Danse dans le vent [pv Melody Harmon]

Le premier jour d'école. Il y avait un mois de cela, Melody avait fait une marque sur son calendrier, comme à l'habitude pour se préparer au dernier grand chamboulement de son déménagement. Un cadre rouge sur celui, noir, du liseur de Temps, signe de responsabilité envers une tâche, un événement. Le faible vibreur de sa montre avait suffit pour la réveiller. Presque en sursaut.

Après un petit déjeuner à base de nutella, elle salua son père adoptif, pris ses dernières affaires, son dernier bagage à déposer dans sa nouvelle chambre et parti. Aussitôt, l'adolescente se mis à rêvasser, regardant ses pieds en se dirigeant machinalement vers l'arrêt de bus. Trajet qu'elle avait mémorisé exactement quinze fois. Perdue dans sa bulle, elle heurta quelque chose. Frissonna, d'effroi, presque de dégoût, et fixa de ses grands yeux azurs le jeune, d'à peu près son âge juste devant elle. Sous le choc.

Ce fut lui qui s'excusa, alors que Melody serrait les dents, sentant encore son contact sur sa peau.

Elle s'assit par terre, à même le sol, sans regarder personne, se mettant à compter les cailloux sur le bitume autour de ses pieds. Le rythme des chiffres l’apaisèrent et elle oublia rapidement l'accident.

En entendant le bus arriver, à plusieurs kilomètres de là, elle glissa la main dans son sac et s'empara de son casque insonore, instinctivement, avant de le planter sur sa tête, vérifiant que ses oreilles étaient bien cachées. Soupir d'aisance. Comme d'habitude, elle ne remarquait même pas que les trois étudiants près d'elle la regardait sans ciller. Des regards intrigués, scrutateurs. Qui auraient mis son père en colère.

Le transport arriva. Elle resta assise. Attendit qu'il soit complètement arrêté pour se lever, se rendre jusqu'à la fin de la file et monter.

Malgré sa coquille, la jeune fille captait vaguement le brouhaha. Elle chercha à nouveau dans son sac, sorti un vieux carnet défraîchi, aux pages noircies et en trouva une encore vide. S'armant d'un simple crayon à papier, elle se mis à gribouiller. Des écailles, des grandes ailes... Concentrée, perdue dans son travail, elle n'entendit plus les bruits de fond, qui devinrent presque imperceptibles. Son père avait été surpris, la première fois qu'il l'avait vue dessiner un dragon en commençant par les écailles. De la même façon qu'elle observait, au final. Les détails avant l'ensemble.

Le trajet lui paru rapide et ce n'est que lorsqu'elle sentit le regard pesant du chauffeur sur elle qu'elle réalisa qu'il l'avait menée à destination. Elle s'excusa rapidement, cette fois, et quitta son siège en prenant son sac.

L'endroit grouillait de gens. L'adolescente remarqua un sac noir, une paire de chaussures rouges, des dents étrangement blanches. Tous les détails s'emmêlèrent dans son esprit et elle commença à ressentir une légère tension. Trop de stimulus. Instinctivement, son regard se glissa jusqu'à ses pieds, observant ses propres mouvements, réguliers, apaisants.

Puis, elle heurta quelqu'un. Pour la deuxième fois en moins d'une heure. L'angoisse s'intensifia, un peu. Elle chercha à quitter rapidement la foule, laissant tomber sa coquille, la rattrapant juste avant de ne la perdre.

Alors que tout s'éclaircissait, que les bruits se calmaient, un cri. Celui de trop.

Instantanément, les larmes lui montèrent aux yeux, menaçantes. Elle toucha ceux-ci, sans comprendre ce qu'elle ressentait et paniqua. Heureusement, la demoiselle eu comme dernier réflexe de remettre son casque sur ses oreilles, pour se redonner un minimum de contenance et s'approcha de la première personne qu'elle voyait. Des mèches bleues dans les cheveux d'une silhouette lui tournant le dos. Elle s'approcha, en évitant consciencieusement de trop le faire cependant, pour éviter de se faire toucher lorsque l'inconnue se retournerait.

▬ Aide-moi.

Les reproches de son père fusèrent dans son esprit. Toujours utiliser les formules de politesse, même si elles te semblent bizarre.

▬ Mh. Aide-moi.. S'il te-plaît.

Elle avait l'air gentille. Moins intimidante, moins imposante que toutes les autres silhouettes, qui bougeaient, émettaient chacune leur vacarme et semblaient ne pas se rendre compte de leur propre tumulte. Ou le considérer comme normal. Melody eu peur. Melody espéra. Que ce n'était que passager. Que cette école ne serait pas qu'une foule de stimulations perpétuelles, qu'un éveil épuisant de tous ses sens.

Concentration. Ne pas fuir. Ne pas oublier la réalité. Pas maintenant qu'il y a Quelqu'un.

L'étoile cligna des yeux légèrement en voyant sa main s'approcher de son visage, légèrement craintive, anticipant un contact... qui ne vint pas. Elle ouvrit les yeux. La jeune fille aux yeux d'azurs lui montrait une autre voie, à l'écart. Et la blonde soupira. Déjà un début de soulagement. Un peu plus de calme, un peu moins d'agitation. Melody la suivit, se faisant toute petite, ramenant ses bras contre sa poitrine pour éviter d'effleurer les passants. L'un d'eux avait d'ailleurs bousculé son interlocutrice et l'adolescente, elle, avait remarqué son regard brillant et ses grands souliers. Elle n'arrivait pas à déchiffrer son expression, comme avec la plupart des gens. Ne savait pas si c'était un maladroit ou un rieur.

Une fois éloignée du groupe de nouveaux élèves, Melody observa autour d'elle, cherchant un endroit où s'asseoir, sur le sol. Puis, se tourna vers sa nouvelle connaissance et décida de rester debout pour lui parler plus facilement. Se rappelant les apprentissages avec son père.

Sa sauveuse lui demanda comment elle allait, pourquoi elle avait besoin de son aide. Aussitôt, Melody se perdit légèrement, chercha en elle, s'analysa pour tenter de comprendre comment elle-même se sentait. Elle arriva cependant à la conclusion que la crise s'était atténuée. Et qu'elle allait bien, du même coup.

▬ Oui, ça va.

Elle plongea son regard dans celui de son interlocutrice quelques instants. Puis se rendis compte qu'elle la dévisageait presque, et qu'elle n'avait pas répondu à l'une de ses questions. Elle réfléchit un peu et lui glissa quelques mots.

▬ Pour... passer. Entrer dans l'école. Ils sont trop.. bruyants.

Bruyants, grouillants, envahissants. Tant de raisons qu'elle résumait instinctivement par son pouvoir. Il en était le point central, après tout. Elle se tut le temps d'un souffle et pensa à sa coquille antibruit, toujours dans sa main droite. Elle la souleva pour la montrer à la jeune fille, comme pour détailler ses quelques mots. Puis, celle-ci lui dévoila son prénom. Melody sourit. Elle était déjà intriguée par la jeune humaine.

▬ Et moi Melody.

Elle jeta un œil vers la porte de l'école, puis se tourna à nouveau vers Aernia, cherchant dans ses intérêts un sujet de conversation. Son regard s'éclaira.

▬ Regarde.

L'adolescente avait fouillé dans son sac et lui tendit son cahier à croquis. Pas de ''Tu es à cette école depuis combien de temps ?''. Pas de formule de politesse vide de sens, qu'elle avait encore du mal à comprendre. Son père adoptif lui aurait peut-être conseillé de le faire, pourtant. Lui aurait sans doute conseillé. Les conversations menées par Melody étaient parfois déstabilisantes, mais, malgré les années, il lui paraissait encore plus simple d'aborder les gens à travers ses passions qu'à travers le beau et le mauvais temps. Et elle était plutôt contente, la petite Melody, de son paysage, celui de sa maison, redessiné avec des plantes surnaturelles et quelques animaux inconnus. C'était à cela que ressemblait son monde, celui qu'elle créait depuis des années sur le papier.

La foule devenait lentement moins dense. Moins bruyante. Certains cours devaient commencer bientôt. Melody observa un peu la jeune fille. Elle non plus n'était pas à l'aise avec les gens ? Curieux. Rares étaient ceux qui lui avaient fait une telle confidence sincèrement. Quelques fois, par une empathie fausse et superficielle, mais elle n'avait pas souvenir qu'on le lui aie dit sincèrement. Alors qu'elle retenait une bonne partie de ce qu'elle entendait. Pourtant, malgré son incapacité à analyser son langage non-verbal, son intonation et tout autre indice elle était certaine qu'elle ne mentait pas. Comme si elle l'estimait plus que les autres.

Aernia n'avait pas l'air plus rassurée qu'elle et, instinctivement, l'étoile se calma aussitôt. Son angoisse se déplaça, son cœur s'accéléra. L'adolescente ne compris pas. Chercha. Se demanda si elle avait un problème cardiaque. N'arriva pas à identifier ce qui se passait. Sentiment, réaction physique, maladie... Elle ne comprenait pas. Ne trouva pas la réponse. Comment les autres, les gens normaux, autour d'elle, arrivaient-ils à identifier leurs propres réactions affectives ? Elle secoua la tête, légèrement déboussolée et s'enfonça dans ses pensées, se renfermant un peu sur elle-même. Trop de stimulus internes à gérer. À comprendre.

Elle sursauta légèrement en sentant le contact de l'humaine, mais ne réagit pas. Pas de crise, pas d'angoisse. Comme si c'était normal pour elle. Son regard plongea dans le sien comme si elle y cherchait une réponse, puis se détourna. Son incrédulité s'effaça quand la jeune fille recula. Melody remarqua ses joues, rouges. Elle s'interrogea. Ne capta pas le signe de gêne. Son interlocutrice lui avait parlé. Elle l'avait entendue, comprise, d'une oreille distraite, au même moment. Une étoile ? Elle ouvrit la bouche, pour lui répondre, confirmer son hypothèse, mais la referma sans en avoir le temps.

Le lien. Celui qu'elle avait trouvé et retrouvé dans les textes qu'elle avait lus sur son espèce, sur les raisons de leur existence. C'était donc ça, sa propre envie d'aller au Japon. Ne pas se comprendre elle-même ne l'avait pas choquée. Elle avait l'habitude. Mais la raison était donc toute autre que ses chances de vivre de ses intérêts particuliers. Elle n'était pas la seule, du moins.  

Les Étoiles étaient nées pour protéger un Humain. Melody avait cherché à comprendre le sens de ce fait, s'il était littéral ou figuré, s'il était avéré ou simple poésie. Elle n'avait aucune preuve de sa véracité alors. Elle angoissait, un peu. Et comble de l'ironie, sa propre angoisse l'inquiétait car la raison en était nouvelle. Dirigée vers Aernia. Sans le savoir, elle s'inquiétait pour elle. Comment la protéger alors qu'elle ne comprend ni les autres, ni elle-même ? Comment la protéger alors que gérer ses propres émotions, sa propre vie lui est impossible ? Pourtant, d'instinct, la détermination la poussait à une envie farouche de défendre la jeune humaine. Quelles sortes de crises colériques cela engendrerait en cas de problèmes ?  

▬ Je... Désolée, je ne sais pas comment réagir.

'Lody regarda Aernia le temps d'un instant puis lui fit un sourire qui se voulait rassurant. Alors qu'elle non plus, ne savait que faire, qu'elle aussi, était perdue.  

▬ Chaque étoile est liée à un humain qu'elle doit protéger.

'La lycéenne avait récité ces mots comme elle les avait lus plusieurs fois dans divers bouquins, sans jamais en comprendre la réelle signification. Du moins, sans jamais en comprendre la signification affective. Même si, évidemment, comme pour toute abstraction, elle ne le comprenait pas spécialement plus maintenant. Elle réfléchit un peu, puis, transforma par réflexe l'abstrait en concret.  

▬ Mh... Tout va bien ? Tu as.. Besoin de quelque chose ?

Elle se tourna rapidement vers la porte de l'école, vers quelques unes des personnes encore présentent, chacune tour à tour, détail par détail. Puis se tourna vers Aernia, répétant des paroles que son père prononçait souvent lorsqu'il voulait discuter avec quelqu'un.

▬ Tu veux entrer et manger quelque chose avant ton premier cours ?

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