nom — Instinct.
description —Il faut savoir que pour elle, ce don n’était que de l’instinct. Il ne s’agissait pas d’un pouvoir particulier, elle ne pouvait influencer personne avec, elle savait, tout simplement. Savoir qui vous étiez simplement en vous adressant la parole, tel était son don. Loin d’être aussi intrusif et précis qu’un don d’empathie, elle pouvait cependant effleurer un bout de ce que vous étiez. Elle ne pouvait pas déceler vos émotions, ni les appréhender, ni se mettre à votre place. Elle pouvait simplement déceler ce que vous étiez, au plus profond de vous même. Si vous étiez bon, mauvais. Si cela était fondamental ou bien changeant. Si, dans votre passé, vous aviez été contraint de subir le joug du destin, d’en subir les conséquences sans connaitre le bonheur que l’équilibre aurait du vous accorder. Elle savait naturellement si vous étiez des êtres de bonté ou de malice.
Pourtant, elle n’en faisait rien. Il lui était plus habituel de confirmer ses soupçons en essayant de connaître la personne, en lui parlant, en interagissant avec elle, en étant là pour elle. Une aide parfois égoïste, puisqu’elle cherchait simplement à vous comprendre, sans peut-être vous laisser l'opportunité de la comprendre elle. Son don faisait parti d’elle, autant qu’elle même faisait parti de son don. L’un sans l’autre, ils n’étaient rien. L’instinct seul ne pouvait survivre si la demoiselle n’avait pas décidé de s’y plier. Et elle n’aurait pu survivre sans ce même instinct. Elle continuait de vivre avec, sans ce rendre compte de la particularité qu’elle possédait. Il était fort probable qu’elle pensait le partager avec le reste des hommes. Naïve.
Cependant, c’était très certainement lui qui la faisait vivre, puisque son travail seul en dépendait.
“ Eh petite. “
Ce sont les premiers mots entendu par la jeune fille, les seuls qui lui resteront vraiment en mémoire si on lui demande des détails sur son enfance. Pour elle, se sont les premiers qu’elle aurait entendu, compris, puis répété. Ce serait sûrement la première phrase qu’elle aurait prononcée de sa bouche d’enfant. Elle se rappellerait certainement le ton chaleureux et inquiet utilisé pour lui adresser la parole. Elle se souviendrait aussi de la fraîcheur de cette journée là. Elle se rappellerait également avoir levé les yeux pour plonger son regard dans les yeux sombres de son interlocuteur. Elle n’arriverait pas à se souvenir des détails de son visage, mais elle se souviendrait l’avoir aimé directement. Pour elle, cette personne était tout. C’était simplement sa première attache en ce monde. Il n’y avait eu que lui, pour ses yeux curieux d’enfant de cinq ans.
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L’homme qui avait été un monde précieux pour Céleste s’appelait Emile Delacroix. C’était un homme de bonne famille, qui avait trente ans passé lorsqu’il lui avait parlé pour la première fois, la tirant alors d’un monde incolore et fade, bien qu’elle ne s’en souvienne pas parfaitement. L’homme avait pour particularité de porter sans cesse sa main dans ses cheveux, ce qui le décoiffait continuellement, bien qu’il n’en tenait jamais rigueur au détriment de son patron qui commençait à s’agacer de cet employé désinvolte qui se moquait des apparences. Il bossait dans une imprimerie, dans le coin d’une rue d’une ville très peu connue, qui pourtant s’animait toujours d’un rythme particulier et qui vivait dans une ambiance étrange d’insouciance, ignorant alors les problèmes qui se présentaient à eux. En regardant par la fenêtre de son bureau, il avait tendance à voir passer de nombreuses dames, qui bien peu soucieuses de la mode actuelle s’habillaient de ce qui leur plaisait le plus, sans que le jugement des autres ne les atteigne. C’était une petite ville française qui n’avait rien de bien extravagant, mais qui se moquait des exigences des autres. Il aimait tout particulièrement le cadre dans lequel il habitait, appréciant le jardin offert par sa maison qui lui permettait d’avoir accès à tout le calme qu’il désirait pour reposer et lire lorsqu’il le désirait. De la même manière qu’il aimait lire les oeuvres sur lesquelles il avait du travailler, adaptant sans cesse son programme aux maisons d’éditions qui respectaient peu leurs délais. Il s’asseyait sur une balancelle de bois, faite par ses grands-parents lorsqu’ils vivaient encore, et s’oubliait alors dans divers mondes.
C’était un livre à la main qu’il avait entr'aperçu l’enfant pour la première fois. Il n’avait vu d’elle que son corps, recouvert d’un pull beaucoup trop grand pour elle ainsi que ses cheveux, emmêlés et sales comme il n’en avait encore jamais vu. Il n’y avait alors pas prêté attention, puisque plongé dans l’histoire il pensait simplement que cette enfant était le reflet de son imagination, car après tout, cette ruelle était bien connue pour être vide et dénuée d'intérêt. Tous l’ignoraient, préférant la rue centrale pour ses boutiques et l’impression de vie qui régnait alors. Tout au long de sa vie, ça ne lui avait jamais semblé étrange puisque lui même vivait dans cette même impression de bienséance infinie que les autres ressentaient. Il était, au final, comme les autres, bien qu’un peu moins soigneux de son apparence. Il ne se souciait pas de porter des habits qu’il aimait, ou qui le mettraient en valeur, il voulait simplement être à l’aise. Cela lui portait souvent préjudice. En effet, malgré le fort désir de ses parents qui souhaitaient le voir marié, les femmes semblaient ne pas le voir. Leurs regards avaient tendance à glisser sur lui et bien qu’il en avait déjà vu s’attarder, ceux là se faisaient plus rare. Il n’avait simplement pas envie de s’attacher à quelque chose d’éphémère.
Trois jours plus tard, il recroisait l’enfant. Elle courrait dans les rues de la ville, une baguette de pain à la main, les yeux brillant d’une joie qui s’accordait au reste de la ville. Elle même ne se souciait pas des autres. Elle semblait se moquer des adultes qui l’ignoraient, des chiens qui aboyaient parfois à son passage alors qu’elle s’arrêtait pour regarder les fleurs qui poussaient dans tel ou tel jardin. Il l’avait vu courir et s’empêtrer dans ses vêtements trop grand pour elle, tomber, regarder ses mains écorchées, puis rigoler d’un rire innocent. Deux minutes plus tard, elle disparaissait de son champ de vue et lui même retournait lire. Il fixa la couverture de l’oeuvre pendant quelques instant.
Éphémère. C’était le titre de l'oeuvre, représenté par un papillon. Cela lui semblait convenir à la situation qu’il venait de vivre. Alors, il continua son chemin, passant devant une boulangerie dont le gérant racontait, furieux, une histoire à sa dernière cliente mais n’y prêta aucune attention. Ce qu’il lisait lui semblait bien trop important lui faisant oublier ce qui l’entourait. Il baignait de nouveau dans ce nuage d’insouciance. A nouveau, il s’asseyait sur cette balancelle après avoir salué son voisin qui venait de fermer le portillon de son jardin. Tandis que ses pensées commençaient à décrocher des lignes de l’oeuvre, son esprit vaquait alors à d’autres occupations. Il se souvenait de l’enfant et venait de se promettre de lui adresser la parole dès qu’une opportunité se présenterait.
Il lui avait fallu cinq mois pour la trouver. Jusqu’à là, il se sentait dépassé par les évènements. Les publications devenaient de plus en plus exigeantes et le temps s’était rafraîchi avec l’arrivée de l’hiver. Ils venaient de quitter le temps étonnamment doux de l’automne tandis que les pluies torrentielles commençaient à tomber. Chacun s’était alors couvert, parsemant les rues de parapluies colorés ou couverts de motifs ce qui, il en était certain, devait être particulièrement beau à voir si on y accordait de l’importance. Cependant, il n’avait plus le temps. Il ne pouvait plus s’autoriser la moindre pause. Avec l’arrivée de la nuit qui se faisait plus tôt que d’habitude, chaque magasin adaptait ses horaires laissant moins de temps libre aux employés et obligeant chaque patron à produire bien plus pour rentrer dans leurs marges habituelles. L’hiver était la période la plus étrange de cette ville là. Tout semblait déplacé, accéléré et cassait leur rythme habituel. L’insouciance était alors balayée par le manque de temps et tout le monde s’ignorait. Les dames cessaient de se parler les unes aux autres, préférant fuir le mauvais temps. Les vendeuses s’agaçaient lorsqu’un client se faisait trop exigeant. Les commerçants râlaient puisqu’ils ne pouvaient plus obtenir certains produits qui ne se vendaient plus à cause du froid qui régnait alors. Très vite, la pluie avait laissé place à la neige qui s’était dépêchée de poser sur le monde un voile blanchâtre. Tout s’était alors bizarrement calmé. Tous prenaient le temps d’observer le changement radical de paysage dont personne n’avait réellement pris le temps d’observer avant. Les couleurs vermeilles et chaleureuse de l’automne avaient laissé la place aux couleurs froides et grisâtres de l’hiver. Jusqu’à présent, il avait oublié l’existence de l’enfant.
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De son côté, l’enfant qui allait s’appeler Céleste noyait son corps sous un tas d’affaire sales qu’elle avait trouvé. Elle appréciait à sa juste valeur la chaleur qu’elle gagnait ainsi. Elle amassait continuellement des affaires, non pas pour s’habiller, ce qu’elle trouvait superflu parfois, mais pour gagner en confort. Elle avait ainsi construit une ébauche de matelas et de couette s’amusant parfois à y plonger, puis à tout soulever de ses maigres forces pour parsemer le ciel de différentes tâches de couleurs. Dans ses moments là, elle riait, tout simplement pour la beauté de la chose. Elle chapardait ce qu’elle pouvait en la saison et le mangeait directement, ayant remarqué que beaucoup de choses ne se gardaient pas. Elle était déjà tombé malade. Elle haïssait cette sensation de n’être consciente de rien. Elle aimait se souvenir des choses, la maladie l’en empêchait. Elle trouvait ça cruel, bien qu’elle était incapable de poser correctement des mots dessus. Pour elle, les choses étaient simples. Soit c’était bien, soit c’était mal. La maladie, c’était mal. Courir, c’était bien. Manger aussi. Elle aimait aussi le chat qu’elle voyait dans la rue du monsieur qui fait du pain ; quand ce monsieur était énervé, c’était mal, alors elle devait courir et ça devenait bien. Plus tard, elle ne se souviendrait plus tout cela. Elle oublierait le boulanger, le froid, ses pieds qui brûlaient parfois à force de courir sur l'asphalte. Plus rien de tout cela ne lui importerait de nouveau. Après tout, le printemps avait tout changé.
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Le printemps avait réchauffé la ville d’un souffle doucereux. Sans que le temps soit vraiment aux jupes et aux shorts, les gens avaient laissé leurs manteaux au profit d’une veste plus légère. Emile aussi l’avait fait. La nouvelle saison était venue avec la même vague d’insouciance que l’année précédente. Elle était venue avec le souvenir de l’enfant qui courait. L’homme se mit alors à courir lui aussi. Il venait de se souvenir de son apparence fragile. Il se rappelait aussi du pincement au coeur qu’il avait ressenti lorsqu’il avait vu que son pull n’était pas seulement trop grand pour elle, mais que sa stature était bien trop frêle pour qu’elle puisse continuer de vivre sans avoir de problèmes de santé. D’un coup, il essaya la vague d’insouciance qui commençait à prendre le dessus sur ses pensées pour réaliser que cette enfant, bien qu’il ne la connaisse pas, était importante pour lui. Il savait pourtant qu’il ne pourrait jamais l’élever. Il savait bien qu’elle ne pourrait pas faire partie de sa vie. Mais il souhaitait au moins l’aider. Il voulait agir, avant que le temps ne retrouve son cours normal et qu’il retombe lui aussi dans les méandres de son existence. Il s’était avancé dans la rue, sans que personne ne lui jette le moindre regard. Ils l’ignoraient. Cela lui convenait.
L’enfant était ensevelie sous une couche impressionnante de vêtement. La seule chose qu’il pouvait voir, c’était sa tête et le bras sur lequel elle se reposait. Il s’approcha d’elle, retenant son souffle sans vraiment s’en rendre compte, faisant attention à l’endroit où il marchait afin de ne pas la réveiller trop vite. Il ne voulait pas la surprendre. Il ne voulait pas qu’elle fuit, bien qu’il aimait plus que tout la voir courir. Bizarrement, il s’était attaché à l’enfant. Il se mit à son niveau, posa sa main sur son épaule et la secoua légèrement. Il attendait patiemment qu’elle se réveille. Elle ouvrit les yeux, laissant entrevoir deux grands yeux d’un bleu profond.
“ Eh petite. “
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Pour elle, tout venait de changer. Ces deux mots représentaient le début d’un tout et la fin de quelque chose qu’elle ne pouvait définir. C’était la première fois qu’elle entendait la voix de quelqu’un tout en sachant que les mots, qu’elle ne comprenaient pourtant pas, lui étaient adressés à elle et non à un autre. Pour elle, ces mots étaient et seraient toujours son trésor le plus précieux bien qu’à ce moment là, elle n’en savait rien. Elle leva son visage encore bouffi par les traits de l’enfance vers celui d’Emile, le coeur réchauffé par une émotion qui lui semblait trop étrange pour lui appartenir. Jusqu’à présent, elle ne connaissait que deux choses très simple, les notions de bien et de mal qui étaient ancrée en elle depuis la naissance. Naissance dont elle ne se souvenait pas. Ses premiers souvenirs étaient flous. Elle s’était levée, un jour, tout simplement, dans cette même rue qui représentait tout pour elle, avant ce jour là. Avant qu’on lui porte un minimum d’attention, les deux murs extérieurs aux immeubles sombres et humides étaient son monde. La ruelle, sale et remplie de déchets était simplement la seule chose qu’elle connaissait dans cette ville. Elle ne se souviendra jamais de sa naissance, pas plus qu’elle ne connaîtra ses parents, tout simplement car elle n’en possédait pas. Emile chercherait ses parents dans un avenir proche, mais il ne les trouvera pas. Il cherchera alors à savoir si sa protégée est une étoile, mais il n’arrivera pas à le savoir. Deux ans plus tard, Emile mourrait. Mais tous ça, ils ne le savaient pas, et ainsi, ce moment était plus précieux que n’importe lequel. Cette rencontre était aussi leur rupture, et pourtant, pour Céleste qui n’était qu’une enfant, cet homme était tout. Sa mémoire elle même était l’une des choses les plus précieuse qu’elle avait. Mais pourtant, puisqu’elle ne le savait pas, elle n’avait pas cherché à le connaître.
Le mot résonna alors à ses oreilles. “ Petite ”. Jamais elle n’avait entendu un mot comme celui ci. Il lui semblait rempli d’amour comme jamais elle n’avait connu cela. Elle l’étudia, le répéta, le murmura, pour au final le répéter, comme si elle découvrait quelque chose de nouveau. Elle même réalisa quelque chose. Tous deux n’étaient plus dans l’atmosphère insouciante qui les entourait depuis leurs naissances. Elle le fixa pendant de longues minutes, avant qu’il ne reprenne la parole. Avant qu’il la rappelle de la même manière. Ce mot sonnait bien à ses oreilles. Plus tard, il prendra un autre sens, mais pour l’instant, tout cela importe peu. Elle ne comprenait pas ce qu’il disait. Elle ne le voyait pas comme elle le souhaitait, ses yeux engourdis par un trop long moment passé dans l’ombre de cette rue trop sombre. A travers son pull, elle avait agrippé la veste que portait ce monsieur qu’elle ne connaissait pas, mais qu’elle aimait inconditionnellement. Il était bon. Sans aucune question, elle savait que cette homme était bon et important pour elle.
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A la suite de cette rencontre, l’homme l’avait pris par la main, délicatement, pensant sûrement qu’elle était aussi fragile qu’elle en avait l’air. Mais la rue avait forgé son corps laissant son esprit s’adapter à l’air de jovialité indécente qui régnait dans cette ville, ainsi, si son physique se transformait avec l’âge ce n’était pas le cas de sa personnalité. Quelques années de plus dans cette ruelle auraient fait d’elle une éternelle enfant. Emile avait été son salvateur à plusieurs niveaux. Non seulement il lui avait permis d’accéder à un niveau de vie supérieur, mais aussi à un futur plus vaste que celui offert par le domaine cruel de la vie clandestine, ce qu’elle aurait été sans son intervention. Cela serait cependant trop utopique de dire que la décision de l’homme ne lui avait apporté que du bon, puisque si elle avait alors connu de grands instants de bonheur, certains s’étaient aussi avéré être d’une grande cruauté. Leur rencontre en était un bon exemple. Il est fort probable que la vie de la jeune fille aurait été différente sous la tutelle de l’imprimeur décoiffé. En tout cas, cela aurait été préférable pour elle. En la mettant dans un orphelinat, elle perdait toute ses attaches. Elle n’avait ni parents, ni famille et bien que personne ne s’en doutait alors, elle n’en aurait jamais. Le départ de son sauveur était alors une rupture avec la seule chose qu’elle aurait pu se référer en tant que responsable, en tant que parent, mais il n’était plus à ses côtés. Elle s’était simplement réveillée un beau matin, sans lui, se rappelant vaguement d’être, la veille, rentrée dans un bâtiment fort peu accueillant puis dans ce qui semblait vaguement être un bureau, et se rendant compte qu’elle ne comprenait rien à ce qu’il se disait, elle était partie jouer dans un coin avant de se poser dans un fauteuil pour regarder par la fenêtre. Elle s’était endormie. Il était parti.
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Céleste n’aimait pas l’orphelinat. Enfin, il serait plus exact de dire qu’elle n’aimait pas l’hypocrisie avec laquelle on traitait les enfants avec qui elle restait. Elle sentait parfois le manque d’amour qu’on leur portait, à tel point qu’elle l’associait parfois à de la haine, bien qu’elle ne puisse distinguer la différence aussi clairement qu’elle le voudrait. Cela faisait désormais un an qu’elle était au même endroit, sous la responsabilité des mêmes personnes, accompagnée des mêmes enfants, dormant dans le même lit et ainsi de suite. Lorsqu’elle avait été recueillie, elle avait été placée dans une chambre avec deux autres enfants de son âge, sans aucune distinction de genre. Si au début ils se contentaient de l’ignorer, la curiosité avait vite pris le dessus. La petite fille était après tout, très mystérieuse. Contrairement aux autres, elle n’avait pas eu de parents pour la voir grandir. Elle n’avait pas souffert d’une famille qui refusait de la prendre en charge. Elle n’avait pas été déposée à l’orphelinat par des parents trop jeunes qui refusaient de l’accepter. Elle avait vécu dans les rues. Rapidement, ils avaient tenté de lui poser des questions, pour finalement se rendre compte qu’elle ne savait pas parler. Bien sur, ils ne l’avaient pas compris d’eux même, il avait fallu qu’un de leurs responsable ne leur explique le problème, leur faisant alors promettre de quand même rester à ses côtés. Glen et Erica, car c’est ainsi qu’ils se nommaient, devinrent alors ses premiers amis. Les premiers mois furent compliqués, autant pour ses deux camarades que pour elle, car bien que le langage soit parfois superflu, il était plus pratique pour des enfants de s’exprimer ainsi, afin d’exprimer clairement leurs ressentis.
Suite à cette difficulté, les responsables qui encadraient les enfants avaient décidé d’intégrer leur nouvelle pensionnaire à l’école associée à leur orphelinat. Céleste faisait alors son entrée en classe préparatoire. Aux côtés de ses deux amis, elle apprenait petit à petit à s’exprimer, à comprendre les autres, mais aussi à lire. Très vite, elle rattrapa les autres et devint presque aussi habile qu’eux à manier la langue française à son avantage. Ils avaient alors créé un lien qui dépassait l’entendement de la plupart. Sans aucune haine, une petite rivalité s’était installé entre eux trois. Ils aimaient savoir lequel d’entre eux était le meilleur et ce dans divers domaine. Cette compétitivité était importante pour eux car elle leur permettait aussi de s’entraider. Chacun pouvait aider les autres dans les domaines qu’il maîtrisait, leur permettant d’entretenir un niveau semblable dans la plupart des choses qu’ils entreprenaient à trois. Pour elle, c’était aussi un moyen d’échapper à l’atmosphère légèrement étouffante qui régnait dans l’orphelinat. Comme dit précédemment, elle n’aimait pas l’attitude que la plupart des adultes avaient, et elle le leur rendait bien à l’aide de ses amis. Cette vie, malgré l’absence de parents, lui convenait parfaitement. Elle avait des amis, qu’elle pouvait sans aucun problème appeler ses frères et soeurs, des adultes qui lui permettait d’éviter les problèmes qui n’étaient pas de son âge, tout ce qui lui fallait. Oui, à six ans, c’était largement suffisant pour vivre.
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Mais l’insouciance des enfants est parfois cruelle et être la source des jeux des garçons, lorsqu’on s’apprête tout juste à quitter l’école primaire, c’est compliqué. Il me semble que Céleste devait à peine être en deuxième classe élémentaire lorsqu’elle avait vraiment compris la différence entre “ être une fille “ et “ être une garçon ”. Elle y avait prêté attention quand sa professeur de français avait choisi de draguer son collègue, bien qu’elle ne l’entendait pas de cette manière du haut de ses huit ans, bien entendu. Tout simplement, elle avait senti qu’il y avait une légère différence dans leur relation, elle y voyait moins de distance, plus de contact. Elle pouvait voir certains regards s’échanger, des sourires en coin. L’un des deux se retourner pour observer l’autre. Par curiosité, elle avait demandé à en savoir plus auprès de son éducatrice à l’orphelinat. Celle ci lui avait alors expliqué, dans des termes simples qu’homme et femme étaient différents, et que de par cela, ils avaient tendance à s’attirer mutuellement. Et parce qu’elle n’était qu’une enfant, elle avait demandé si la même chose n’était pas valable pour deux hommes, ou deux femmes. Comme n’importe quel gamin un peu trop curieux l’aurait fait. Le regard qu’on lui avait lancé à ce moment là était significatif. Ici, on en parlait pas. C’était tabou.
Une fois qu’elle en avait appris un peu plus, elle en parla aux amies qu’elle avait dans la classe, sans inclure les garçons. Cette première réunion marquait, sans s’en rendre compte et sans le souhaiter, un point majeur dans l’établissement de cette différence. Un garçon n’était pas une fille et vice versa, puisqu’il en était ainsi, certains pouvaient se permettre certaines choses mais pas les autres. Les bases du monde cruel qu’est la réalité étaient en train de s’installer, petit à petit. Céleste s’en moquait, dans la mesure où elle ne réalisait pas ce qu’il se passait. Oui, il y avait des différences et il était commun que les garçon aiment les filles. Elle avait même appris qu’il était courant que les garçons embête les filles qu’ils aiment, une des filles l’avait lu dans un livre après tout. Pour elle, c’était sûrement vrai, même si elle n’en savait rien. Une certaine complicité venait de s’installer dans la classe. Une sorte de lien invisible, fait pour durer si chacun y mettait du sien. Les liens qu’elle créerait cette année là seraient d’une importance capitale puisque le destin semblait indiquer qu’un jour, certains se retrouveraient.
—
L’entrée au collège avait été compliquée pour Céleste. Jusqu’à présent, personne n’avait jugé bon de lui parler des étoiles, du liens qu’elles avaient avec les humains, leur importance dans ce monde et dans la société actuelle. Par extension, elle ne savait pas ce qu’elle était, ni ce qu’elle devait faire. Son ignorance fut le principal problème à son inscription. N’ayant pas été adoptée, ce fut à l’orphelinat de gérer son dossier, ce qui posa quelques problème. En effet, ils avaient désormais besoin de certains papiers qui attesteraient de son identité. Pourtant, fondamentalement, personne ne savait si elle en possédait puisque rien ne lui avait été demandé à son entrée en primaire. Son ancien établissement étant relié au centre administratif de l’orphelinat, ils n’en avaient pas eu besoin et n’avaient pas pensé à anticiper la question de son avenir. Elle n’avait donc pas de livret de famille, ni d’acte de naissance. Elle n’était pas née humaine, aucun hôpital ne l’avait vu naître. Elle était simplement apparue, et personne ne pouvait nier ce fait.
Il avait donc fallu s’arranger avec le département pour certifier à l’établissement que la jeune fille était bien répertorier dans les dossiers administratifs de l’orphelinat, ainsi que dans les leurs comme une étoile. Ils possédaient en effet le peu d’information qu’avait fourni Emile lorsqu’il l’avait déposé à leur porte. Ils savaient qui elle était, ce qu’elle était et d’où elle venait, ce qui était suffisant pour prouver son identité. Son nom de famille était le même que le jeune homme qui l’avait sauvé, faisant d’elle Céleste Delacroix. L’homme étant décédé quelques années avant, il ne pouvait pas être son responsable, ce qui la plaçait donc toujours à la charge de l’orphelinat, bien qu’aucune éducatrice ou éducateur n’était prêt à assumer la charge d’une enfant de dix ans dont le futur était incertain. La tâche était donc retombé sur l’un d’entre eux, aléatoirement, faisant d’Arthur Tissier, quarante ans, son responsable légal auprès du collège, bien qu’il n’en soit pas ravi.
Une fois les formalités remplies, la jeune fille avait eu le plaisir de faire sa rentrée au collège, en sixième trois pour être exact. Certains de ses amis de l’école primaire l’avait suivi, sans qu’elle n'ait de liens particuliers avec. Glen et Erica étaient, quant à eux, partis dans d’autres établissement qui correspondaient mieux à leurs notes. Si Céleste était simplement dans la moyenne, ses deux amis avaient des capacités impressionnantes s’ils y mettaient du sien, encore fallait-il qu’il le fasse, mais ceci était un autre problème. Cela étant, ils étaient dans un établissement privés et elle dans un publique. Rien ne l’empêcherait de se lier avec d’autres élèves après tout.
C’était plus facile à dire qu’à faire. Premièrement, elle avait pu se rendre compte que contrairement à l’année précédente, c’était désormais la jungle. Le plus fort avait le pouvoir sur les autres, et les moins intelligents d’entre eux se retrouvaient en bas de l’échelle. Même chose pour ceux qui ne possédaient pas une certaine somme d’argent. Ils étaient jugés à leur apparence, aux liens qu’ils avaient avec les autres, à leurs fréquentation. Rien à voir avec les petites chamailleries de cour d’école. Ici, chaque embrouille était lié à un aspect sensible de l’autre. Elle s’était empressée de faire la différence entre ceux qui la blesseraient et les autres. Elle avait choisi les autres, tout en sachant que ça n'empêcherait pas les premiers de lui faire du mal, au contraire. Mais peu lui importait, car après tout, les choses étaient simple si on voulait bien les comprendre.
Ainsi l’année passa. Petit à petit, Céleste se faisait des amis, se rapprochait de certaines personnes, créait des liens avec ses professeur. Il lui arrivait de dormir en cours, de somnoler face au discours qu’on faisait lors de certains évènements, de se moquer gentiment du dernier pull de sa professeur de français, remarquer à quel point celui d’art plastique était adorable avec eux. A regretter la maternité de celle d’anglais qui devait se faire remplacer. Plein de petites choses simple comme ça qui faisait son bonheur et qui contrastait grandement avec la manière dont les autres la traitaient parfois. Certains se plaisaient à lui rappeler qu’elle n’avait pas de famille, et qu’elle n’était pas aimer. D’autres aimaient critiquer sa petite taille. L’appellation de “ Petite “ qui lui avait toujours été agréable était désormais amère. Elle ne pouvait s’empêcher d’y penser sans un petit pincement au coeur, en regrettant que ce soit précisément ce terme là qui lui soit gâché par les caprices d’enfants immatures. Le souvenir qu’elle en avait, accompagné de la voix grave d’Emile était maintenant accompagné des voix railleuses des autres élèves.
Elle savait qu’elle allait devoir passer les trois prochaines années en leur compagnie, à son plus grand regret, bien qu’elle s’était fait quelques amis. Pour son plus grand bonheur, elle rentrait chez elle dès que les cours se finissaient, suivant le régime trois de son établissement. C’est à dire qu’elle était demi pensionnaire et pouvait sortir dès ses cours fini avec l’autorisation de son responsable légal qui n’aurait alors aucune décharge à signer. Lorsqu’elle avait trop de temps libre, elle partait lire à la bibliothèque. Elle aimait se reposer sur un pouf, dans un endroit calme et se perdre dans une histoire imaginée de toute part. Son quotidien s’effaçait, la laissant seule face aux personnages et leurs aventures. Elle aimait s’imaginer à leur place, vivre leurs histoires, s’échapper elle aussi de l’ennui saisissant du quotidien. C’est avec ce genre de pensée qu’elle rentrait ensuite à l’orphelinat, avec le désir profond mais secret de s’enfuir de ce lieu qui l’avait retenue bien trop de temps.
Peu à peu, elle s’habituait à ce quotidien. Cette routine, bien que beaucoup plus marquée, lui faisait penser à sa ville natale. Parfois, les habitants s’affairaient de la même manière, comme par automatisme. Chacun venait à la même heure, prenant le même bus, avec les même personnes. Elle même empruntait les mêmes rues, tous les matins, tous les soirs. Chacun connaissait son chemin, et c’est avec une fidélité sans faille que tous le suivaient. Céleste soupirait souvent, en y repensant. Une part d’elle même souhaitait rompre avec ces habitudes, mais sans y parvenir. Le collège la conditionnait à suivre le même rythme de vie inlassablement, sans qu’elle ne puisse faire quoi que ce soit. C’est de cette manière que son année de sixième se termina, avec la même classe, les même élève, les même professeur. Sans que rien ne change.
Pour Céleste, les années qui suivirent sa cinquième avaient été radicalement différentes des deux premières. Si pendant toute sa cinquième elle avait décidé de continuer de suivre la routine imposée, elle souhaitait quand même voir quelque chose changer. Le changement qu’elle désirait était venu vers le milieu du troisième trimestre, peut-être en mai, elle ne s’en souvenait pas avec exactitude. Le seul souvenir qu’elle en avait, c’était la joie qu’elle avait ressentie à l’idée que quelqu’un veuille bien d’elle. En cinquième, elle s’était faite adopter. Elle s’en souvenait car il pleuvait ce jour là, alors que l’été se rapprochait dangereusement. La famille qui l’avait recueillie était française de nationalité, mais japonais d’origine, comme leur faciès et accent le faisait ressentir. C’était une nouveauté pour elle qui voyait rarement des asiatiques. Elle s’était promis de leur poser des questions sur leurs origines.
C’est comme ça qu’elle avait découvert l’existence des étoiles. Elle avait appris qui elle était.
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La première chose fut de se présenter et de remplir le dossier d’adoption de la demoiselle. Une fois tous les papiers signés, elle était pleinement sous la responsabilité de sa nouvelle famille. Il lui avait fallu une semaine pour s’installer comme il le fallait dans sa nouvelle maison, qui s’avérait bien plus spacieuse qu’elle ne le pensait. Elle possédait, pour la première fois de sa vie, sa propre chambre. En s’y installant, elle avait réalisé que cet espace lui appartenait désormais. La chambre était les premiers jalons de son existence en tant que personne indépendante, ce qui l’emplissait d’une fierté qu’elle ne pouvait contenir. C’était chez elle. Enfin.
Dès qu’elle eut déposé ses affaires comme elle le souhaitait, ceux qui étaient ses nouveaux parents l’avait invité à les rejoindre dans le salon afin qu’ils puissent discuter calmement et sérieusement. Ils lui avaient dit que la conversation porterait sur elle même, sur qui elle était, et cela l’angoissait. Elle avait peur des questions qu’on pourrait lui poser, à elle qui ignorait tout de sa naissance, de ses parents, de son identité même, elle qui avait toute sa vie vécue dans des rues insalubres. Elle avait essayé de garder son calme, mais la panique était bien présente lorsqu’elle s’était assise sur l’une des chaises qui faisait face aux adultes, essuyant ses mains moites sur son jean tout neuf et sans oser les regarder dans les yeux. Pourtant, lorsque la femme, sa mère désormais, lui avait parlé, elle n’avait senti que de la douceur dans sa voix, et de la bonté dans son attitude. Ces deux personnes ne lui voulaient aucun mal. Sans réussir à déterminer comme elle le déduisait avec tant d’assurance, elle décida de faire confiance à son instinct et se calma.
Elle écouta chacune des questions, et prenait son temps pour répondre. Quelque chose lui disait qu’elle n’avait aucune raison de se presser. Elle réalisa qu’ils connaissaient déjà la plupart des choses dont elle leur parlait, et s’appliqua à mettre en relief ses sentiments sur la question plus que sur les évènements. A cause du brouillard qui l’avait entouré, la plupart des choses qu’elle disait étaient dites sur un ton plat, manquant d’émotion, ce n’est qu’au souvenir d’Emile que sa voix s’adoucissait, car c’étaient ses souvenirs les plus précieux. Elle leur expliqua qu’elle ne pouvait se remémorer des évènements qui précédaient la rencontre avec Emile, ni leur dire comment elle était arrivé dans la ville, ou pourquoi elle avait du vivre dans les rues pendant quelques années. Elle n’en savait absolument rien.
C’est alors qu’ils évoquèrent les étoiles. Ils commencèrent par lui raconter que ces créatures, ces êtres, étaient apparu il y a plus de cinq siècle auparavant. L’unique témoin de leur arrivé avait pu observer leur création. Il avait vu les étoiles - les vraies - se regrouper en une seule créature, qui avait décidé de fouler le sol terrestre à ses côtés. Elle lui avait promis qu’elle le protègerait. De nombreux problèmes avaient été soulevé après cela, mais toujours était-il que les étoiles étaient réelle. Elles avaient tendance à arriver sur terre sous la forme d’enfant de quatre ou six ans, avec des souvenirs plus ou moins précis de ce qu’elles étaient. Par déduction, ils étaient persuadés qu’elle même en était une, ce qui expliquerait le flou qu’elle avait sur ses premières années, mais aussi sa capacité à survivre seule dans un environnement hostile pour une enfant.
En premier lieu, elle avait trouvé toutes ces explications loufoques. Des étoiles ? Sur Terre ? Elle avait pourtant vu en physique-chimie que les étoiles étaient mortes depuis des millions d’années, que ce que l’on voyait n’était plus qu’un souvenir d’un lointain passé. Puis elle avait pris plusieurs jours pour y réfléchir correctement. Pour comprendre ce que cela impliquerait si elle était l’une de ces créatures étranges dont on ne savait que peu de choses. Elle avait cru comprendre qu’ils avaient des pouvoirs, donc elle devait en avoir aussi, si c’était le cas. Mais est-ce que cela était propre à chaque étoile ? Comment est-ce que ça se passait, lorsqu’une étoile n’avait pas de pouvoirs ? Devenait-elle une simple humaine ? Etait-elle ici pour protéger quelqu’un à son tour ? Elle ? Alors que depuis le départ, c’était elle qui bénéficiait de l’aide des autres ? C’était bien trop étrange. Et pourtant, quelque part, cela avait du sens pour elle. Ah, c’était ça au final. Ce qu’elle était. Une étoile.
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Elle n’en avait jamais voulu à ses “ parents “ d’avoir chamboulé son existence en lui annonçant qu’elle était une étoile, au contraire. Elle en était reconnaissante. Cela expliquait de nombreuse chose et grâce au recul qu’elle avait obtenu en grandissant, elle s’était rendue compte de tout ce que cela avait changé pour elle. Elle avait compris de nombreuses choses, et s'était mise à en réaliser d’autres. Le monde autour d’elle prenait un sens tout particulier et le besoin urgent de savoir à qui elle était destiné avait commencé à se mettre en place quelque part au fond de son être. Elle débutait tout juste en tant qu’étoile et souhaitait tout particulièrement comprendre sa tâche, quelque chose lui disait que rencontrer l’être humain qui lui était destiné serait une bonne chose pour elle. Encore fallait-il qu’elle le retrouve.
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Pour ses années de lycée, Céleste avait intégré l’établissement de Saint-Etienne, pas très loin de chez elle, afin de poursuivre ses études en toute sérénité. A presque seize ans, elle avait décidé de quitter le cursus général pour suivre des études d'hôtellerie bien que sur le moment ce fut plus une lubie qu’une passion et que sa principale raison pour suivre ces études là fut la curiosité. Elle n’était pas particulièrement ambitieuse à l’idée de suivre ce parcours une fois devant la répartition des classes, ce qui ne l’avait pas empêcher d’y aller sans regret. Elle était désormais en seconde hôtellerie, au milieu tous différents les uns des autres. Elle avait été étonnée de voir l’un de ses camarades avec des cheveux teintés, elle était persuadée que c’était interdit, puisque l’apparence était si stricte. Mais cela n’était qu’un détail, après tout.
C’est pendant ses années de lycée que sa vie avait pris un tournant très étoilé. Ceux qui étaient voués à devenir ses amis pour de longues années avaient cherché à en savoir plus sur elle et ils avaient commencé par lui poser des questions sur ses attraits les plus évidents. Premièrement, ses cheveux, d’un noir trop pur pour qu’ils soient parfaitement naturel. Ils semblaient presque briller, rappelant, à leur dire, le ciel étoilé lors d’une nuit sans lune. Deuxièmement, la lune située sur son front qui faisait dangereusement penser à un tatouage. Elle n’y avait jamais prêté attention jusqu’à présent, bien que celle ci soit l’une des manifestations les plus forte de sa nature d’étoile, bien plus que son pouvoir ou son ADN ne pourrait le faire. La lune représentait son lien avec l’étoile divine, mais aussi le lien qu’elle aurait prochainement avec son humain, chose qu’elle savait de manière instinctive, sans pouvoir l’expliquer. Ce fut pour elle la dernière preuve de son statut d’étoile, la reconnaissance d’une nature qu’elle jugeait abstraite auparavant.
Peu de temps après, le jeune homme aux cheveux colorés lui apprit que tout comme elle, il n’était pas humain, d’où sa particularité capillaire qui n’était pas due à une coloration mais bien à sa nature d’étoile. Pour Céleste, cet homme allait devenir important puisqu’en plus de lui apporter des connaissances sur l’existence passée d’une étoile, il serait aussi celui qui partagerait ses années de lycée avec elle. Il allait devenir le premier amour de la demoiselle mais aussi celui qui lui briserait le coeur bien qu’il ne le souhaita jamais.
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L’homme s’appelait Caïn et était sur terre un an avant notre héroïne bien qu’à l’inverse d’elle, il n’avait pas eu à lutter pour sa survie puisque la famille qui l’avait trouvé s’était dépêché de l’adopter. Ils avaient fait certifier son existence auprès de la mairie afin qu’il puisse légalement suivre des études afin d’obtenir un métier. Il avait suivi une primaire et un collège tout à fait normal, puis avait suivi ses études dans le même lycée que la jeune fille. Il n’était pas enthousiaste au sujet de l’hôtellerie puisqu’il y allait plus par dépit qu’autre chose. Pourtant, il ne regretta jamais d’y avoir rencontré Céleste.
En effet, s’il avait commencé par lui adressé la parole ce fut bien plus par curiosité que par intérêt, puisqu’il n’avait pas tendance à se lier aux autres et surtout pas aux demoiselles, étant légèrement effrayé par ce genre qu’il ne comprends pas. Pourtant, savoir qu’elle était une étoile le rendait curieux. Comment cette créature vivait-elle son statut ? Savait-elle ce qu’elle était ? Se souvenait-elle de l’étoile qu’elle avait été ? Avait-elle conscience à son tour de n’être qu’un pion entre les mains de l’étoile divine, vouée à mourir aux contacts des hommes ? Etait-elle consciente d’avoir été privée de son immortalité tout comme lui l’était ? Avait-elle des regrets à l’idée d’avoir abandonné la douceur de la voûte céleste ? N’était-elle pas triste d’avoir quitté ses frères et soeurs sans avoir eu l’opportunité de leur dire au revoir ? Savait-elle qu’une fois sur terre, il y avait peu de chance que quelqu’un reconnaisse son statut d’être supérieur de par son ancienneté ? Sa curiosité à son égard prenait parfois des allures de poison qui le rongeait. Il ne souhait que partager sa tristesse à l’idée de voir son existence réduite à néant. Il ne souhaitait pas connaître la mortalité. Il ne voulait pas mourir, et pourtant, il n’avait pas d’autre choix que de se soumettre au destin qu’on lui avait donné.
A l’inverse de lui même qui se torturait l’esprit par des questions qui n’avaient parfois pas de réponse, la demoiselle qui lui faisait face semblait particulièrement calme, sereine, malgré la légère lueur de peine qui se reflétait parfois dans ses yeux azurs. N’était-elle pas atteinte des même particularité que lui ? N’avait-elle pas, elle aussi, une raison de se soucier des humains qui l’entourait ? N’avait-elle pas peur de ce qu’il pouvait lui arriver ? Quelque chose lui disait que non. Sa nouvelle camarade de classe ne semblait aucunement inquiète de ce qu’il pouvait se produire. Elle semblait vivre, simplement. Son calme était presque malsain aux yeux du jeune homme qui ne pouvait s’empêcher de la trouver naïve. C’est en conservant cette idée de curiosité qu’il l’aida à comprendre le statut des étoiles à elle qui n’en savait rien, il lui expliqua leur destin, leur mortalité, leur faiblesse, mais aussi la manière dont on les avait doté d’un don particulier afin de leur venir en aide. Ce don, avait-il dit, étant censé être une bénédiction de leur mère pour leur vie à venir, pourtant pour certain il prenait des allures dramatiques et ne leur causait que du tort. Il lui raconta aussi la manière dont les étoiles avaient été négligée, presque ignorée pendant quelque année, puis la manière dont désormais, on les considérait comme des créatures mauvaises et malsaines.
Il essaya de l’aider dans sa recherche de soi. Il eu de la peine au moment où il comprit que la demoiselle, contrairement à lui, était tout simplement victime du destin qu’on lui avait choisi. Si lui se souvenait de son existence passé, ce n’était pas le cas de Céleste et il ne put s’empêcher de compatir à l’idée qu’une partie entière d’elle même lui avait interdite. Quelque chose lui disait que la jeune fille ne saurait jamais quel genre d’étoile elle avait été, quel genre de vie elle avait mené lorsqu’elle n’était encore qu’un astre inconscient. Lui se souvenait de indifférence pour les humains ainsi que pour les étoiles qui l’entourait. Depuis toujours, il savait qu’il était voué à la solitude. Pourtant, il tentait d’y échapper. Elle n’aurait pas cette chance. Elle ne saurait pas ce à quoi on l’avait destiné et ne pourrait jamais choisir une autre voie.
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Inconsciemment, le lien qui les unissait avait commencé à changer au fur et à mesure que les années passaient. Ils avaient commencé par n’être que deux connaissances liées entre elle par leur même destin d’étoile, puis s’étaient rapproché pour devenir deux amis qui se racontaient la moindre chose. Ils avaient ensuite partagé de nombreux ensemble, accompagnés de leurs autres amis. Petit à petit, ils avaient choisi de transformer leur relation en se chamaillant comme deux enfants stupides, puis leur relation avait changé pour devenir plus romantique, plus tactile. Chacun voyait en l’autre ce qu’il avait toujours recherché. Pour Céleste, il représentait tout ce qu’elle avait toujours souhaité obtenir, quelqu’un capable de la soutenir et de la comprendre malgré son caractère décalé des autres, malgré son passé étrange et son absence de souvenir, malgré sa condition d’étoile. Il l’avait accepté en sachant que fondamentalement, elle était destinée à quelqu’un d’autre. Pour Cain, la demoiselle était celle qui lui permettait de se reposer et d’oublier qu’il était voué à mourir pour une personne qu’il ne connaîtrait peut-être jamais. Il savait qu’elle acceptait chacune de ses questions. Elle était prête à accepter son mal être car elle savait que celui-ci était une partie intégrante de ce qu’il était. Leur relation était la pour les soutenir, autant l’un que l’autre. Petit à petit, toutes leurs problèmes s’effacaient pour ne laisser qu’eux deux. Quelque chose de plus fort que le destin les unissait, à moins que leur lien soit lui même influencé par l’étoile divine ? Ils n’en savaient rien mais se satisfaisaient de la présence de l’autre du mieux qu’ils le pouvaient.
Puis était venue l’année de leurs dix neufs ans.
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Ils étaient chacun sorti du lycée avec leur bac en poche et des projets d’avenir bien distinct. Ils avaient décidé de continuer un bout de chemin ensemble avant de décider s’ils devaient se séparer pour que chacun puisse suivre sa voie sans remords. Ils n’en eurent pas le temps. Quelques mois seulement après avoir décidé de s’installer séparément pour laisser le temps à l’autre de réfléchir, Cain avait découvert son humain. Il l’avait croisé à l'hôpital, après avoir consulté pour des haut le coeurs qu’il ressentait de temps en temps depuis quelques moments. La nouvelle était tombée assez rapidement. Si l’étoile était en parfaite santé, ce n’était pas le cas de son humain qui vivait depuis quelques mois ses derniers instants. Le savoir suffit à rappeler à sa mémoire ses peurs les plus profondes. Son humain ? Malade ? Maintenant ? Alors il allait devoir mourir, sans avoir rien fait ? Tout simplement ? Comme cela ? Sans n’avoir rien fait pour profiter de son existence ? Sans connaître celui qui l’avait condamné à mourir ? Etait-ce vraiment aussi cruel que ça ? Il en informa Céleste. Il nia totalement sa responsabilité dans l’histoire, il refusa d’admettre que tout se finirait bientôt. Il ne voulait pas que cela arrive. Il ne voulait pas en finir maintenant, pas comme ça. Il avait prévu tant de chose, avait souhaité en faire tant d’autre ! Il avait rêvé d’une vie longue, sereine, ou il aurait pu profiter de tous les instants de bonheur que la vie aurait à lui offrir. Et pourtant, cela ne serait pas. Sa vie se terminerait aussi rapidement qu’elle avait commencé. Il se mit à en vouloir à l’étoile divine, à cette divinité qui n’avait rien fait pour lui. Elle qui l’avait maudit en le laissant descendre sur cette terre fragile et instable. Elle l’avait laissé à une condition de faible qu’il trouvait ridicule depuis le début. Oh, il avait connu la joie et l’amour auprès de la demoiselle, mais était-ce le prix à payer pour sa condition ? Quelques sentiments au prix de sa vie ? Pour dix neuf courtes années ? Ce n’était pas ce qu’il voulait. La rancoeur s’était finalement installée dans son coeur, et c’est ainsi qu’il était mort, en regrettant son existence propre, en oubliant les gens qui l’avaient aimé, ceux qui l’entouraient alors qu’il était en difficulté, en oubliant Céleste, qui était de nouveau seule.
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Elle avait souffert de ce départ précipité. Elle avait souffert de cette fin cruelle destinée à celui qu’elle avait aimé plus que tout. Une part d’elle même s’était brisée. Chaque homme qui l’avait aidé, qui lui avait apporté tout le soutien qu’elle espérait lui semblait voué à mourir. Ne pouvait-elle pas conserver quelqu’un à ses côtés sans qu’il n'ait à souffrir ? Etait-ce cela, être humain ? Cela lui semblait injuste. Pourtant, elle n’eut d’autres choix que de s’en remettre et de continuer sa vie, doublement afin de rattraper le temps qu’avait perdu son amour. Elle se devait de vivre pour deux. Elle devait vivre pour lui ce qu’il n’avait pas eu l’occasion de faire. Elle devait se battre pour chaque étoile qui n’avaient pas pu profiter de leur nouvelle vie.
Elle avait décidé de se rendre au Japon, pays qui semblait être le berceau de sa civilisation aux dires de Cain. Elle irait là bas, elle s’installerait et ferait sa vie.