Hǔ fait tout le temps la gueule. Ou du moins, c’est l’impression qu’il donne. Bah oui, il faut bien qu’il travaille son image de grand méchant, non ? Et un grand méchant tout souriant c’est moyennement crédible. Blague à part, c’est vrai qu’il n’est pas suuuuuper avenant. Et pas très bavard non plus. Du coup, s’il a quelque chose à dire, il a directement au point, et ne s’aventurera pas à tourner autour du pot. Pourquoi passer par trente-six chemins si une chose peut-être dit en une seule phrase de quatre ou cinq mots ? C’est déjà beaucoup plus simple à comprendre pour l’interlocuteur, ça profite à tout le monde, donc.
Qu’on se le dise, Hǔ est plus dans l’action que dans la réflexion. Ce n’est pas tout à fait un cerveau, bien qu’il ne soit pas défaillant mentalement non plus, c’est plutôt qu’il ne réfléchit pas. Et qu’il n’aime pas réfléchir de toute façon. La parlote ça l’ennuie, et il n’aime pas s’ennuyer, c’est tout. D’après lui, l’action, y’a que ça de vrai. Concrètement à ce que les poètes aiment dire, il ne considère pas les mots comme des armes et trouve bien plus efficace une bonne droite qu’un long discours. Mais c’est peut-être juste lié à ce qu’on disait plus haut. Au peut-être juste qu’il est un peu violent sur les bords, qui sait.
C’est un leader, c’est lui qui donne les ordres, et non l’inverse. Et cela ne date pas d’hier, déjà dans ses dernières années en tant que militaire, le chef, c’était lui. Ce sentiment de toute puissance à voir tout un régiment lui obéir au doigt et l’œil était un de ses sentiments préférés – et ça l’est toujours en réalité. Même s’il avait encore des supérieurs, ils le connaissaient assez pour savoir qu’il ne fallait pas lui donner un ordre directement si l’on voulait qu’il soit réalisé, mais plutôt lui faire croire que c’était lui qui prenait la décision de le faire. Oui c’était un peu tordu, mais Hǔ est tordu, donc bon. Cela n’a donc pas changé, on peut même dire que ça s’est empiré avec son statut actuel, qui lui donne l’impression d’être l’être le plus puissant du monde. Oui. Oui, c’est vrai. Il a besoin de sentir puissant. Au-dessus des autres. C’est tout à fait le type « Ore-sama », et il ne le fait même pas exprès. Dans sa tête, il est le mâle alpha, et puis c’est tout.
Hǔ est du genre casanier. En même temps c’est pas comme si c’était très possible pour lui de passer ses journées et ses nuits dans les rues bondées de la ville. Y’a des flics partout, c’est risqué. Et même si l’action c’est bien, il est de nature prudente, surtout que s’il venait à se faire chopper, ce serait assez… compromettant. Du coup il reste souvent chez lui, et à force de chercher des trucs à faire, il est devenu accro aux séries TV en tout genre. Oui, même la petite maison dans la prairie, ça lui plait, ça le divertit, il est content. Imaginez le, en pyjama, des boites de pizza s’entassant au pied de son canapé, des bouteilles de bière vides un peu partout sur la table basse, en train de marathonner six saison d’une série. Si vous arrivez à vous mettre cette image en tête, eh bien vous aurez une image assez précise de ce à quoi ressemblent ses journées. Et au diable la crédibilité, il est chez lui, il a pas à être crédible… n’est-ce pas ?
Il aime les enfants. Non, non, nooooon, repartez avec vos drapeaux pedobear, il les aime pas dans ce sens là. Il aime leur innocence, et leur pureté. Je l’enfonce là ? Non, véritablement, il fait partie de ces gens qui peuvent passer des heures avec des gamins, leur raconter des histoires, jouer avec eux. Même changer un bébé ne relève pas de la corvée pour lui. Cela peut paraître étrange lorsque l’on pense à la brute épaisse qu’il a tendance à être en temps normal, disons que c’est pas tout à fait à lui qu’on penserait en premier si on avait besoin d’une nounou, et pourtant. Mais les gosses ça lui rappelle sa fille. Et cela suffit en tant qu’explication.
Autrement, il collectionne les trucs avec des tigres dessus. Et voilà, c’est tout, c’était l’anecdote.
« Hǔ, je suis désolée. Je ne peux plus vivre avec toi. Je suis sûre que tu comprendras les raisons de mon départ par toi-même. Même si j’ai encore envie de t’aimer, je ne crois plus que ce soit possible. Je ne te le pardonnerais jamais, s’il te plait oublie moi. Au revoir, Yue. »Quelques mots, calligraphiés de façon appliquée par une plume qui ne semblait même pas avoir tremblé malgré la dureté des mots qu’elle écrivait, sur une simple feuille de papier blanc, déposée sur la table de la cuisine. Il ne pouvait pas y croire. Même si, en toute honnêteté, il aurait pu le sentir venir. Sa
femme, la fille qu’il avait épousé, venait de le quitter, par lettre, l’accusant de quelque chose dont il n’était pas responsable. Combien de fois devrait-il le répéter ? Ce qu’il c’était passé, ce n’était pas ce qu’il avait voulu,
ce n’était pas sa faute pxtain.
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On ne devient pas membre d’une organisation terroriste d’un coup, comme ça, sans raison. On ne devient pas un tueur fou sans raison, lorsqu’avant, nous étions quelqu’un de bien rangé. Certes, certains sont nés avec un cerveau différent de la « normal », un cerveau qui n’arrive à se délecter que dans la haine et la violence, mais ce n’est qu’une minorité, et Hǔ n’a jamais fait partie de cette minorité. Hǔ n’est pas né avec un cerveau détraqué, mais il a été façonné par la colère et la terreur que le ronge depuis ces dernières années.
Dans sa jeunesse, il n’avait rien à envier à personne. Il faisait partie de la classe supérieure Chinoise, celle qui avait les moyens de s’offrir des buildings entiers dans les quartiers les plus fortunés de la capitale. Une famille de militaires, de génération en génération, auxquels les pères rêvaient de marier leurs filles. Hǔ n’échapperait pas à la tradition familiale, comme son père et son grand-père avant lui, il ferait partie de l’armée. Oh, qu’il était fier de pouvoir reprendre le flambeau.
C’est quand il avait dix-sept ans qu’il rencontra Yue. Qu’est-ce qu’elle était belle, la véritable définition de la beauté à la Chinoise, plus âgée de quelques années, plus mature que la plupart des filles qu’il avait eu l’occasion de côtoyer, le coup de foudre au premier regard. Le plus beau dans tout cela ? La réciprocité des sentiments. A croire que ce genre de choses n’arrive pas que dans les Disney ou les Rom-Com américaines. Il ne lui fallut que quelques mois pour la mettre enceinte et quelques mois supplémentaires pour l’épouser, malgré la réticence de la mère de Yue, trouvant que Hǔ était trop jeune.
Ils eurent une petite fille, sublime, que les deux jeunes mariés chérirent et aimèrent le plus qu’ils le purent. Certes Hǔ était jeune, mais sa mère avait fait en sorte de le coacher avant l’arrivée de son rejeton, pour qu’il soit un minimum prêt à appréhender la créature – séances de coaching qui ne manquaient jamais de finir en fou rires face à l’incompétence du jeune chinois. Mais une fois la vraie chose, en chair et en os, dans les mains, tous ces enseignements lui semblèrent comme la chose la plus précieuse qu’il connaisse.
L’année de ses 21 ans sonna pour Hǔ le moment où il dû réellement prendre du service en tant que membre de l’armée de Chinoise. Bien que père de famille et marié, il avait attendu ce moment avec impatience, riche des histoires de bravoure et de camaraderie racontées par ses ainés. Mais il ne lui fallut pas longtemps pour se rendre que ces histoires avait été largement embellies, voire totalement imaginées. Son sang lui valait d’échapper aux « jobs sales », les missions pour lesquelles personne ne voulait être envoyé, mais cela ne lui a pas empêcher de voir des choses qu’il aurait préféré ne jamais avoir à voir.
« T’inquiète pas, tu vas t’endurcir, on est tous passés par là. » lui avait dit son père, lorsqu’il avait du mal à se remettre de la première mise à mort qu’il avait vue. Un pauvre paysan, probablement échappé de Corée du Nord, qui parlait à peine la langue et qui s’était retrouvé avec une balle entre les deux yeux, gratuitement d’après le jugement de Hǔ. Il avait du mal à s’imaginer s’endurcir au point de pouvoir regarder ce genre de chose sans fermer les yeux, ou pire encore d’en devenir l’auteur. Et pourtant, il ne lui fallut pas si longtemps pour devenir dur comme la pierre, à l’instar de son paternel.
Tout aurait pu continuer comme ça, Hǔ gravissant les échelons sous l’œil fier de ses aînés, Yue comptant à Mei, leur fille, les exploits de père comme s’il s’agissait d’un héros de bande-dessinée. Mei avait cependant assez de mal à s’imaginer son père de cette manière, pour elle était
son papa, celui qui faisait des coloriages avec elle et qui jouait au frisbee dans le parc voisin avec le chiot qu’ils venaient d’acquérir. Bref, comme il le dit lui-même, sa vie à cette époque était proche de la perfection.
Mais évidemment, tout n’allait pas se passer comme prévu. Il avait fallu qu’une saleté de junkie, une créature répugnante, aussi épaisse qu’un bâton, au bras percés en divers endroit et aux yeux injectés de sang entre autres substances se pointe et vienne détruire leur petite famille. C’était une étoile, qu’il disait. Il avait un lien très fort avec la petite Mei, qu’il disait. S’il mourrait, elle mourrait, qu’il disait.
« Vous ne voulez pas qu’elle meure, n’est-ce pas ? » répétait-il dès que Hǔ hésitait à céder à ses demandes.
Vous savez ce qu’il y a de terrible avec cette histoire d’étoiles et humains liés ? C’est qu’il n’y a jamais eu meilleur moyen de manipulation. Hǔ en avait entendu parler, sans jamais vraiment y prêter attention, ne pensant jamais avoir à être confronté à l’une de ces choses. Et d’un coup, il se retrouvait avec un déchet de chair qui le menaçait de se suicider s’il ne lui donnait pas tout ce qu’il voulait. De l’argent principalement. Du moins au début. Pendant les trois années où cela avait duré, les demandes devenaient de plus en plus difficilement réalisables, notamment sur un plan moral.
Le jour où le Junkie demanda à Hǔ de lui laisse sa femme pour une nuit fût la demande de trop. Oh, il ne l’avait pas tué, ne voulant pas risquer la vie de sa fille, mais il lui avait brisé les deux jambes, un bras, et crevé un œil. Voilà ce que donnent trois ans de rage retenus dans un Tigre. Mais au moins, il ne l’a pas tué. Juste assis dessus, en attendant que les flics débarquent après qu’il ne les aient appelé. Il avait ensuite déboursé une belle petite somme pour qu’il soit traité un grand criminel, mis en quarantaine loin de tout objet pouvant l’aider à se tuer, au cas où cette histoire de lien serait réellement réelle.
Et ainsi ce fût la fin. Ils purent reprendre une vie normale.
Qu’ils pensaient.
Deux mois plus tard. 23h et des poussières. Téléphone qui sonne.
« Li, votre prisonnier est mort. »Et Mei qui dormait à l’étage, et qui ne se réveillerait jamais.
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Ce n’était pas sa faute. Il en avait assez souffert, il avait assez encaissé toutes les accusations de Yue, il s’était assez excusé pour des choses qu’il n’avait pas faites.
« Tu savais que ça arriverait, il te l’avait dit. » Elle avait raison, mais qu’aurait-il dû faire ? Yue n’avait jamais essayé de se mettre à sa place. Tout ce temps elle n’avait fait que rejeter la faute sur lui comme si elle n’avait rien à voir dans la mort de leur fille. Mais elle n’avait rien à voir avec le décès de Mei, elle avait raison. Le plus responsable était Hǔ.
Il n’arrivait plus à penser, la feuille à la main, se demandant ce qu’il allait faire de sa vie. Yue était celle qui le rattachait à la vie lorsqu’il croulait sous la culpabilité, malgré qu’elle ne fût là que pour l’enfoncer un peu plus.
Il allait quitter l’armée, se mettre à dos la moitié de sa famille, vivre dans une cabane dans la montagne en attendant de pouvoir se venger. Se venger, nouvelle flamme qui l’anima dès qu’il eût jetée à la poubelle la lettre de Yue. Les étoiles lui avaient tout pris, c’était à son tour de leur prendre quelque chose. Il n’a jamais été diplomate, il a été élevé dans un monde où les armes passent avant les mots, et alors qu’il allait sombrer, sombrer, et continuer à sombrer dans les mois qui allaient suivre, il se préparerait à devenir un des hommes les plus recherchés de Chine.
Il allait se renseigner, tout prévoir méticuleusement pour taper précisément. Internet est un endroit fantastique, il y trouverait le nom du café ou se déroulerait une rencontre entre supposées « étoiles », les horaires de cette rencontre, et il ouvrirait le feu, pour n’en laisser aucune vivante. Il deviendrait un monstre, l’espace de quelques secondes, puis s’enfuirait, quelque part, à la foi fier et effrayé de lui-même.
Puis il irait au Japon, la Chine devenant trop dangereuse pour lui, s’il est seul. Et Japon, il serait épaulé par des pairs aux desseins similaires aux siens.
Il deviendrait l’Ennemi Public Numéro 1, et porterait fièrement ce titre à la tête des Crépusculaires.
Les étoiles n’ont pas lieu d’être sur Terre, et Hǔ s’est donné le devoir de faire le ménage, jusqu’à ce qu’il n’y en ai plus qu’une debout – et qu’il soit forcé de quitter ce monde en même temps qu’elle.
Oh diable, mais qu’est-il advenu de sa vie…