We're getting 20% cooler || ft. Satoshi

Johannes commençait à s'adapter plutôt bien à la vie à Hoshikami. Pas que le Japon soit plus bizarre que le reste du monde à ses yeux, de toute manière ; il avait abandonné depuis longtemps l'idée absurde de comprendre les humains un jour. Les humains, et surtout, leurs machines à laver. Ou même les animaux. Il avait déjà tenté d'avoir une conversation sur la physique quantique avec Apocalypse Now, son lapin blanc ; autant dire que le débat n'avait pas été très animé. Alors il avait laissé le p'tit lapin à la maison (mais non pas dans le frigo, ne soyez pas cyniques), pour se balader un peu dans le centre-ville. Il espérait pouvoir trouver un petit boulot pour survivre, un de ces jours, aussi il balayait les lieux du regard dans l'espoir de trouver un signe, une idée de ce qu'il pourrait faire, une petite annonce ou un bruit qui court. Quelque chose pour empêcher son colocataire de le mettre à la porte. Hélas, il n'avait encore rien trouvé. Le destin s'acharnait sur lui.

"Ah, Miss Fortune, pourquoi tant de cruauté…"

Chance, Karma, ils lui en voulaient tous depuis que ces abrutis avaient décidé de le déloger de son céleste perchoir. Et il accumulait les gaffes désormais, sans comprendre le monde qui l'entourait. Une des choses les plus incompréhensibles ? La mode, ça se voyait à son style vestimentaire d'ailleurs. En effet, quoique relativement mignon, dans le sens "enfant adorable qui n'avait pas grandi", il n'avait rien d'une gravure de mode. Des cheveux en bataille coupés au bol, un bandeau sur son oeil manquant – même pas customisé en plus ! – des fringues douteuses, et une taille peu respectable... Voilà Nessie, le monstre non pas du Loch Ness, mais du mauvais goût. Et pourtant. Et pourtant le Karma décidait parfois de jouer de son humour cruel en riant de Johannes, et d'être une engeance de catin de luxe.

Ce que je veux dire par là ? Ohoh, vous êtes bien curieux. Mais revenons à Johannes, voulez-vous ? La jeune Etoile était partie se balader dans le centre-ville, donc, comme à son habitude. Il flânait devant les boutiques ornées de kanjis, vendant de tout, des bibelots étranges aux simples magasins d'alimentation. Il fut tenté à l'idée de prendre un petit repas rapide à emporter, mais se ravisa ; il n'avait pas un yen en poche. Le blanc soupira, son ventre criant famine. Mais il attendrait... Attendre quoi ? Il ne savait pas lui-même. Peut-être de crever de faim ou d'apprendre une danse qui faisait pleuvoir l'argent du ciel. Ou bien de constater qu'il... s'était retrouvé au beau milieu d'un petit rassemblement. Devant le magasin d'une célèbre marque de luxe, une petite estrade avait été installée. Ici, deux vigiles postés discrètement de part et d'autre de ce piédestal entouraient une jeune présentatrice à la chevelure rousse. Habillée de manière classe aux couleurs de la marque, elle portait un micro, annonçant qu'elle... qu'elle quoi ?!

"Aujourd'hui, la marque Coffee & Despair lance une grande opération qui vous concerne tous ! Vous aurez aujourd'hui l'occasion de défiler comme les plus grands des mannequins. Car nous savons qu'il y a une star qui sommeille en vous ! Vous aurez, en outre, l'occasion de garder les vêtements qu'on vous fera essayer, et de côtoyer de jeunes mannequins sélectionnés par nos soins qui vous apprendront un peu leur métier ! Alors, qui seront les heureux élus... Ah ! Vous ! Venez donc par là, mademoiselle ! Avec le bandeau sur l'oeil, oui !"

Johannes écarquilla les yeux en voyant la demoiselle le pointer de son doigt finement manucuré, si bien qu'il en perdit la parole. Il la fixa longuement la rouquine sans parvenir à prononcer un mot, ce qui l'aurait peut-être aidé à clarifier le problème de son genre, puisqu'il avait une voix bien plus virile que son visage. Le jeune homme, sans un mot et après quelques secondes de gêne et de stress intense (même que son kokoro faisait dokidoki), avança, grimpant sur l'estrade aux côtés de la jeune femme. Celle-ci, le présentant au public, lui intima d'entrer dans le magasin, qui comportait des cabines d'essayage qui lui permettraient de changer. Le staff l'aiderait et un mannequin l'assisterait dans le défilé. Il hocha lentement la tête, comme un idiot, avant de suivre ses instructions, toujours muet. Dans quel bordel s'était-il encore fourré ?!

Ce ne fut qu'une fois dans le magasin qu'il aborda la première personne qu'il vit. Quelqu'un avec de longs cheveux roses – qui avait l'air suffisamment gentil pour qu'il ne s'attende pas à se faire bouffer tout cru par lui.

"Eeeuh... Bonjour, je dois défiler pour l'opération machin et... et et je ne sais pas quoi faire je suis un peu paniqué ?"

Il ne mentait pas et sa panique était assez... comment dire. Visible, de toute manière.

"Et donc je dois trouver un mannequin avec qui défiler... ? Et m'habiller mais je sais pas avec quoi ?"

Ok, la personne en face de lui semblait aussi nerveuse que lui, c'était magique, il était vraiment une belle victime de Miss Fortune. Donc, comme la présentatrice l'avait dit, il allait devoir défiler... défiler ? Ca voulait dire quoi en fait ? Et qu'est-ce que c'était Coffee & Despair ? Il comprenait rieeeeeen, mais alors rien du tout... Donc. Résumons mentalement tout ça. Evitons de faire des équations au passage (faire des équations étant une habitude calmante lorsque Hannes était perdu ou stressé) et réfléchissons. Il allait porter une tenue devant plein de gens pour inaugurer la boutique, là. Et il allait "défiler" avec cette personne en face de lui, qu'il ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam, mais qu'il devrait côtoyer quand même. Et en plus les deux étaient aussi flippés l'un que l'autre. Oh, quelle merveilleux coup de bol. En toute ironie bien entendu.

Et ainsi, le gagnant pourrait repartir avec la tenue la plus appréciée... d'accord, ça faisait un peu concours aussi. Ce qui stressait encore plus Nessie pour le coup. Ses mains commençaient à trembler, son coeur battait la chamade, et il était complètement perdu. Son esprit devenait nébuleux, les émotions explosaient encore en lui, mais il devait se calmer, absolument se calmer. Calculer l'équation de cette fonction et celle à second degré qu'il avait vu dans un livre d'écoliers et peut-être celle-ci aussi, oui, faisons des équations, calmons-nous... suite à quelques rapides calculs – il avait des facultés en maths assez impressionnantes, que l'entrainement aidait beaucoup – il parvint à se stabiliser légèrement, parvenant à écouter enfin les paroles de son interlocuteur. Une femme ? Lui aussi le prenait pour une femme ? Pourtant il n'était pas SI androgyne... moins que la personne à laquelle il parlait en tout cas, hein. Mais celle-ci lui assura qu'ils trouveraient un moyen de s'en sortir et de lui trouver une magnifique tenue. Dans sa naïveté légendaire, Johannes hocha lentement la tête, esquissant un petit sourire. De l'attention du public, ça le paniquait un peu mais dans un sens, ça lui faisait assez plaisir.

"Mais du coup je vais devoir porter une robe ou un truc comme ça ? Enfin ça me dérange pas mais les gens vont trouver ça bizarre, non ? Quoiqu'on m'a bien pris pour une fille... Enfin je veux pas vous embêter avec ça hein, je me pose juste des questions et je suis pas mal confus à propos de ça ?"

Ses paroles, prononcées à un débit ultrarapide, étaient hachées et incohérentes, mais au moins le message était clair ; il était complètement, définitivement paumé. Et son interlocuteur aussi, si il s'en fiait à son ton, et c'était communicatif le pire, c'est qu'ils se stressaient l'un l'autre, c'était terrible et ils allaient faire un mauvais duo. Même si, assez paradoxalement, Hannes était heureux de rencontrer quelqu'un de pas très sociable comme lui, quelqu'un de trop extraverti l'aurait bien plus embarrassé au final. Bref, Johannes était très contradictoire.

"Euh, du coup, je devrais me changer... où je vais... ?" demanda-t-il.

Oui, parce qu'il faudrait peut-être commencer par ça si ils voulaient avancer un minimum.

"Et puis, euh... Vous êtes qui ? Je m'appelle Johannes. Nes Svensen. Enfin Nes c'est la façon dont on m'appelle. Enfin bref vous avez compris le concept."

Ok, donc son interlocutrice était, apparemment, complètement perdue aussi. Cependant, après un court moment d’hésitation, elle sembla en mesure de lui montrer où se trouvaient les cabines, qu’elle pointa du doigt… et au grand dam de Johannes, un véritable parcours d’obstacle aux airs de décor de film d’horreur se présenta à lui. Des étendoirs. Des vêtements par centaines. Plein de trucs sur lesquels il se voyait déjà trébucher pour satisfaire les désirs sadiques de Miss Fortune (ou d’un quelconque auteur dissident). Des choses qui lui vaudraient d’être la risée du public si il les choisissait – parce que si il était intimement convaincu d’être une fashionista, la plupart des gens jugeaient ses goûts extrêmement douteux depuis qu’il s’était baladé en kigurimi de lapin blanc dans la rue. Il n’allait quand même pas tout choisir lui-même… si ?

A cet instant, le mannequin le salua à la japonaise, se présentant au passage sous le nom de Satoshi Morishita. C’était pas un nom masculin ? Bah, peu importe. Quand on avait le même surnom que le monstre du Loch Ness et que personne n’était incapable de prononcer Johannes on ne se la ramenait pas. Il imita maladroitement son salut, avant qu’elle n’enchaîne sur le plan à suivre pour le défilé. Hannes haussa un sourcil en la voyant si vive. Elle qui avait l’air embarrassée, elle semblait soudain passionnée… en tout cas, c’était communicatif – le genre d’attitude qui lui arrachait toujours un léger sourire, minuscule mais horriblement visible quand on était habitué à son air impassible habituel.

« Un concept... »

Il n’avait honnêtement aucune idée de quoi faire. Elle était mannequin, non ? Or lui… c’était loin d’être le cas. Il n’avait aucun goût et, même si il ne l’admettrait pas, il le savait très bien. Une peur terrible d’être pris au ridicule le saisit. Mais… il se dit que cette personne avait l’air à peu près sympathique. Peut-être qu’il pourrait… Peut-être qu’il pourrait dire quelque chose, n’importe quoi, même si ce n’était pas constructif, ne serait-ce pour ne pas passer pour un idiot. Le jeune homme aux cheveux blancs prit une grande inspiration et déclara alors, un sourire idiot aux lèvres :

« Pourquoi ne pas marquer le coup en m’habillant en mariée ? Je veux dire, les gens me prennent pour une femme, autant jouer avec ça jusqu’au bout. Et on m’a toujours dit que le blanc m’allait à merveille… je suis sûr que je serai ravissante dans une telle tenue.  Et ce sera impressionnant. »

Il plaisantait à moitié… ou bien était-il sérieux ? Lui-même ne le savait pas, mais le rouge lui monta instantanément aux joues, ce qu’il masqua avec peine en ramenant les manches trop longues de son sweat sur son visage. Qu’est-ce qu’il avait encore dit ? Evidemment que les gens se moquaient de lui si il agissait comme ça ! Mais il voulait dire quelque chose de léger… peut-être que rester silencieux aurait été pire. Peut-être ?

« D-désolé ! »