
Enfin, ça, c'était avant. Depuis
ce jour particulier, tu t'es métamorphosé. Pas en bien. Le regard qu'il pose sur toi a également évolué. L'amour est resté, bien sûr, mais il s'est retrouvé enterré sous des couches d'inquiétude, de dégoût et de colère. Tournée vers lui-même ou vers toi, son fils ingrat, tu n'en sais pas plus que moi. Ton comportement a changé, sous l'effet d'une crise adolescente tardive, dixit ta mère. Avant, tu étais le genre de garçon turbulent, quoique très farceur. Tu faisais partie de ceux que les professeurs plaçaient généralement au fond de la classe afin de ne pas être dérangé par les rires, les remarques, les gestes larges. Avec ton frère, vous faisiez la paire, vous avez fait les quatre cents coups ensemble et avez agacé plus d'un professeur. T'étais gentil et taquin, mais ton plus gros défaut était ton égocentrisme. Tu n'appréciais pas travailler avec une personne autre que ton frère et avais la sale habitude de ne jamais faire ce qu'il te déplaisait. Mais c'est plus toi.
Pouf. Disparu, cet enfant-là. Transformé. Le papillon qui est sorti de cette enfance, la tienne, déborde de couleurs délavées, voletant avec difficulté, écrasé sous des chapes de douleur que personne ne semble discerner.
Tu es néanmoins mieux ainsi, seul, dans ton coin, à l'abri des possibles pertes d'êtres chers. Peut-être un peu misanthrope, tu avoues que ce côté de ta personnalité semble s'être agrandi. Tu n'aimes pas les gens et les gens n'aiment pas la raclure que tu es devenue. Voilà une des réciprocités de la vie. Ton sang et chaud, il bouillonne dans tes veines et parfois, tu as l'impression qu'il cherche à s'évader tant il pulse bruyamment contre tes tempes ; à fleur de peau, un rien t'énerve et tu laisses en général parler tes poings. Parce que c'est plus facile. Parce que ça détend. Parce que les gens t'évitent d'eux-même, ensuite, suivant leur instinct de survie. Tu ne veux pas de leur pitié et encore moins de leur amitié. L'amitié, ce n'est pas fait pour durer. Et tu hais être déçu ou trompé. Tu le crains, ce coup de poignard transperçant ton dos. Cette blessure béante pouvant être administrée par n'importe lequel de ces visages que tu croises chaque jour. Tu t'en protèges donc, préférant paraître pour le parano de service plutôt que de porter le sobriquet de naïf.
Tu es électron libre. Tu détestes profondément les ordres et apprécies travailler en parfaite autonomie. Tu es un battant, tu t'en convins à longueur de journée. Tu n'as besoin de l'aide de personnes pour sortir la tête de l'eau et inspirer. Tu t'en assures, tu te barricades, tu te vêtis de cette armure afin de ne pas être blessé. Mais je sais, moi, que ton cœur est profondément meurtri. Que tu ne vas pas bien, que tu n'aimes pas celui que tu es devenu, mais que tu ne parviens pas non plus à changer. Tu n'en as simplement plus la force, seul, dans ton coin. Car, Zakkarian, être seul n'est assurément pas agréable. Tu n'es certainement pas de ceux se rejoignant dans l'agape de la solitude. Toi, tu es plutôt d'une possessivité sans nom, lorsque l'on sait se faire une place dans ton palpitant. Tu ne veux pas te l'avouer, tu ne veux pas le dire aux autres par peur d'être catalogué « boulet », mais l'incendie qu'est la possessivité brûle inlassablement en toi et lorsque tu laisses ce feu se propager, tu peux devenir méchant ; tu as toujours été particulièrement débrouillard et inventif. Alors faire des coups d'enfoiré, c'est un peu ton fort.
Cependant, durant tes bons jours, il arrive que des relents de ton ancien toi n'affleurent la surface de ton épiderme. Sous la forme d'un sourire taquin, d'un léger éclat de rire ou de phrases taquines. Il n'a pas complètement disparu, après tout. Tu peux donc être un peu plus doux avec les gens que tu « apprécies » , à condition qu'ils sachent te caresser dans le sens du poil.
Détail supplémentaire ; Tu es ce que l'on nomme un claustrophobe. Les ascenseurs, parkings et autres espaces étroits ou sous-terrains te rendent nauséeux, mal, étreint par la sensation d'avoir atterri entre quatre planches de bois trop exiguës pour laisser de la place à mon corps. Il t'arrive également te penser à la mort, mais tu ne vas néanmoins jamais te laisser aller à ces démons-là, préférant vivre ta vie en suivant le sentier tracé par ton frère, par celui t'ayant abandonné, par celui qui, main dans la main d'une étoile, est parti vivre là-haut. Insomniaque, tu refuses obstinément de t'endormir et passes une bonne partie de tes nuits à te promener à l'extérieur ou à jouer aux jeux vidéos. Tu attends que ton corps épuisé ne s'endorme de lui-même afin d'être assuré que tes vieux démons ne viendront pas gangréner ton sommeil, ce qui te fait souvent somnoler en pleine journée.
Dormir avec une personne t'aide énormément à mettre tes peurs de côté, te permettant de te laisser aller dans les bras de Morphée sans crainte de se réveiller en sursaut. Tu ne craches jamais sur la possibilité d'avoir un ou une amant(e), même si tu n'es assurément pas le genre de personne à rester pour le petit-déjeuner.
« Maman ! Ycare, Monsieur grr et moi, on voudrait une histoire !
- Zakkarian, ta peluche ne peut pas décider en fonction de ce que tu aimerais...
- Monsieur grr est vivant ! Et il veut que tu racontes l'histoire de la petite étoile ! »
Les prunelles brillantes, ton frère et toi regardez votre mère avec l'envie dévorante que possède les enfants en bas âge. Elle vous sourit doucement en s'asseyant au bord du lit que vous partagiez, prenant quelques minutes afin ébouriffer tendrement vos crinières d'encre. Ses cheveux à elle, d'un beau blond cendré, retombent contre sa poitrine charnue en une jolie tresse que tu ne peux t'empêcher de triturer, sous le regard vide de Monsieur grr, ton ours en peluche. Ta mère remonte la couverture sous vos mentons, d'un geste maternel, et fait mine de réfléchir un instant, devant ta moue suppliante.
« Bien bien ! Alors... Vous êtes bien installés ? [...] C'est l'histoire d'une toute petite étoile vivant dans le ciel. Elle était si fine, si petite que toutes les autres étoiles se moquaient d'elle.
- C'est horrible !
- Oui... Tu veux la suite, Ycare ? Chuuut... ; [...] Elle était minuscule comparée aux autres, mais d'une brillance sans pareille. Son éclat était aussi lumineux que celui d'un diamant baigné de soleil, ce qui amenait la jalousie de beaucoup de ses amies. Ce fut cependant cette étoile-ci qui, parmi toutes les autres, fut choisie pour descendre sur Terre. Car son cœur était pur et empli de bonnes intentions, parce qu'elle n'avait jamais eu la moindre envie de se venger d'autrui, parce qu'elle était une douce petite étoile en quête de reconnaissance. La déesse, mère avenante des étoiles, la choisit lorsqu'un tout petit humain vit le jour sur Terre, pour qu'elle puisse prendre soin de lui, le protéger, et l'aimer pour ce qu'il était véritablement. Acceptant sa mission sans rechigner, l'étoile fut déposée sur Terre, arrachée volontairement à son monde. Bien sûr, elle n'était pas encore assez grande pour s'occuper d'un nouveau-né ! Mais elle ne tarda pas à grandir, en même temps que son protégé, et elle put le joindre à l'aube de ses huit ans. La petite étoile se lia très rapidement à Teppei, le garçon qu'elle se devait de protéger, et elle apprit à l'aimer sans l'ombre d'une limite. [...] Ils devinrent vite amis et, grâce à Teppei, l'étoile put commencer à grandir. Conservant son splendide éclat, elle se mit à grossir, à s'embellir encore et encore, nourrie par l'amour de son protégé. Elle ne le quitta jamais et, même lorsqu'ils montèrent au ciel, l'étoile ne lâcha jamais la main de Teppei...
- Waaah.... Maman, moi aussi je veux une petite étoile !
- Oui ! Moi aussi ! On sera tous amis, avec monsieur grr !
- J'espère qu'une petite étoile viendra vous protéger, oui ! »
L'histoire, bien que condensée et parfois compliquée à comprendre pour des enfants de sept ans, était ta préférée. Ycare, ton frère jumeau, l'aimait tout autant que toi et vous rêviez tout d'eux d'une petite étoile similaire. Ta mère vous parlait tellement d'elles que vous ne pouviez que les adorer sans même les connaître, que les attendre avec une douloureuse impatience, en priant pour que la déesse du compte les dépose vite sur Terre ...
° ° °
Impatients.
Comme des enfants la veille de Noël.
Ycare et toi ne teniez pas en place.
Vous rêviez déjà de vos étoiles alors que vous n'étiez guère plus haut que trois pommes. Vous en parliez tous les jours, vous appreniez même les noms compliqués des constellations en espérant que vous serez ainsi observés par un être stellaire désireux de tomber à vos côtés. Ycare et toi, vous ne tenez plus en place.
Tout ça à cause de votre mère qui vous raconte mille et une histoires sur ces protecteurs particuliers, au moment de vous endormir. Vous étiez bercés par sa douce voix qui vous plongeait assurément dans la douce inconscience d'un sommeil bercé de rêves enfantins. Vous êtes tendrement bordés par la rivière de mots si chaleureuse qui s'écoulent de ses lèvres purpurines…
La surprise est grande, inattendue, lorsqu'un jour, à l'école, Ycare tombe sur son étoile. Fait très surprenant étant donné que vous habitiez encore en Californie et que ces protectrices se situaient plutôt du côté du Japon, d'après ce que vous aviez compris. Pourtant, l'étoile de Ycare l'a retrouvé, au fin fond d'une ville nommée Orange, et le bonheur qui envahit ton jumeau est telle qu'il ne parvient pas à tenir en place de toute la semaine, au plus grand dam de ses professeurs. Mais au plus grand amusement de ses parents.
« Mais Zak ! Mon étoile est venue ! Tu te rends compte !? Elle est là !
- Ouais…. C'est cool.
- Sois pas jaloux… Je suis sûr qu'elle voudra aussi être ton amie ! Cassiopée est vraiment gentille, tu sais ! Même qu'on va se marier, quand on sera plus grand ! »
Les rires aigus de ton jumeau ne t'aide pas à te faire une bonne impression de Cassiopée. Tu es ravi pour son frère, vraiment, mais tu ne peux pas empêcher ces piques de jalousie de se planter dans ton cœur, te rendant quelque peu désagréable, imbuvable. Pourtant, l'étoile d'Ycare a tout l'air d'être une adorable enfant ; ses bouclettes rousses, ses joues rondes comme des pommes bien rouges et son tendre caractère inspirent la confiance. Malgré tout, c'est plus fort que toi, presque instinctif. Alors tu appréhendes qu'elle ne te vole ta place, sachant que ton frère l'a attendu durant de longues années. Tu t'éloignes d'Ycare en espérant ne pas voir cet instant où il se détournera lui-même de toi.
Tu te contentes de hocher la tête avant de te détourner, laissant ton frère comme deux ronds de flan dans ton sillage. Celui-ci, visiblement étonné, peut-être même contrarié, que tu ne partages pas son enthousiasme t'observe douloureusement, ne parvenant pas à te comprendre. C'est la première fois qu'il ne peut pas imaginer ce qui traverse ta petite tête, et ça lui fait mal.
° ° °
« Zakk ! Tu viens ? Cassy et moi, on va jouer dans la place de jeu ! Y a des nouvelles balançoires !
- Non merci… T'as qu'à aller avec " Cassy " !
- Mais allez ! On va bien rire !
- Non. Vas jouer sans moi, t'as pas besoin de moi !
- Mais….
- Non !! »
Dépité, Ycare décide de te laisser derrière, à contre cœur. Pourtant, la tendre risette de Cassiopée lui rend instantanément le sourire. Sa fiancée est vraiment gentille avec lui. Même qu'ils font des gâteaux de boue ensemble et qu'ils s'amusent à pourchasser les chats des voisins. Si ça, c'est pas une bonne femme…
° ° °
« Tu sais, je pense que tu t'inquiète pour rien, mon chéri. Cassiopée n'est pas là pour te piquer ton frère… Elle ne veut que le protéger.
- Mais maman… Depuis qu'elle est là, il me laisse toujours derrière ! Il… Il veut plus de moi ! Cassiopée est meilleure… Même qu'il dit qu'il veut se marier avec !
- Zak… C'est toi qui dis toujours non, ce n'est pas Ycare…
- …
- Tu ne veux pas aller lui parler ? Je suis certaine qu'il serait ravi de pouvoir s'amuser avec toi. Je vois bien qu'il te manque… »
Serrant tes petites mimines d'enfant, tu baisses la tête en te mordant les lèvres. L'idée que tu es bel et bien le coupable se creuse doucement un chemin sous ton casque de cheveux noirs, et tu admets intérieurement être fautif. Tu rejettes la pierre à ton frère alors que tu es le seul à mettre les pieds en mur en refusant tout, par crainte de t'éloigner de Ycare… Mais, Zakkarian, c'est en agissant ainsi que tu t'écartes de lui, malgré ton désir brûlant de ne jamais être séparé de lui.
« Zakk… ? »
Derrière toi, la porte s'ouvre sur ton frère qui, visiblement, a tout entendu. Il tire une petite moue attristée qui serre ton cœur en un douloureux étau. Étrangement, Cassiopée n'est pas à ses côtés. Tu ne peux empêcher une remarque un peu méchante, un air amer étirant tes traits.
Cassiopée est bien meilleure, après tout…« Ta Cassy est pas là ? J'pensais que tu l'aimais plus que tout….
- T'es vraiment bête. »
Ycare s'approche.
Tu ne peux faire un pas.
Comme figé, tu l'observes venir, craignant qu'il ne te dise tes cinq vérités, qu'il t'avoue être déçu, qu'il te lâche. Pourtant, les deux petits bras que tu sens s'enrouler autour de toi ne possèdent pas l'once d'une vicieuse intention. Non, au contraire. Cette étreinte te prouve que tu as véritablement agi comme un gros bêta. Alors tu pleures en serrant ta moitié d'âme tout contre toi, réchauffé par le contact et ô combien rassuré sur votre relation.
Ycare ne t'a jamais lâché.
° ° °
« Alors c'est toi, Cassiopée… ? Mon frère m'a beaucoup parlé de toi.
- Oui ! Il m'a beaucoup parlé de toi aussi ! Je suis ravie de faire ta connaissance ! »
Le blanc qui s'instaure n'est pas pour te mettre à l'aise. Tu sens tes pommettes s'empourprer alors que tu observes Ycare à la dérobée, espérant qu'il fasse quelque chose. Pourtant, ce n'est pas ton jumeau qui décide de briser la glace mais son étoile. Elle semble déterminée à te connaître, aidée par tes premiers pas maladroits. Au fond, tu cherches à t'assurer que ce geste n'est pas pour Cassiopée mais pour ton frère, mais plus tu te répètes ce mantra, plus il te paraît dénué de sens… Tu finis donc par l'avouer ; tu es curieux. Tu te poses tellement de questions sur les étoiles qu'en avoir une en face de toi, et dite gentille en plus, pique ton envie de connaissance.
Sa petite voix d'enfant résonne entre les murs de la cuisine.
« Tu aimes cuisiner non ? On fait une surprise pour vos parents, ce soir ? »
Toi, tu aimes manger. Cuisiner n'est pas vraiment ton truc, mais tu décides d'acquiescer. Une étoile sait faire à manger, pas vrai ? Elle est tombée du ciel afin de protéger un humain. Alors pourquoi ne pourrait-elle pas savoir gérer les besoins basiques d'un être vivant ? Tu es certain qu'elle sait s'y faire, surtout au vu de son air excité. Vous vous dirigez donc en direction de la cuisine.
« Tu aimes manger quoi, Zak ? tu remarques le surnom mais préfères ne rien dire.
- J'aime les pâtes carbonara !
- … c-carbonara … ? D'accord ! »
La seule surprise que vous réussissez à faire à vos parents est le capharnaüm régnant dans la cuisine. De la crème a sali le sol carrelé, le paquet de sel s'est renversé et, dans la poêle, des pâtes à la texture étrange attendent désespérément qu'une charitable personne ne les libère de cette catastrophe. Peut-être auraient-elles préféré être cuites dans de l'eau plutôt que dans une simple poêle remplie de sel et de crème. Pourtant, vous avez bien ri en préparant "le repas" et, bien que vous ayez laissé un sacré bordel dans votre sillage, ta relation avec Cassiopée s'est nettement améliorée. Elle n'est pas si horrible que cela…
Et une étoile ne sait pas forcément cuisiner.
Tu notes ce détail dans un coin de ta tête, préférant te méfier. Parce que te faire gronder par tes parents, ce n'est clairement pas agréable.
° ° °
Observant avec crainte le hublot contre lequel tu es appuyé, tu observes l'aéroport, les voitures et autres véhicules circulant sur la piste avec une crainte mêlée de curiosité. C'est la toute première fois que tu prends l'avion et, enfermé pour de nombreuses heures dans cet habitacle, tu te sens quelque peu nauséeux. Paniqué, même. Tu crains l'accident ; qu'une aile se brise ou qu'un oiseau suicidaire ne vienne se transformer en steak haché dans un des moteurs de l'avion. À côté de toi, Ycare paraît serein. Il balance joyeusement ses jambes contre le dossier en sifflotant, discutant parfois avec Cassiopée au sujet de certains passagers. Tu les entends parler de leurs physiques et bien que le délit de sale gueule de certaines personnes t'arrache des petits rires, tu ne peux t'empêcher de t'agripper comme un naufragé aux accoudoirs de ton siège lorsque le décollage est amorcé. Tu sens l'avion commencer à se mouvoir, à trembler, à prendre de la vitesse, et tu ne peux rien faire d'autre que de paniquer, le cœur au bord des lèvres. Un petit son de pure terreur fuit hors de tes lèvres lorsque l'avion entame sa montée ; vous volez ! Vous volez !
Pourtant, lorsqu'une main se pose fermement sur la tienne, tu te sens inévitablement soulagé. Ycare te sourit en commençant à tracer de petits motifs sur le dos de ta main à l'aide de la pulpe de son index, te faisant ainsi penser à autre chose.
« … C'est un arbre ?
- Non !
- Euh…. Un champignon ?
- Je suis si nul que ça… ?
- Bah….
- C'est une fleur ! »
Sous la moue boudeuse de Ycare, tu sens tes épaules se soulager d'un poids. Le rire de Cassiopée termine de te détendre alors que les voix des hôtesses de l'air expliquent les procédés de sécurité, vous souhaitant ensuite un agréable vol. Derrière toi, tes parents sourient en échangeant un tendre baiser.
Le Japon vous tend les bras.
Une nouvelle vie s'offre à vous.
Et bien qu'apprendre une nouvelle langue ne sera pas aisé, tu es heureux de déménager, certain de rencontrer à ton tour l'étoile qui saura s'occuper de toi. Comme quoi, le travail de ton père n'est pas qu'une chose chronophage ! Il vous permet de partir tout en assurant un salaire à tes parents et, juste pour cela, tu te dis que le métier de journaliste, ce n'est pas qu'écrire des inepties sur la vie quotidienne. D'autant plus que ton papa étant un natif du pays, s'adapter ne sera pas si compliqué qu'il n'y paraît.
Partir au Japon et y fêter tes onze ans, ça te plaît.
° ° °
Les premières semaines au Japon se passent sans aucun problème notoire. Vous apprenez relativement vite la langue et, au bout de quatre mois de cours intensifs, parvenez à vous faire comprendre relativement bien. Pourtant, tu vois bien que Ycare est épuisé à longueur de journée, ces derniers temps. Ta mère assure qu'il s'agit d'un mal du pays, qu'il doit simplement s'habituer, que le changement horaire en est la cause… Cassiopée se montre également plus collante que d'habitude, t'empêchant parfois de t'approcher aussi près que tu le souhaiterais.
« Ne t'inquiète pas, Zak ! Je suis juste un peu fatigué… Je pense que j'ai de la peine à m'adapter.
- Tu crois… ? Tu dors bien, au moins ? T'as mal ?
- On dort ensemble ! Je peux que bien dormir, avec toi ! Et je n'ai mal nulle part ! Arrête de t'inquiéter… J'ai déjà Cassy sur le dos. »
Sa moue boudeuse t'arrache une risette amusée. Rassuré, tu décides de laisser un peu d'air à ton frère, gardant néanmoins tes prunelles dardées sur lui. Il semble aller bien, malgré ses petites cernes, et tu choisis de ne plus t'en faire. Maman te répète également qu'il ira mieux d'ici quelques jours, alors tu lui fais confiance. Et quelques jours de repos forcé aident visiblement Ycare à se reposer. Ce n'était rien de bien grave, finalement. Comme quoi, tu es sûrement trop possessif et paranoïaque.
° ° °
Pas encore lâchés face aux élèves nippons de votre âge, Ycare et toi prenez des cours spéciaux avec un professeur, ce qui vous permet un emploi du temps personnalisé et des plages horaires plus abordables, plus agréables. Pourtant, malgré le sommeil relativement réparateur que vous pouvez en tirer, ton jumeau ne semble guère dormir. Sa mine est de plus en plus crayeuse, ses yeux alourdis de lourdes cernes, le front régulièrement brûlant.
« C'est juste une grippe, Zakk. Arrête de te ronger les sangs pour si peu… » Que dit ta mère.
Pourtant, toi, tu ne peux pas t'empêcher de stresser, malgré les dires de Cassiopée et de ta mère. Tu n'as jamais vu Ycare dans un tel état de faiblesse et le voir aussi fragile t'assène un sacré coup au cœur. C'est néanmoins la gorge serrée que tu te rends aux cours privés sans lui, tes parents ne voulant pas te faire manquer des périodes pour quelque chose d'aussi quelconque.
° ° °
Un saignement de nez, une fièvre de cheval et un teint cadavérique. Ton frère ne va décidément pas bien. Tu es désormais persuadé qu'il ne s'agit pas d'une petite grippe saisonnière et, après avoir harcelé ta mère pour emmener Ycare à l'hôpital, tu angoisses. Assis sur une chaise en plastique vert, dans une salle d'attente colorée et accueillante, tu te mordilles les doigts, t'arraches les ongles, secoues les jambes, sous le regard désapprobateur de ton père. Nul doute que ton attitude le stresse.
« Hey, calme-toi Zakky. Ycare va sûrement très bien ! Les changements de température peuvent avoir fragiliser ses muqueuses, ou il se gratte trop le nez… Mais ne stresse pas comme ça. Je suis sûr que tout ira bien. »
Son sourire réconfortant te rassure quelque peu. Ton papa a toujours raison, ou presque. Alors tu poses ta petite tête contre son épaule, inspire son odeur familière à plein poumons, et finis par t'assoupir tout contre lui.
° ° °
Le diagnostique est tombé comme un couperet.
Vlam. Tes espoirs sont décapités, ton soulagement entaché d'un sang noirci d'inquiétude et d'âpres sanglots. La mine désolée du médecin, ses paroles scientifiques sans queue ni tête, sa blouse trop blanche décoré de petites peluches, les pleurs de ta mère. Tout ça entre par une de tes oreilles pour ressortir de l'autre côté, sans ne laisser le moindre souvenir de leur passage. Or, un seul mot semble avoir trouvé un écho à l'intérieur de ton corps enfantin. Un mot qui résonne. Un nom que tu ne connaissais pas avant de venir. Mais un nom qui gangrène ton jumeau, le dévore, tel un chien affamé boufferait sa viande. Un nom synonyme de danger, de long traitement, de maladie, de mort, peut-être.
Leucémie.
Leucémie aiguë lymphoblastique, précisément.
Cassiopée échappe un cri. De terreur, de douleur, de tout ce qu'un enfant s'imaginant condamné peut ressentir. Elle exprime un peu ce qu'Ycare ne laisse pas s'échapper de ses lèvres sèches. Lui, il ne réagit pas. Il se contente de serrer Monsieur Grr entre ses bras, le regard plongé dans celui de son jumeau. Comme s'il y cherchait la vérité, comme s'il désirait un échappatoire à cette infâme réalité.
« Je vais bien. »
Les mots d'Ycare sonnent terriblement faux dans ce lourd silence. Le médecin ferme les yeux en affichant une expression navrée. Ta mère pleure à chaudes larmes. Ton père retient avec difficulté les siennes. Cassiopée pleure, tape du pieds, geignit. Et toi, tu ne bouges pas. Tu t'approches de ton frère, lui prend les mains et le serre contre toi, votre peluche d'ours plaquée entre vos corps.
« Tout va bien se passer… Je… Je te le promets. »
Aucun de vous deux ne savez véritablement pour qui est cette tentative de réconfort.
° ° °
« Non ! … Je ne peux pas ! Je… Je ne veux pas mourir, Zakk ! T'as pas le droit de me demander ça ! Je refuse ! Je… Je suis trop jeune pour mourir !
- Tu vas quand même pas lâcher mon frère maintenant, hein ? T'es vraiment une étoile, oui ou merde !? C'est pas ton job de veiller sur lui, de l'aider ?
- Mais…. Non ! Mon rôle n'est pas de le guérir ! Juste de le protéger ! Je veux pas mourir ! Ok !? Je veux pas mourir ! »
Atroces désillusions que voilà. Tu sers les poings, tu crispes ta mâchoire, et tu observes la source de vos conflits. Allongé dans un lit, les cheveux nettement moins épais que depuis son hospitalisation, Ycare dort profondément. Les médicaments que les médecins lui donnent l'aident à prendre quelques heures de repos et, vu le sommeil comateux dans lequel il est plongé, il ne risque pas de vous entendre.
« T'es vraiment immonde, Cassy ! La pire étoile possible ! J'croyais que t'aimais mon frère !
- Comme un ami ! Un ami ! Et je ne veux pas mourir comme ça ! J'ai… Je veux voir le monde, moi !
- Toi, toi, toi ! Toujours toi ! Depuis quand t'es aussi égoïste, hein ?!
- Tu peux pas comprendre ! T'as jamais voulu comprendre personne, de toute façon !
- Merci d'aller vous disputer à l'extérieur, Ycare a besoin de repos. »
La voix d'une infirmière vous interrompt. Son regard sévère ne permet pas l'ombre d'une réponse, alors vous vous fusillez du regard avant de sortir. Cassiopée ne reste pas à tes côtés et préfère aller tu ne sais où. Mais tant qu'elle demeure loin de Ycare, tout ira bien. Ton jumeau ne mérite pas une telle étoile. Tu le protèges nettement mieux qu'elle.
° ° °
Le bruit du cardiogramme lié à ton frère t'agace. Tu n'arrives pas encore à t'y faire et, bien que tu saches que ce soit une simple mesure de sécurité, ce bruit répété est drôlement agaçant. À se demander comment il fait pour ne pas devenir frappadingue.
« Hey, Zakk.
- Hm ?
- Si je dois mourir… Je veux que tu me promettes de continuer ta vie sans moi, d'accord ? »
Tu écarquilles les yeux avant de les darder sur Ycare, la bouche entrouverte de surprise. L'apparence d'un poisson hors de l'eau que tu arbores possède au moins le don de le faire rire un peu, bien que ses essoufflements réguliers ne lui permettent guère plus qu'un petit ricanement.
« Non mais t'es malade !? Tu vas pas mourir ! J'te promets que tu vas pas mourir ! Les médecins vont te soigner !
- Zakk… Ils ont essayé de me soigner et tout ce qu'ils ont pu faire, c'est de me faire perdre mes cheveux…
- C'est faux ! Et même si tu n'as plus de cheveux, ils repousseront ! Ils redeviendront vite aussi longs qu'avant, je t'assure ! Et tu dis toi-même que depuis que tu prends des médicaments, tu dors mieux !
- Zakk… Je veux juste que tu me le promettes. Tu vivras ta vie pour nous deux, d'accord ? Alors…. obéis juste à ton grand-frère. »
Des larmes ne tardent pas à dégueuler le long de tes joues rondes tandis que les propos de ton frère, douloureux, te déchirent de part en part. Tu hoches néanmoins doucement la tête avant de la nicher entre les bras de ta moitié d'âme, les épaules parcourues de tressaillements.
« Oui… Oui. Je… Je te promets. Mais…. Tu vas pas mourir. Non….
- Je t'aime fort, Zakk.
- Ouais… alors guéris. Et continue de… de me protéger comme un grand frère. »
Le doux sourire qui étire les lippes d'Ycare passe inaperçu. Le front appuyé contre son torse recouvert d'une robe d'hôpital, tu préfères te concentrer sur les battements que tu entends. Sur ce colibri délicat, mais pourtant vivant qui vit entre ces côtes. Et pour l'instant, c'est tout ce qu'il t'importe.
Ycare est vivant.
Chauve à cause de la chimiothérapie, certes.
Mais
vivant.
° ° °
« Ycare ! Ycare ! Les médecins ! Ils… Ils te pensent sur la pente ascendante ! Je sais pas ce que c'est, ascendante…. mais tu vas guérir ! Tout ira mieux !
- … Je sais. Allez, calme toi. Viens plutôt ici. »
Ton jumeau tapote doucement son lit en te gratifiant d'un énorme sourire ravi. Même s'il ne sautille pas, tu vois bien qu'il est tout aussi heureux que toi. Ses joues sont joliment rougies et son regard pétille. Finalement, peut-être qu'une bonne étoile veille sur ton frère. Pas comme Cassiopée, qui ne vient plus à l'hôpital. Elle a tout simplement arrêté de venir, comme si elle ne désirait pas voir la réalité en face. Ton père te dit qu'il s'agit d'une réaction normale, venant d'une enfant… mais tu ne peux t'empêcher d'être extrêmement déçu. Si une étoile réagit comme ça à un problème aussi épineux, tu n'en veux plus. Les contes de ta mère n'étaient que des jolies histoires d'enfant pour te permettre de t'endormir.
Et tu n'es plus un enfant. Tu as fêté tes douze ans à l'hôpital, avec Ycare et ses trous dans les cheveux.
« Bonjour maman, papa ! »
La voix de ton frère te paraît d'ailleurs moins éteinte. Tout son corps est parcouru d'une vitalité en convalescence. Ton sourire ne quitte pas ta bouche.
« Bonjour vous deux ! Alors Ycare ? Tu seras sûrement guéri pour la fête du Cerf-volant !
- Oh ! Ce serait génial ! Je veux pouvoir être dehors !
- Patience, mon chéri. Tout viendra à qui sait attendre !
- Toi et tes dictons bidons, papa…. »
La petite famille rit ensemble, d'un éclat relâchant le stress, l'inquiétude et les mauvais sentiments. Certes, il manque Cassiopée au tableau, mais tu es certain que tout ira désormais pour le mieux. Cette histoire était juste présente afin d'approfondir les liens entre ton frère et toi, ainsi que pour te prouver que les étoiles ne sont pas si importantes que cela.
En fond sonore, les battements produits par le cardiogramme s'accélèrent de bonheur.
° ° °
« Hey, Ycare ! T'as pas encore tes cheveux, mais maman dit qu'on ira te trouver une chouette perruque le temps que ça repousse !
- Ah ouais ? J'en veux une blonde, alors ! Et aussi longue que la mienne hein ! Pas en dessus des épaules !
- Je prends note ! Autre chose ?
- …. Pourquoi Cassiopée n'est pas revenue ? »
Tu ne sais pas quoi lui répondre, ne connaissant toi-même pas la réponse. Tu te contentes de hausser les épaules en évitant son regard, et il semble comprendre. Ycare a toujours été très doué pour comprendre la plus intime de tes pensées sans même te poser une question.
« Je peux avoir un câlin, alors ? Mon frangin me doit bien ça ! »
Ce genre de demande, tu sais y répondre. Tu t'installes donc sur le lit afin de le prendre dans tes bras avec tendresse, lui frottant doucement le dos. Les machines accrochées aux bras de ton frère t'embêtent quelque peu, puisque tu dois faire attention à tous ces tubes, mais ils ne t'empêcheront jamais de le prendre contre toi.
« Oh… Depuis quand Monsieur Grr a perdu un de ses yeux ?
- Je sais pas… Cette nuit, je pense.
- Va falloir que je demande à maman de le recoudre !
- Ouais ! Monsieur Grr est -
- Il est… ?
- … »
Ton frère te semble tout d'un coup plus lourd. Un petit rire s'échappe de ta gorge alors que tu l'allonges dans son lit ; il s'est sûrement endormi ! Néanmoins, quand tu observes son visage serein, tu te rends compte d'une chose.
Sa poitrine ne se soulève plus. Ses yeux sont étrangement voilés. Tu as beau le secouer en l'appelant, en lui disant que sa blague n'est pas drôle, mais il ne bouge pas, demeurant mou sous ta poigne. C'est alors que tu te rends compte que le bruit incessant du cardiogramme auquel tu t'étais habitué ne résonne plus.
« Ycare…? Hey. Ycare ? Non ! Non… Non… Non ! Pas maintenant ! »
Tu appuies sur le bouton d'appel d'urgence. Une fois, deux fois, trois fois. Ton pouce le martèle tellement que l'attente te semble interminable. Une infirmière rentre, suivie par un médecin, et tu es sans vergogne poussé de côté. Tu entends des cris, des voix, tu les observes prodiguer un massage cardiaque à ton autre-toi. Tu sais que l'infirmière crie pour que l'on appelle tes parents, pour que l'on te fasse sortir. Mais même en sentant deux mains t'empoigner, tu ne réagis pas. Ton regard est rivé sur le corps endormi de ton frère, sur son crâne dépouillé, sur ses membres recouverts d'un drap trop blanc, sur Monsieur Grr négligemment couché à ses côtés…
Le ciel paraît soudainement tomber sur tes frêles épaules en de lourdes chapes orageuses. À l'intérieur de ta cage thoracique, ton palpitant bondit furieusement à t'en exploser les côtes. Le souffle semble te manquer. Tes lèvres s'entrouvrent, se ferment, se mordent avant de finalement s'étirer en une amère et douloureuse moue. Tes jambes vacillantes cèdent sous ton poids, le capharnaüm régent sous ton casque de cheveux noirs n'aidant pas à demeurer debout. L'infirmière te tient contre sa poitrine afin de t'éviter la chute, mais tu ne ressens rien. Ta gorge est si serrée que ta respiration, hachée, devient difficile.
Un par un, tes organes te donnent l'impression de mourir. En premier, ta capacité de réfléchir ne te permet guère de penser, forçant ton cerveau torturé à répéter inlassablement la même ritournelle.
Ycare est mort. Ensuite, ta respiration qui se coupe, tes membres qui tremblent et ton cœur affolé. Ton cœur blessé, meurtri, qui appelle désespérément l'écho de celui de ton jumeau, ne reçoit aucun retour. Esseulé, il explose sous la tristesse qui l'empoigne.
Tu t'évanouis. Tu t'échappes de cette horrible réalité, ton sang battant rageusement à tes tempes. La seule chose que tu espères, alors que l'inconscience t'enserre, c'est que ton cœur ne lâche. Tu pries toutes les étoiles du firmament pour ne pas laisser Ycare partir tout seul. Pour ne pas finir tout seul.
° ° °
C'est en te réveillant le lendemain que l'affreuse réalité ne se fait un chemin dans ton crâne. Avant même de reprendre véritablement conscience, tes yeux brûlent, pleurent tout ce qu'ils peuvent pleurer. Un faible gémissement se traîne hors de tes entrailles, tandis que ton corps se cambre, se roule en boule dans ce lit. Ce lit si semblable au sien.
« Ycare… »
Le temps te paraît long, comme s'il avait volontairement ralenti sa course pour te permettre d'accepter une chose impossible à avaler. Lorsque la tristesse ne te possède pas, il s'agit d'une colère viscérale à l'égard de Cassiopée qui n'est jamais revenue.
Cassiopée.
Tu apprends qu'une voiture l'a shootée, hier. Ta mère, entre deux lourds sanglots, t'annonce l'impensable réalité.
Alors qu'Ycare était en voie de guérir, Cassiopée se fait pitoyablement renverser. Elle se fait écraser comme un insecte sous les pneus d'une voiture. Elle est morte, elle qui clamait vouloir vivre. Elle est fautive. Elle a tué ton frère.
Tes prunelles se relèvent.
Ta mère frissonne en les croisant.
Ils dégoulinent de haine.
° ° °
Les années ont filé. Le temps semblait avoir repris sa course folle sans attendre que tu ne te relèves. Suite au décès de Cassiopée et de Ycare, tout s'est mis à changer. À commencer par ton comportement qui, malgré l'aide d'un psychologue correct, a commencé à régresser. Ta vision pourtant positive du monde qui t'entourait s'est dégradée, s'est cassé la gueule, et tu es devenu petit à petit la raclure que tu es aujourd'hui.
Vous avez déménagé de Kamakura pour venir vivre à Hoshikami, sous le souhait de ton père. Peut-être a-t-il espéré, au fond, que ton avis sur les étoiles changent en rencontrant la tienne, mais personne n'est venu pour toi.
Petit à petit, tu as arrêté d'aller voir ton psychologue de ton propre chef, tu as arrêté d'écouter les conseils de ton entourage, et tu t'es fermé sur toi-même comme une coquille.
La nuit, ton âme criait, appelait désespérément la résonance d'Ycare, mais il n'est jamais revenu de l'au-delà. Cassiopée t'avait définitivement arraché de ta moitié, tu n'étais donc plus que la moitié de toi-même.
En parallèle, l'attitude de ta mère a également évolué, sous les yeux impuissants de ton père. Elle délirait de plus en plus, se laissait doucement happer par sa tristesse de mère, jusqu'à devenir une personne que tu évites. Elle t'envoyait tous les jours des messages, te harcelant pour avoir de tes nouvelles, pour savoir si ton repas était bon, si les cours se passaient bien, si tu n'étais pas embêté à l'école… et comme tu ne répondais jamais, elle paniquait. Elle t'attendait fermement à l'appartement pour te secouer comme un prunier, criant pour que tu fasses attention, que tu ne la quittes pas, que tu vives pour ton frère et toi…
Et doucement, tu n'as plus été capable de résister face à ce comportement. Aidé de ton père, tu es parti vivre au pensionnat de Hoshikami et, bien que les messages de ta mère ne se sont pas stoppés, tes conditions de vie s'étaient améliorées, te permettant doucement de panser la plaie béante de ton cœur.
En deuxième année, après en avoir longuement parlé à ton père, celui-ci accepta de te payer le loyer d'un petit appartement suite à des explications poussées. Ainsi, il apprit ce que tu voulais bien lui dire ; que tu es insomniaque et que par crainte de déranger tes colocataires, vivre seul serait plus bénéfique. Ton père accepta, à condition que tu prennes en charge ton appartement une fois les études terminées, à ton plus grand plaisir.
Te voilà désormais en dernière année à Hoshikami. Tu n'as plus fêté ton anniversaire depuis la mort d'Ycare, ne parvenant pas à te faire à l'idée que ton corps continue de grandir sans sa moitié, que tu puisses fêter sans lui. Maintenant un jeune adulte hargneux, toujours aussi à fleur de peau, tu traînes derrière toi ce décès que tu ne parviens pas à avaler. Tu es constamment suivi par tes propres démons, par une boule de rancune et de tristesse accrochée à ton pieds, et tes rêves ne sont guère à l'abri de tes détracteurs.
Ton père continue de te surveiller de loin, ne sachant comment aider son fils, mais tu ne requières pas sa présence. Qu'il prenne plutôt soin de ta mère.
Toi, tu continues de vivre. Parce qu'il s'agit de ta mission.
Vivre pour deux.
Ycare et toi.