L'étoile noire [Tala]

L'étoile noire.

"Autre part, quelqu'un se drogue, mais toi tu sombres dans les ténèbres de la nuit."

— C’est quoi ce bordel.

Cette sensation le dépravait plus qu’elle ne l’améliorait, il sentait ses membres se raidir et se ramollir chaque seconde, sa structure n’était plus qu’un mécanisme rouillé qui vacillait entre un extrême et l’autre. Rien n’obéissait, tout lui semblait si inconfortable et improbable. Killian gémissait de douleur dès que son pied touchait le sol, il riait de plus belle ensuite pour se donner raison et finissait en se giflant gentiment. Il le savait pertinemment, il le sentait comme une évidence : il ne ressemblait plus à rien, il pouvait s’effondrer à chaque seconde qui passait. Tout n’était qu’éphémère, néanmoins l’homme à la chevelure blonde dépravée semblait pouvoir se tenir debout autant longtemps qu’il vivrait. Tant qu’il respirait et crachait d’un dégoût certain cette impression âpre dans sa cavité buccale.

— C’est dégueulasse, et dire que ça coûte cinq milles yens la bouteille. Ils se foutent de ma gueule ces connards, il examinait la bouteille en la tenant au plus proche de ses yeux, léchant le verre du bout de sa langue pour recracher ensuite l’infâme saveur. Ils m’en reparleront quand ils seront morts !

D’un coup franc, le récipient s’explosa contre une poubelle municipale rangée proprement sur le bas-côté. Les éclats scintillaient de mille feux sur le goudron de jais dans la nuit noire, éblouissant les iris de l’imposteur. Le jeune homme commençait à faire sortir sa nervosité d’entre ses lèvres blêmes, ses pupilles dorés se transformaient en un jaune monstrueux aux rayons de l’astre nocturne, des crocs figuraient presque sur son visage d’ange démoniaque et alors on croyait voir en lui une créature venue de l’au-delà. Ses mains s’ensanglantaient lorsqu’il se pencha pour ramasser précieusement, bout à bout, la bouteille d’alcool qu’il venait de détruire. Chaque morceau récupéré lui rendait le sourire, il les rangeait dans sa poche consciencieusement, avec une précision redoutable pour que tout s’assemble correctement. Pour que tout lui revienne.

D’habitude, le bar fermait ses portes quand les deux aiguilles se superposaient sur le chiffre parfait. Killian ne souhaitant pas voir son établissement devenir un vrai foutoir, il mettait tout le monde à la porte et ensuite s’émerveillait du calme absolu qui régnait sur sa pièce. Mais ce soir-là tout fut différent : de nouveaux types s’étaient incrustés et avaient forcé, ou du moins tenté, le jeune homme à boire dans ses bouteilles. Une de whisky qui partit un peu vite dans l’estomac du jeune homme, puis de la vodka et l’une après l’autre, elles disparaissaient de l’étagère pour se nicher dans la corbeille. Triste réalité, il avait le rire facile et les néons livides clignotaient à rendre aveugle quiconque s’en emparait de ses yeux. Ce soir-là, oui, tout dérapa au point où les portes ne se fermèrent que deux heures plus tard, quand la police intervint pour mettre fin au vacarme.

C’était sûrement l’explication la plus raisonnable pour expliquer son errance dans les rues mortes et nues du quartier de Yanari. Il s’était hasardé par ici dans l’espoir de trouver refuge, ayant un peu de sa tête mais jamais assez pour réussir à se rappeler de son trajet quotidien, impossible de mettre la main sur son appartement, sur son colocataire ou qui que ce soit. Il était tard, les allées étaient noires et les passants des fantômes. Il hurlait de temps à autre pour attirer l’attention mais seul le vent lui répondait dans sa crinière blonde et intrépide. Soudain, une faible ombre apparut devant lui, ses yeux devinrent vif et son corps se recourba sur la petite chose qu’il embrassa de son son être. Un chat blanc, apeuré et se débattant avec force des membres de Killian. Pourtant, il y trouvait en cette petite bête un réconfort impressionnant, les griffes et les coups n’y faisaient rien : il ne le lâcherait pas.

Les drames de l’alcool. Ils touchaient toutes les existences pitoyables de cette Terre : ceux qui ne faisaient que boire, ceux qui voulaient oublier et ceux qui fêtaient dignement leur mariage avant de sombrer dans l’oubli. Jamais il n’avait connu ça avant, il regrettait quelque peu ses agissements mais se disait qu’il pouvait enfin voir cela comme une marque d’intégration totale dans ce monde qui l’avait chaleureusement accueillit, en lui accordant la décapitation d’un enfant innocent et sa vie paisible. Il ne s’était jamais considéré comme un bad-boy ou un être malfaisant, loin de là, il se voyait plus comme un gentleman incompris, un redoutable adversaire et un homme de charme sans pareille. Pourtant, il se sentait mourir, lâchant l’animal blanc de ses mains. Ses mains se regroupaient comme pour prier une bonne étoile, il voulait y croire car ici, c’était coutume que de croire en un être supérieur, mais il ne pouvait pas. Il était lui-même sa bonne étoile. Il ne pouvait croire qu’en ses semblables, qu’il reniait au plus profond de lui. Il ne pouvait croire en personne.

Finalement, il se posa contre un muret simple, un de ceux qui soutenait toute une prison de fer autour d’une demeure, et prit un petit morceau de papier. Comme toujours, le jeune homme gardait dans sa poche intérieur un petit crayon ainsi que de nombreuses miettes de papiers journal pour y noter des informations, donner des coordonnées. Jouer avec les gens. Un sourire malicieux s’illumina sur ses lippes et il crayonna pendant deux bonnes minutes, oubliant l’alcool, son sang dépravé et l’environnement oppressant. La lune se moquait bien de lui, qui dessinait un frêle bonhomme ornée de cheveux en bataille suivi d’une femmelette dont le visage lui rappelait familièrement quelqu’un. Il s’arrêta brusquement. Il eu le réflexe, un peu stupide, de relever la tête pour admirer la petite plaque au portail, ce genre de plaque pour informer de la présence d’un Monsieur-je-sais-tout ou Madame-profiteuse dans la chaumière de l’autre côté. Tala Csifdjlnfaje. Oui, évidemment. Cette femme impétueuse et intrigante, celle qui en savait plus que ce qu’elle ne devait. Encore une fois, ses joues accueillirent son sourire impénétrable et la nuit lui semblait plus commode.

Sous ses doigts glissait le métal froid, sous ses pieds le début de l’allée en céramique et au loin, ses yeux ne faisaient que guetter la porte. Le blond tirait sur les barreaux, secouant l’édifice en acier de tout son corps et tentant de faire céder la porte. Jamais il n’aurait penser à trouver une sonnette, chose qu’il ne connaissait pas, inconscient et innocent qu’il était. Le bruit n’effrayait que le chat errant, il n’y avait que lui pour entendre son corps gesticuler et cela l’ennuyait. Il poussa un soupir avant de reprendre sa posture rectiligne et arrogante.

— Hé ! Je sais que t’es là ! Fais pas l’innocente avec moi ça ne passera pas, il criait de plus en plus sous le clair de lune, s’énervant d’autant plus sur le portique. HE ! TALA… POISSE. OUVRE CE FOUTU PORTAIL OU JE PASSERAI A TRAVERS ET JE TE … Je te… Je te ferai payer ton ignorance. Pour le coup t'auras vraiment la poisse.

Les ténèbres le rattrapaient, mais la lumière l'appelait.