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 .Et dedans le cœur une pelote qui s'évide | Chōjirō.

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Havel Northowl
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MessageSujet: .Et dedans le cœur une pelote qui s'évide | Chōjirō.   .Et dedans le cœur une pelote qui s'évide | Chōjirō. EmptyMar 9 Fév - 22:07

Il avait d'abord cru que c'était son cœur. Là, au creux de son torse, à l'angle de ses côtes, le douzième parallèle en provenance du myocarde. Comme un déchirement. Mais très vite il avait dû se rendre à l'évidence ; ce n'était pas ni sa peau qui venait d'être lacérée par un souffle d'air, ni une veine sur le point de rompre, pas plus que le baiser volé au froid de l'aurore. Juste une histoire de vêtement usé et de force mal dosée, la bataille perdue d'avance entre deux phalanges et une fermeture Éclair – à la faveur des os humains. Havel baissa les yeux sur le champ de guerre, enfonçant son menton dans son cou pour mieux apercevoir la trouée sur la ligne ennemie, puis grogna avec une once de mélancolie devant la malencontreuse percée. Il avait fait un trou. Ou plutôt non, une tombe. Presque dix centimètres de dents en métal noir, ornées de leur curseur en forme de pelle, étaient restés accrochés entre son pouce et la pliure de son index alors qu'il remontait le tout d'un mouvement sec. Il ne s'attendait pas à ce que cela lui claque entre les doigts, pas maintenant du moins, et lâcha un soupir en guise de requiem. Bien entendu qu'il était vieux, ce sweat – il l'avait gardé depuis son arrivée ici, une relique presque, un rappel inconscient de son adolescence qu'il ne se souvenait plus avoir quittée – si bien que ce n'était guère une surprise de le savoir rongé jusqu'à la moelle. Mais tout de même. Havel y tenait, par nostalgie. Par stupidité, peut-être aussi.
S'il est cassé, tu n'as qu'à le jeter et en racheter un autre ! Le conseil d'Ibiki au moment de prendre la relève, pointant de l'ongle la blessure textile sur son sternum. Le garçon ne saisit pas la remarque, du moins préféra ne pas le faire ; il aurait balancé une phrase bizarre sur la valeur sentimentale des fringues élimées qu'il aurait sans doute attiré l'attention sur son passé malpropre, les raisons de cet attachement étrange, et malgré toute la gratitude que lui inspirait son patron ce n'était ni l'heure ni le moment de passer aux aveux. D'autant que la perspective de se frotter aux quidams des magasins ne l'enchantait que de moindre façon.

La solution avait pointé sa frimousse d'elle-même – il le réparerait tout seul. Certes, il n'avait jamais touché une aiguille de sa vie. Certes, il ne possédait ni fil ni technique de couture. Certes, certes, il n'était doué de ses mains que pour rouler ses cigarettes, déballer les cartons de KitKat goût matcha ou jouer à pile ou face avec la monnaie des clients. Mais les circonstances, cette fois-ci, imposaient qu'il se montrât plus habile que d'ordinaire ; s'il se révélait incapable de combler la douve, de refermer la plaie bleue qui condamnait sa gorge, il en ressentirait plus de honte encore que s'il avait était contraint de demander à quelqu'un d'autre de s'en occuper à sa place. Question d'orgueil. Question bête. Sitôt qu'il quitta le vestiaire de la supérette, plongeant dans l'aube timide des sept heures, Havel fila d'un pas leste, une curieuse vulnérabilité lovée au fond de son ventre. Était-ce le fait de porter un cratère au cœur, une béance qui donnait regard sur ses clavicules d'habitude réfugiées sous le vêtement ? Ou bien ce songe incongru selon lequel, là où il se rendait, ce n'était pas deux mais bien quatre yeux noirs qui le regarderaient – deux iris d'onyx et deux étoiles mortes serties sur la pommette, en dessous, quatre pierreries dépourvues d'éclat et cependant lumineuses. La vision lui arracha un frisson tandis qu'il marchait. Il profita d'un carrefour pour enflammer une barrette de tabac, telle une purification préalable pour ce qui l'attendait de l'autre côté du trottoir, ce vers quoi il s'acheminait avec une brusquerie toute réticente, celui envers qui il ne désirait rien devoir et qu'il jugeait pourtant être le seul à disposer de la connaissance nécessaire. Dans un frémissement brumeux, l'enseigne choisit cette seconde pour apparaître.
Il était tôt, encore. Les stores bâillaient à peine de la nuit évaporée, dont il subsistait toujours de larges flaques d'ombre étirées sous les arbres, les barrières, les feux et les immeubles, de longues géométries grises qui se confondaient les unes aux autres avec, pointant comme un orgue à l'horizon, le soleil à demi-assoupi qui répandait à l'aveugle ses premières lueurs. Tôt. Le fond de l'air froid. Son haleine, nuageuse, mêlée à la fumée de la cigarette. Havel s'assit sur l'unique marche devant la boutique, ses doigts pris dans une contemplation idiote de cette fermeture qui ne remplissait plus son rôle. Il essaya de répéter ce qu'il devrait dire pour se faire le moins empoté possible – et si Ibiki avait raison ? S'il était plus simple de le remplacer par un nouveau, neuf, solide, aux couleurs de sa nouvelle existence, de tirer un trait sur hier ? Havel se tassa davantage, ralluma un bâtonnet dès que le précédent fut achevé. Trop tard pour se désister.
Et toujours trop tôt pour s'humilier.
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MessageSujet: Re: .Et dedans le cœur une pelote qui s'évide | Chōjirō.   .Et dedans le cœur une pelote qui s'évide | Chōjirō. EmptyMer 10 Fév - 18:33

Il avait replongé encore une fois dans cet infini et habituel quotidien. Celui-là même qui n'aurait su prendre autre forme qu'un amphigouri teinté de vague réalité. Il l'avait encore affronté, Chōjirō, espoir en main et trouble dans la poitrine. Pourtant, il n'avait rien trouvé que son comptoir aux reflets non étranger, dans une autre vie sans doute avait-il pris un verre accoudé à ce même bois. Mais la fêlure subie était différente ici, aussi en oublia-t-il ses rêves passés. L'attendit alors le balancement discret de son antre, les quelques murmures au détour d'une étagère ou bien même d'un fil égaré dans une pelote qui n'était la sienne. Qu'aurait-il pu trouver ici sinon cette étrange fantasmagorie résonnant avec sa magie trébuchante ? Il n'y avait cependant rien à raccommoder, rien à changer si ce n'était lui, encore épris du craquement éraillé sous ses pas ou bien du spectre fugace d'un homme disparu au travail. Chōjirō balaya la si douce apparition d'un simple battement de cils, d'un simple battement de cœur avant de retourner à ses si maigres activités matinales. Il savait très bien que le commerce coulait doucement, tanguait encore et encore sous l'écumée dangereuse de la société et sans doute était-ce pour cela que sa belle sirène s'acharnait encore à attirer de quoi naviguer ses affaires. Cependant, jamais n'eut-il d'habitués, hier comme aujourd'hui. Le charme fanait bien plus vite que les ombres matinales à ses pieds et Chōjirō encore n'avait le temps de s'attacher à quoi que ce soit sinon ces quatre murs contenait sa belle morosité tout juste bonne à marier.

Puis, il l'avait aperçu, entre deux lamelles de store, entre deux maigres ombres pour cadrer le plan. Oui, là-bas, coincée derrière ses songes et les vitres de sa boutique, elle courait devant la façade. Et ce même nuage de fumée n'en était que fantomatique. Il avait pensé à l'homme, une, deux fois, avant de laisser courir les frissons sur son échine. Alors, il avait ouvert la voie à la lumière, alors il s'était occupé de laisser doucement sa vision s'élargir comme pour apercevoir ce qui n'était plus. Sur le bas de sa porte, la tranquillité avait installé son bras droit. Sur le bas de sa porte, on lui avait laissé un vague reflet, une entité venue lui rappeler sa nostalgie soudaine. Et il s'était empressé d'aller l'embrasser. La porte c'était donc ouverte sur ce qui n'aurait pu être l'homme attendu mais un simple étranger et Chōjirō avait laissé son souffle s'enfuir jusqu'au première volupté du matin. Ce qui avait été siens se perdit alors dans le léger gris embrumant l'air. Il n'y avait qu'ici qu'une chimère égarée dans la nuit, une de celle qui ne revenait jamais une fois leur chemin retrouvé. Une de ces mêmes personnes que le gérant n'aurait pu se lasser de voir déambuler dans l'endroit qui était à présent sien.Il se contenta de passer sa langue derrière ses dents avant de poser le poids de son squelette sur celui de la bâtisse noircie par le temps, tout comme lui c'était laissé happer par ses regrets étoilés. Il était un de ceux-là après tout. Il soupira une dernière fois en laissant vagabonder ses doigts dans les pliures de sa manche voisine. « Quelle idée de laisser s'envoler autant de temps. » grogna-t-il en posant ses yeux sur un dos bien plus sculpté que sa propre silhouette se détachant de la méchanceté de sa mercerie. Cependant, ces mêmes mots n'auraient rien signifié sans une explication et sans doute leur mort fut écrite dans ce même claquement de langue leur donnant vie. La seule chose qu'y gagne Chōjirō fut sans doute un bref instant d'attention ou encore une maigre certitude : celle-là lui rappelant pourtant que personne n'avait encore foulé le plancher de la boutique si ce n'était les siens et ceux de cette fumée incessante roulant autour de ses jambes pour s'enfiler dans les recoins du bric à brac. Le silence s'en fut avec elle.

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MessageSujet: Re: .Et dedans le cœur une pelote qui s'évide | Chōjirō.   .Et dedans le cœur une pelote qui s'évide | Chōjirō. EmptyVen 12 Fév - 10:56

Attendre. Dans le froid du petit jour, tout petit jour à travers ses cils translucides. Attendre pour la première fois devant cette échoppe qu'il avait croisée à mille occasions sans jamais la saluer, sans jamais prendre le temps de s'y arrêter malgré l'envie, malgré l'indéfinissable brillance qui attirait son œil blanc vers la devanture, des rivières de velours, des vallées de perles, de lourds ciseaux en guise de soldats et des livres, des brochures de patrons, des modèles surannés d'anciennes modes, lorsque les jeunes filles préféraient les travaux d'aiguille à la veillée au dernier film de Sion et à un gobelet de pop-corn. Sans doute que la boutique aurait dû disparaître. Sans doute que l'on n'y trouverait plus qu'un fantôme, errant parmi les collines de satin et les dentelles en prairies, près de rendre l'âme dès que la clochette de l'entrée retentirait. Un glas de polichinelle, et un costume taillé sur mesure dans le débarras du local. Mais non. Elle se dressait là toujours, imperméable au temps, invulnérable dans ses habits passés, à peine suffocante face aux commerces mitoyens bien que hantée par une créature d'ombre dont il avait aperçut, entre deux reflets de vitrine, la mélancolie du regard. Il se demandait ce qui l'avait conduit ici plutôt qu'ailleurs, plutôt que dans une de ces laveries polyvalentes où pour une centaine de yens il aurait fait recoudre son vêtement par une employée invisible, anonyme, sans autre personnalité que sa manière de balancer doucement ses hanches à chacun de ses pas. Cela aurait été plus simple. Moins perturbant. Il ne comprenait pas que cela fût perturbant.
Sa cigarette décédée entre ses phalanges, Havel n'en assassina pas une troisième en dépit de la patience. Il écouta le roulis métallique d'un office qui s'ouvre, les cliquetis singuliers dans son dos, sans se retourner, et l'espace qui d'un coup s'étrécit, diminue autour de lui et contamine le crépuscule de son ombre sans chaleur. Un instant il laissa fuir un nouveau sursaut d'aiguilles, donnant raison au gérant derrière lui – une raison qui lui arracha une mince contrariété, tant lui déplaisait le fait qu'on eût pu lui reprocher ce qu'il ne savait que trop bien. Mais il s'en foutait, lui, du temps. Il avait cessé de compter dès que sa semelle avait quitté le continent, dès qu'il offrit à son adolescence les adieux les plus brefs et les plus silencieux jamais envoyés, une sirène de bateau et il était parti, dissipées les vingt années de sa jeunesse, disparues dans le clapotis des eaux glacés du Pacifique nord, alors dieu qu'il n'en avait rien à faire, du temps. Cette histoire n'était pas merveilleuse, d'une affligeante banalité au contraire, et s'il le laissait s'enfuir de cette manière, pas même ému de gâcher ce qui ne revêtait aucune valeur à son œil, ce n'était que par ironie à l'égard de ses pertes précédentes. Oui, il avait gaspillé son temps là-bas, tellement de temps passé à ne rien faire qu'il pouvait bien continuer un chouïa ici, personne ne l'en blâmerait. Sauf, peut-être, cette silhouette adossée à la chambranle avec sa voix de feutrine et ses accents anthracite.
« Il m'en reste encore trop » lâcha-t-il en se redressant, par esprit de provocation plus que par réelle conviction. Il manqua d'ajouter si vous aviez ouvert plus tôt, il ne se serait pas envolé ainsi, mais il était tôt, terriblement tôt pour les existences délicates, alors il ravala cette mesquinerie précoce.

Debout, plus petit d'une marche, Havel ne prit pas la peine d'inspecter son vis-à-vis pour lui éviter à son tour d'avoir à le faire ; il comprenait bien que, comme tout le monde dès qu'on l'observait pour la première fois et même mille fois après, l'on s'arrêterait sur son iris blanchi, sa joue en mie de pain, en papier mâché, et cette demi-face dessinée avec les dents, avec ces rainures tracées aux incisives sur son épiderme. Non sans saluer furtivement le gérant, d'une fine inclinaison, il s'engouffra dans la boutique comme s'il essayait de le fuir, de disparaître à son regard au profit des étalages de tissus, des bocaux aux couvercles grisés de poussière, des bobines multicolores et des fascicules de patrons. La sensation de ne pas être à sa place l'envahit aussi vite qu'il en traversa l'espace – autant jeter une loutre dans une volière – alors il s'empressa de la noyer dans ses recherches ; feintant de flâner entre les rayonnages emmêlés, il guettait le fil bleu qui lui permettrait de recoudre sa glissière ainsi que son aiguille à marier. Pourtant, avant même de s'en rendre compte, il s'était abandonné au silence des lieux, à l'apaisant désordre de ses étagères, au froufrou immobile des textures. Les mains vides, il se contentait de les faire glisser sur les boucles, les liserés d'or et les perles, sans plus s'inquiéter de laisser s'envoler encore davantage de ce temps fugace dont il ne savait que faire.
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MessageSujet: Re: .Et dedans le cœur une pelote qui s'évide | Chōjirō.   .Et dedans le cœur une pelote qui s'évide | Chōjirō. EmptyDim 14 Fév - 21:05

L'aquilon s'était engouffré dans la bâtisse, frôlant ses belles ganses, lorgnant ses inestimables trésors pourtant si banals devant un mortel des temps moderne. Alors, il oublia bien vite le râle qui avait résonné à ses oreilles : il connaissait ce maux-là, l'allongement de ses jambes et de ses pas sans que jamais il ne puisse courir plus vite que celui qui le retenait prisonnier. Chōjirō n'avait jamais manqué de temps tout autant qu'il n'en avait jamais possédé : il était voué à dépendre de la réserve d'inconnu. Oui, il oublia bien vite puisqu'a ses yeux se déroulait un étrange spectacle : chimère était devenue aérolithe dans ce petit ciel en bouteille. Chōjirō n'aurait su coudre le motif fugace de cette demi-clarté parsemé de rudesse éphémère et il ne put se résoudre alors à observer l'être qui en fut la cause. Loin de son esprit, il plaça l'homme asphyxié par sa propre vie. Loin de son esprit, il plaça sa belle curiosité qui le poussait encore à rester là. Quelque chose c'était installé entre quatre murs le poussant à rendre ce chiffre huit clos. Il n'en fit rien.

Non, puisqu'il se contenta simplement de voguer entre poussière d'étoile et striée de fils d'infini pour rejoindre cette nouveauté. Faiblement ses mains restèrent en gravité, comme si l'affront même de toucher ses gavroches l'aurait pu faire gâcher une scène si paisible. L'idée était tout autre. « Qu'est-ce qui vous amène par ici ? » demanda-t-il en faisait sursauter boutons et perle dans un friselis inaudible. Il sursauta aussi à sa propre voix, à sa propre tournure de phrase intimiste ou encore trop sèche pour caresser la dernière lueur de sévices ne demandant qu'à naitre dans un claquement de mâchoire. La chose ne l'aurait dérangé si encore on avait donné l'espace pour que le froufroutement des brises s'évade sans un bruit. Cependant, le trouble resta en suspens dans ce fragment perpétuel et fini par s'ancrer dans le creux de ses pupilles. Il savait après tout : rien n'avait amène cet homme ici qu'une parcelle de quotidien brisée, un soupçon d'inattendu s'étant rebellée. Chōjirō en eu avant de se réveiller une nouvelle fois, yeux rivés sur l'astéroïde doucement se découpant au détour des lumières matutinales. Il rectifia : « Puis-je vous aider ? »

Le reste s'envola en fumée lorsqu'il glissa son regard sur ce qu'il n'aurait su réparer. Sans doute millier de regards s'était déposé là, ardent de découvrir les mystères de l'homme, ardent d'y voir mille pierres précieuses à polir. Lui, n'y voyait rien de plus qu'un ruban noué autour d'un cou délicat, d'une couture sur le bord du volant d'une demoiselle et il aimait à imaginer ce qu'était cette beauté au fond de sa boutique. Sans doute l'aurait-il déposé à son tour sur un rayon, le regardant changer au fils de la journée alors qu'aucun doigt ne serait venu le déranger. Il aurait fait sensation. Il ne pipa mot de ces idées sordides et déjà pourtant il s'en amusa, oubliant sa stupeur passée. Oui, déjà au creux de ses lèvres fleurit un bien être propagé par l'odeur bien connue de sa mercerie.

They watch me like i'm a threat to them
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MessageSujet: Re: .Et dedans le cœur une pelote qui s'évide | Chōjirō.   .Et dedans le cœur une pelote qui s'évide | Chōjirō. EmptyMer 17 Fév - 19:29

Il a les doigts volages, le toucher fugitif sur les surfaces doucereuses des bobines – à peine étonné de sentir sous la pulpe des phalanges une rugosité qui n'appartient pas au tissu. Parfois, un effluve de chintz frôle ses sinus, tantôt le pli poussiéreux d'une feutrine, tantôt les rondeurs d'un bouton de nacre, et ainsi transporté dans un monde inconnu, archaïque, loin des machines à coudre électroniques et des services après-vente de Kookaï, il dérive avec raideur, craignant de perdre ses objectifs au fin fond de son ignorance. Du coin de l'œil, Havel accroche le fantôme du mercier, cache-cache d'adultes qui ont oublié leur vieillesse, et se surprend à s'en échapper dès qu'il l'aperçoit, à l'instar d'une ombre indifférente ; il a vu ces deux crocs, ces deux astres défunts à l'orée de son iris, et ils flottent encore sur sa rétine tandis qu'il tente de les noyer derrière les étagères et la contemplation vide de son vêtement. Quel bleu, quelle nuance de ciel ou de nuit pour satisfaire son ouvrage ? Il est stupide de réfléchir à cela, il le sait, personne n'en saura rien non plus, mais il a le souci du détail et une affection toute démesurée pour cette seconde peau venue du froid. Et à découvrir ces chalandises par milliers, à errer entre les couloirs mal aérés de la boutique, il en viendrait presque à se sentir couturier, des lubies de tisserand dans les os. Sauf qu'il n'en est rien. Sauf qu'il se retourne vers cette voix déchirée autant que déchirante, la réponse en miettes qui crisse sous ses dents.
Rien ne l'amène ici. Rien n'aurait dû. C'est le hasard, dont on dit qu'il aime jouer ; c'est un éclat de violence, des années d'usure, un vase débordant d'alcool et la tapisserie écornée d'une chambre d'hôtel. Ce sont les respirations des hommes du Nord, trop lourdes la jeunesse déjà passée, l'appel du large et de l'étroitesse des jours de l'autre côté de l'océan, plus courts qu'une rognure d'ongle. C'est l'envie de fuir son pays et l'amour textile de sa patrie. Une maudite convergence de détresse et d'espoir. Tellement peu. D'un geste prudent, Havel se saisit de la fermeture inutile, de la traîtrise faite morsure plastique, l'inspecte de nouveau comme si elle est aurait pu se réparer durant les dernières secondes mais non, elle pendouille toujours entre le pouce et l'index, et le garçon relève la tête en direction du commerçant. Les deux étoiles noires, toujours. « Hum... Il me faudrait du fil. Solide. Le zip s'est décousu. » Il n'est pas certain des termes – fermeture à glissière n'est guère la première expression qu'il ait pensé à apprendre en débarquant ici. Au pire, le mouvement aidera à se faire comprendre.

Un instant de plus, il hésite. Sa lippe disparaît, étrécie par un pincement maladroit. Ses incisives s'empressent alors de griffer le malaise, en blanchissent l'ourlet, et Havel jette son regard sur la muraille d'objets qui lui pend au nez. Il n'y arrivera pas tout seul. C'est évident. Il a besoin de cette aide qu'on lui propose, de cette béquille invisible pour le guider dans ce moelleux désordre, mais il ne veut pas devenir cet étranger perdu, être catalogué inapte par un anonyme aux yeux de puits nocturne. Ne pas montrer ses failles. Dissimuler ses faiblesses. Se faire maître de la situation, initier l'action, refuser le passif. Présente-lui. Que crains-tu, sinon ces mornes pulsars qui te dévisagent ? Alors il ôte sa veste, retire le motif de sa venue pour en exhiber la plaie à la sombre créature ; voici la blessure, la déchirure fatale, docteur, aidez-le à revivre ! L'ancien fil est rompu, il retombe sans force sur le côté, entraînant avec lui une bande d'aspect plus sombre. Un bras passé sous le coton, l'autre dessus pour en pointer l'accroc, Havel sent déjà la tiédeur du vêtement s'évanouir le long de son sous-pull. « Est-ce que vous auriez une couleur identique ? Pour que l'on ne voie pas la différence. » Pour que l'on ne voie pas ma différence. Or, pour cela il faudra plus qu'une longueur de fil.
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MessageSujet: Re: .Et dedans le cœur une pelote qui s'évide | Chōjirō.   .Et dedans le cœur une pelote qui s'évide | Chōjirō. EmptySam 20 Fév - 17:49

S'il savait. Chōjirō n'avait jamais eu besoin d'identique, de ressemblant ou de conforme. Les crocs furent alors montré, déguisé en un vaporeux sourire ou tout ce qui aurait pu ressembler à la coupure d'une nuit éteinte d'un souffle meurtri. Son regard passa de lésion à une autre. « Quelle importance… » Mieux fallait la laisser voir puisqu'elle ne saurait partir. Même ses doigts habitués à la tâche n'auraient su faire disparaitre le maigre souvenir d'un bout de chair pris entre deux fils. Il approcha ses mains de l'accroc avant d'en saisir adroitement les contours, ignorant le soulèvement bénin d'une peau étrangère sous ses annulaires. La noirceur finie par envelopper l'être nivéen d'une attention volée. Il n'y a rien à penser, rien à juger et cet écart de sens ne saurait que plaire à celui qui ne saurait s'attacher à un sens. Doucement la prise finie par être relâchée, libérée de ce qui aurait pu être une vive inspection mais qui n'en resta qu'à une obligeance désintéressée. Déjà, Chōjirō sait qu'il ne reviendra plus ici, il a déjà choisi. Alors, comme un soupir, un bref relâchement il glisse : « Vous n'avez qu'à prendre une bobine qui vous plait, je ferais le reste. » La magie opèrera d'elle-même l'être blessé. La magie laissera scintiller quelques instants le nacre contenu dans le bout de ses ongles.

Et on ne remarquera plus rien. Sinon l'absence d'un accident passé, l'absence d'un raccommodage ou encore l'absence d'une boutique dans le coin d'une rue oubliée. Cependant, il était déjà défunt, déjà victime d'une chute sans déchirure. Chōjirō s'y accordait à merveille, ombre derrière un comptoir, derrière des vitres qui n'auraient laissé paraître que quelques patrons vieillissent par les années passantes ou encore par son quotidien sans fin. Alors d'un geste sublimé par ses fantômes, il coupa un céruléen avant de le laisser pendre à sa portée. La couleur lui déplut. Elle lui déplut et aussitôt la laissa-t-il disparaitre dans son poing. « Cela ne devrait prendre qu'une seconde… » Murmura-t-il, ennuyé par son choix. Murmura-t-il tout en délaissant l'homme derrière un rayon. Il devait trouver mieux. Il devait trouver un soupçon d'éclat assortit à ce qu'on lui avait permis de voir. Chōjirō n'avait rien vu pourtant, seulement écouté attentivement ce qui n'était que banalité, douce banalité qui résonnait à ses oreilles comme un carillon en début d'été. Malheureusement rien ne trouva ses doigts, rien ne trouva ses yeux, rien ne trouva son amour ébréché. Aussi, se retourna-t-il dans la noirceur d'une étagère. « Prenez quelque chose qui compensera… »
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MessageSujet: Re: .Et dedans le cœur une pelote qui s'évide | Chōjirō.   .Et dedans le cœur une pelote qui s'évide | Chōjirō. EmptyJeu 25 Fév - 9:46

La litanie organique d'une horloge sur le point de rompre n'aurait pas fait mieux que ces paroles-là, que ce geste languide que son acteur semblait avoir oublié avant même de l'exécuter. Un instant, alors que l'Ombre s'apprêtait à saisir le tissu qu'Havel tendait ainsi qu'une offrande dénuée de divin, ce dernier crut qu'il allait la lui retirer ; qu'à l'ultime fraction de seconde il ferait volte-face, fuyant cette boutique couronnée de poussière, abandonnant à son temps immobile la créature de nuit qui venait d'y faire entrer la lumière. Un sentiment, infime et désagréable, affleura sur sa nuque, mélange de feu et d'atrabile, une chaleur froide qui lui rappela sa contrée natale. Quelle importance. Pas étonnant que personne ne franchisse le seuil de cette boutique, songe-t-il, amer sans vraiment l'être, conscient que les aspirations humaines ne sont que des boucles infinies où s'entrelacent les mêmes envies, des désirs identiques, partout, reconnaissance et affection, rien de plus, et ce garçon charbonneux sous son regard ne présente aucune de ces dispositions. On le croirait mort du dedans, une pelote du néant, impropre à toute relation – et Havel qui l'observe saisir un ruban, qui contemple son paradoxe jusqu'à ce qu'il disparaisse derrière une rangée de ficelles, souhaiterait qu'il se perde encore et toujours. Qu'il demeure seul ici, un prince d'agonie, afin que jamais quelqu'un d'autre n'ose bafouer la sérénité du lieu, afin que jamais le silence n'y soit cisaillé par quelque demande de client trop pressé. Il veut son attention.
Son bête, fragile et éphémère souci.
Qu'importe les raisons. Voilà plus de quatre années, quatre révolutions solaires qu'il n'a pas eu l'occasion de croiser pareille planète dans le ciel astral. Des retrouvailles vides de mémoire, privées de souvenir. Alors, en apesanteur au milieu des biais et des galons, des dentelles accrochées à son giron, il se remet en quête du fil, de l'eau textile qui lui fera rendosser son pull et quitter la boutique, la compensation pour sa future absence – curieuse manière d'aiguiller l'usager.

« Je voudrais le faire moi-même », finit-il par lancer entre les étagères, comme si sa voix trouverait d'elle-même le crâne où s'enfoncer, dusse-t-elle traverser l'océan. En vitesse il enfile le vêtement, tire un chouïa sur l'encolure, grimace en entendant se prolonger l'écorchure et, plus attentif aux variations de couleur qu'à l'accoutumée, s'abîme de nouveau dans sa recherche. L'œil penché sur la numérotation des nuances – charabia de teinturier –, il énumère, mutique, tous les bleus du monde : azur azurin cobalt fumée acier minuit de Prusse et de Navarre, paon Klein ou Majorelle, outremer roi dragée guède et canard, des mers du sud ou céleste, charrette, cyan et pétrole, bleu de travail et bleusaille, givré, nivéal, bleu de glace, bleu d'hiver. La Terre est bleue comme une orange. Son soupir revêt le goût d'un sourire. Son bras se redresse, ses doigts se tendent, agrippent un fil. Turquin, indique l'étiquette, amicale. Une rapide comparaison et Havel s'éclipse, s'en va chercher plus loin la petite silhouette ténébreuse pour lui superposer sa requête, la récupère au coin d'un meuble. Deux trous sous les cils. « J'ai trouvé. Je crois. » Il commence à en avoir marre de ces jeux égoïstes, de ces je qui ne parviennent pas à dérouler l'existence de cette âme noire de suie. Mais les questions n'éclosent pas, et déjà le dehors le réclame une nouvelle fois.
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